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Repas lors d’un stage de formation BAFA en région Ile-de France, février

Première partie Introduction

Encadré 6. Repas lors d’un stage de formation BAFA en région Ile-de France, février

Temps de repas en formation BAFA : Plusieurs jeunes de confession musulmane demandent si la viande servie est « halal » [à l’occasion de ce repas il s’agit de viande de poulet]. L’animateur insiste longuement sur le fait que les repas sont élaborés par des individus en réinsertion professionnelle, que la fédération a fait le choix de passer un contrat avec cette « société » – en réalité une association – pour soutenir des adultes souvent des chômeurs de longue durée avant de répondre par la négative. Certains jeunes décident d’en manger ; d’autres non. Le lendemain, alors qu’il reste une quantité importante de viande, l’animateur décide de révéler que la viande est « halal » afin de limiter le gaspillage alimentaire.

Les fédérations départementales ne parviennent pas toujours à harmoniser leurs pratiques professionnelles ni à travailler côte à côte sans résistance. Martin, même s’il fait le constat d’une organisation confédérale imparfaite, critique les fédérations récalcitrantes. Il considère que le centre confédéral doit imposer des directives, voire obliger les fédérations à s’entendre afin que les inégalités territoriales s’amenuisent et que le réseau perdure dans son ensemble.

Je fais pas mon lèche-cul mais ça me plaît d'avoir un siège national, même si je trouve parfois des travers qui sont assez classiques entre une unité départementale et un siège national. Y a des formes de jalousies, de choses comme ça mais quand même extrêmement efficace, extrêmement réactif, et je trouve assez respectueux du réseau. Je l'ai pas vu partout hein. Et du coup je trouve qu'ils nous responsabilisent plutôt bien sur pas mal de sujets. Y a des sujets sur lesquels je trouve que ça déconne mais les sujets dont on parle depuis tout à l'heure c'est-à-dire l'éducation populaire, la citoyenneté, la jeunesse et tout ça, à chaque fois que j'ai eu à ouvrir ma gueule ou... qu'on m'a demandé mon avis, ou qu'il fallait trouver des choses pour travailler, des groupes de travail, des choses comme ça, que ce soit avec Nadine, Aurélien et compagnie je veux dire, je travaille vraiment, j'apprécie beaucoup cette équipe, la façon dont on bosse. Ce

Chapitre 2. L’organisation et le fonctionnement de la Ligue de l’enseignement…

qui me plaît moins, alors du point de vue de la Ligue c'est que la Ligue est un grand mouvement consensuel et je pense qu'aujourd'hui notre organisation n’est pas à la hauteur de nos défis c'est-à-dire qu’on laisse les régions, les UFOL s'organiser comme elles veulent, on devrait pas ! On devrait vraiment y aller au pas de course, au pas de charge et imposer quelque chose qui soit vite, vite, vite en phase avec les pouvoirs publics et les ambitions de gestion qu'on a. Et du coup on a une inégalité dans les territoires qui est surprenante. Si une région se bouffe le nez entre départements et n'a pas envie de se constituer, ben elle se constituera pas, et puis dans un an, dans deux… ça a quand même déjà commencé : vous avez des fédé[rations] qui tombaient une à une, à coup de centaine de personnels foutus dehors et tout. Ça c'est une forme d'irresponsabilité politique qui me chagrine. Même si je conçois que c'est très difficile puisque... là c'est un peu donneur de leçons aux politiques mais une fois qu'on est aux manettes, je suis bien placé pour le savoir, c'est moins simple. Mais enfin je trouve que ça déconne quand même, on est trop dans le consensus là-dessus sur notre organisation qui a pas toujours les moyens de nos ambitions.

Martin, 42 ans, délégué général

Ces tentatives d’homogénéisation des pratiques restent vaines d’autant plus que chaque fédération – de même que le centre confédéral – est unique et possède ses spécificités propres et ses rivalités internes.

2.2.3. Des relations intra-fédérales parfois conflictuelles

Si les valeurs qui habitent la Ligue de l’enseignement soulèvent des tensions interfédérales, elles suscitent également des crispations endogènes. Localement ou nationalement, le réseau fonctionne en faisant cohabiter des élus au conseil d’administration et des salariés. Ces administrateurs peuvent être d’anciens salariés du Mouvement. Dès lors restent-ils sur des modèles de fonctionnement datés qui empêche l’adaptabilité des travailleurs à la société à laquelle ils sont confrontés ? Cet obstacle, suggéré dans les propos de Yannick précédemment, se retrouve dans le discours d’Éric qui dénonce un décalage entre ces deux types d’acteurs associatifs. Le manque de souplesse et l’absence de prise de positionnement politique de la part des représentants bénévoles représentent deux facteurs de désaccords. Pour Éric, le centre confédéral répond aux attentes des antennes locales et la carence dans la mise en application locale se situe dans les comportements frileux des membres élus de la fédération où il travaille.

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Je parle d’ici, pas du national mais d’ici. On est plutôt sur un champ, des gens, alors des administrateurs qui sont, c’est très paradoxal mais, des anciens délégués généraux ici ou des anciens salariés, alors c’est jamais facile parce qu’on les renvoie toujours à : « Oui mais moi, avant je faisais ça ». Et donc c’est sclérosant au bout d’un moment et donc des fois y a des prises de positionnement où… le fait d’aller en avant, ils y vont pas, voilà c’est très… « Ah non on peut pas faire ça, tu te rends compte ». Mais si, tu peux. Mais si, tu peux gueuler pour ce qui se passe. Tu peux animer un débat public. Tu peux prendre position publiquement en disant que : « Mais non, on peut pas faire ça ». Voilà donc ça des fois ça me titille quoi, en me disant : « Merde quoi enfin si nous on le fait pas, qui le fera ? » Voilà. […] La Ligue nationale elle [se positionne] et justement on s’appuie là-dessus tu vois parce que nous on est en défaut là-dessus et moi ça c’est un des reproches en tant que militant c’est le positionnement politique de la fédération. Ça veut pas dire se marquer à gauche, droite, je m’en fous, mais sur un sujet comme ça enfin… c’est notre projet en plus la Ligue, la laïcité c’est vraiment, on est collé à ça quoi. Et on n’a pas réagi, tu vois. On n’a pas réagi au fameux débat sur la laïcité et l’immigration. Merde quoi ! Merde ! […] Donc on a pris le communiqué de presse du national, pour le diffuser. Alors très bien parce que y a des gens qui pensent très bien, avec qui on bosse souvent ici sur Paris à la Ligue mais tu vois nos élus ici ils ont pas mis leurs petites pattes […] Moi je les trouve pas assez mordants enfin sur des trucs mais pour certains c’est pas leur culture.

Éric, 36 ans, responsable de service

D’autres salariés expliquent que même si les positions sont clairement définies au centre confédéral, il n’est pas toujours aisé de mettre en œuvre la politique de la confédération. Aussi, Alexis62 estime qu’il « faut passer à l’action » reprochant aux dirigeants politiques de sa fédération de rester dans le constat et le diagnostic. De même, Albert évoque la laïcité, et plus précisément la problématique du port du voile pendant les temps de formation BAFA, et exprime des difficultés à mettre les instructions nationales en actes.

C’est eux [le centre confédéral] qui vont nous orienter un petit peu avec des positions, des choses, des articles voilà. Enfin ils ont une position on va dire claire mais bon après dans la pratique c’est pas toujours facile. Parce que, entre les discours, le positionnement de la Ligue et la réalité du terrain, c’est pas toujours applicable.

Albert, 55 ans, délégué général

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Ce décalage entre les définitions politiques et les contraintes territoriales est également perçu par Edwige. Elle fait part pendant l’entretien des difficultés rencontrées avec les élus « vieillissants » qui siègent au conseil d’administration de sa fédération et qui semblent, selon elle, éloignés des problématiques macro-sociales contemporaines.

Je pense qu’à la Ligue ce qui est le plus dur c’est le relationnel avec les élus parce qu’on se croise mais, et c’est quelque chose que j’ai mal vécu au départ, je pense que les élus ne comprennent pas trop la place des salariés. Certains manquent d’implication. […] Certains sont à la fédé depuis (elle siffle) très, très longtemps et étant à la retraite ou autre ils ne sont pas toujours en phase avec nos réalités de terrain. Donc c’est aussi essayer de leur faire entendre nos réalités de terrain parce que c’est eux qui prennent les décisions et c’est pas toujours évident.

Edwige, 26 ans, coordinatrice

Quant à Gilles, il constate des faiblesses dans la communication au sein de sa fédération et évoque des directives discordantes de la part des élus. Bien qu’il se résigne à ce fonctionnement associatif, ses propos marquent les contradictions existantes entre les administrateurs et les travailleurs.

Je pense qu’on manque de concertation en interne, sur la prise de décision. Mais ça c’est des choix politiques je pense. Donc on applique ce qu’on nous dit de faire. Y a de l’information descendante et parfois contradictoire. Mais ça c’est des choix de hiérarchie sur lesquels on ne peut pas lutter. (Gilles)

Les dissonances internes ne concernent pas uniquement les relations entre les élus et le personnel salarié, elles interviennent aussi entre les travailleurs. Les désaccords se situent alors entre les services qui composent la fédération départementale : ils opposent généralement les services bénéficiaires (secteurs « Vacances », « Formations », « Sport », « Assurances ») à ceux qui sont plutôt déficitaires (« Jeunesse », « Culture »). Cette dichotomie résonne avec celle, évoquée plus haut dans ce chapitre, entre le château et l’usine qui organise le centre confédéral. Ces tensions entre les services se révèlent au niveau local et sont davantage appuyées au sein des services qui jouissent d’une certaine autonomie vis-à-vis de la Ligue de l’enseignement, tels que les secteurs sportifs (USEP, UFOLEP). Ces deux services sont juridiquement indépendants de la Ligue de l’enseignement (Figure 7), toutefois les responsables de ces services sportifs (appelés « délégués ») interviennent au même titre

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que ceux des autres services dans l’association : il n’y a pas de distinction. Pourtant, les discours marquent parfois une distance entre les deux entités. Lors de la visite des locaux de la fédération où Edwige travaille, elle évoque des tensions existantes entre les services « Ligue » et l’USEP-UFOLEP. Pour Edwige, même si le secteur sportif ne souhaite pas être identifié à la Ligue de l’enseignement, il y est associé et aucune distinction ne doit être faite. Pourtant, au détour d’un couloir de la fédération, elle distingue elle-même ces deux secteurs associatifs en précisant que la fédération locale possède quatre véhicules : une pour la Ligue de l’enseignement et trois pour l’UFOLEP. Ainsi, cette différenciation demeure ancrée localement.

Les dissensions au sein de la confédération semblent être, d’une part, structurelles dès lors qu’elles résultent de critiques visant le fonctionnement associatif, c’est-à-dire l’articulation entre les membres élus au conseil d’administration et le personnel salarié ; ou qu’elles engendrent des crispations à la suite de modifications de l’organisation de la Ligue de l’enseignement (division en secteurs d’activités). D’autre part, des conflits d’ordre plus conjoncturels, lorsqu’ils concernent des divergences sur la déclinaison des valeurs dans les pratiques professionnelles par exemple, peuvent être relevés. Ainsi, au-delà des formes de résistances – au sens d’une opposition ferme – il apparaît que les fédérations départementales de la Ligue de l’enseignement agissent davantage selon des logiques locales différenciées en fonction de problématiques territoriales singulières, qui vont parfois à l’encontre de la socialisation commune souhaitée par le centre confédéral.

Conclusion

La création de la confédération paraît inévitable pour mieux structurer un réseau qui se reconstruit après le premier conflit mondial. Elle se constitue, non sans heurt, grâce aux acteurs présents au sein des fédérations départementales. Ces structures locales se sont construites et évoluent avec une autonomie forte dans leurs choix de projets, qu’elles définissent en fonction des problématiques territoriales, mais également en fonction des financements perçus. Elles vivent principalement de la vente de production de biens et services ou de prestations de services et de subventions d’exploitation. Ces sources de financements se révèlent très hétérogènes selon les territoires et les aides financières se raréfient. La Ligue de l’enseignement doit alors se positionner sur un marché concurrentiel dans le domaine de l’animation, de la formation, des vacances, etc. et trouver des logiques

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pour « survivre ». Dans les faits, les processus d’homogénéisation des pratiques décrits dans la seconde partie de ce chapitre ont été initiés dès les années 1920 – lors de la création de la confédération – pour limiter la dispersion des mouvements laïques, toutefois ils semblent s’intensifier ces dernières décennies. Aussi, les salariés et les élus, qui évoluent dans les antennes de la Ligue de l’enseignement, attendent des positionnements clairs de l’instance nationale sur des sujets d’actualité et en lien avec les valeurs défendues. En ce sens, le siège parisien fait bien figure de « tête politique », dans la mesure où il traite avec les ministères et le gouvernement des problématiques contemporaines afin d’articuler les valeurs de la Ligue de l’enseignement aux impératifs ministériels. En retour, le centre confédéral exige que les fédérations départementales adoptent des pratiques professionnelles homogènes à travers une socialisation commune. Mais cette volonté d’« empire confédéral »63 – cette injonction au travail interfédéral – ne se réalise pas sans accroc puisque les antennes déconcentrées souhaitent conserver leurs spécificités locales. Cette volonté de maintenir leur singularité se traduit par des formes de résistances à l’homogénéisation souhaitée par l’instance nationale, qui peuvent également aboutir à des tensions interfédérales.

Par ailleurs, le fonctionnement actuel de la Ligue de l’enseignement fait perdre de vue le fait que la confédération naît à partir du local, ainsi que sa mission initiale (être au service du réseau). Plusieurs situations rencontrées lors de la réalisation du terrain d’enquête questionnent les rapports hiérarchiques entre le centre confédéral et les antennes locales. En effet, s’il remplit bien son rôle de support, le centre confédéral occupe une position dominante dans la mesure où il possède une vision globale des antennes déconcentrées. De ce fait, le siège parisien tente d’imposer des pratiques professionnelles aux fédérations départementales qui sont, elles-mêmes, fragilisées par les transformations du monde associatif des dernières décennies (logique entrepreneuriale, désengagement de l’État, etc.). Ce sont donc des situations locales qui vont à présent être analysées.

63Ce terme est utilisé dans un livret imprimé par la Ligue de l’enseignement et interne au réseau, visiblement

CHAPITRE 3. LES FÉDÉRATIONS DÉPARTEMENTALES, DES