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Première partie Introduction

CHAPITRE 3. LES FÉDÉRATIONS DÉPARTEMENTALES, DES RESSEMBLANCES AUX SPÉCIFICITÉS

Introduction

Chaque fédération départementale est autonome dans ses priorités, son fonctionnement, ou sa gestion. Elle répond à des objectifs généraux et aux politiques établies par le conseil d’administration, composante décisionnaire de l’association. Si les politiques, vues d’une manière générale, sont pensées par le siège parisien et sont donc communes à l’ensemble des fédérations départementales, leur mise en œuvre, leur mise en application et leur priorisation dépendent des réalités locales et territoriales. Les contextes sociaux et politiques diffèrent d’un département à l’autre, et les projets sont portés par des individus qui, en fonction de leurs affinités, de leurs réseaux, des opportunités, etc. les développent de façon différente.

Si le précédent chapitre montre comment les spécificités locales sont gommées au profit d’une socialisation commune, celui-ci veut au contraire insister sur les particularités des fédérations départementales. Dans un premier temps, des comparaisons sont réalisées entre les antennes locales étudiées pour tenter de repérer des caractéristiques analogues selon leur taille ou leur positionnement géographique. Aussi, les antennes de la Ligue de l’enseignement situées sur des territoires ruraux ont-elles les mêmes orientations que les antennes plus urbaines ? Fonctionnent-elles de façon similaire lorsqu’elles salarient quelques dizaines d’individus ou plusieurs centaines ? Les premiers résultats ne montrent pas de corrélations « parfaites » entre ces indicateurs. Par conséquent, opter pour une analyse « groupée » d’un échantillon de fédérations selon leur situation géographique (les fédérations en zone rurale d’une part et celles en zone urbaine d’autre part) ou encore selon le nombre de salariés employés (les « petites »1 fédérations d’un côté, les « grandes » de l’autre) allait, de nouveau, effacer les spécificités locales. La situation de chaque antenne locale est donc appréhendée de manière singulière. Pour autant, au cours des échanges – formels et informels – avec les salariés2 des fédérations départementales étudiées sur le fonctionnement de la structure qui les

1 La taille des fédérations départementales selon le nombre de salariés employés est présentée dans le chapitre 4. 2 Dans ce chapitre, seuls la fonction occupée et le département de la fédération citée sont communiqués. Les

prénoms sont absents afin de garantir l’anonymat des salariés lors des citations mobilisées dans les autres chapitres de ce travail. Pour les mêmes raisons, le sexe de l’individu n’est pas dévoilé dans la mesure où les

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emploie, revenaient régulièrement les difficultés financières rencontrées au cours des dernières décennies. Viviane Tchernonog3 dans ses travaux sur le « paysage associatif » montre comment la part des financements publics, après avoir connu un essoufflement puis une stagnation, a diminué dans un contexte de crise économique en 2009. Selon cette économiste, « la transformation des modes de financement des associations n’est pas neutre, à un double niveau : elle a un impact, d’une part, sur les types de projets qui sont développés par les associations et, d’autre part, sur les publics cibles des associations »4. L’analyse des comptes de résultat des antennes locales étudiées révèle des similitudes sur leur « santé » financière. En outre, l’étude des rapports d’activité5 – année 2010 ou 2011 – de six fédérations départementales6, ainsi que l’analyse d’entretiens avec les dirigeants des antennes locales, permettent de cerner les stratégies mises en place par les structures associatives pour maintenir leur existence au sein du réseau de la Ligue de l’enseignement.

Les fédérations départementales interviennent fréquemment auprès de publics en « difficulté sociale ». Aussi, les activités présentées dans les rapports d’activités ont été analysées au prisme de quelques indicateurs nationaux7 afin de déceler d’éventuelles corrélations : la part des étrangers (9,2 % en 2010 pour l’ensemble de la France), la part des moins de 25 ans parmi les demandeurs d’emploi en fin de mois des catégories A, B et C8 (16,7 % en 2011), la part des 20-24 ans sans diplôme (12,7 % en 2010), la part des jeunes non insérés, c’est-à-dire les jeunes ni en emploi, ni scolarisés (15,6 % en 2010). Les indicateurs auraient pu être multipliés et leur choix se justifie par un ensemble d’hypothèses, qui sont analysées dans l’étude de cas de deux antennes locales dans la seconde partie de ce chapitre. En effet, si la part des jeunes non insérés est plus élevée dans le département par rapport à la

femmes sont peu nombreuses à occuper des fonctions à responsabilités (une seule femme « déléguée générale » parmi les enquêtés).

3 Viviane Tchernonog, « Le secteur associatif et son financement », Informations sociales, n° 172, 2012/4, p. 11-

18.

4 Ibid., p. 16.

5Dès la lecture des rapports d’activité, des similitudes et des différences peuvent être notées. Le point commun

tient dans le fait que chaque fédération rédige ce document. Les distinctions, elles, se situent dans le format (souvent au format A4 mais parfois sous la forme d’un petit livret), dans la présentation (portrait ou en paysage), dans la police de caractères (rares sont les antennes locales qui utilisent la charte graphique du Mouvement).

6Ce document n’a pas été recueilli sur l’ensemble des fédérations départementales visitées.

7 Les indicateurs présentés ont été recueillis sur le site de l’observatoire des territoires : https://www.observatoire

-des-territoires.gouv.fr/outils/cartographie-interactive/#c=home, consulté le 18 juin 2019.

8 Il s’agit des demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, sans emploi ou ayant

exercé une activité. Source : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2010, consulté le 16 septembre 2019.

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moyenne française, l’antenne locale axe-t-elle ses priorités sur l’insertion ? Si la part des 20- 24 ans sans diplôme est plus élevée sur un territoire par rapport à la moyenne nationale, la fédération départementale propose-t-elle plus de formations qualifiantes ?

1. Les similitudes partagées des fédérations départementales

Les premières pages des rapports d’activité rappellent les valeurs du Mouvement. Malgré l’absence de format spécifique pour établir ce document, certains éléments se répètent dans chacun d’eux. Un retour sur la vie de la fédération, puis sur celle de la région et du national débute le document. Les « grandes valeurs » défendues par la Ligue de l’enseignement se retrouvent ainsi dans chacun des rapports étudiés. Elles sont également affichées dans certaines fédérations locales à travers le texte fondamental des Droits de l’Homme et du Citoyen, comme par exemple au sein des fédérations du Tarn-et-Garonne et du Var. D’autres, à l’image de la fédération des Alpes-Maritimes, marquent leur militantisme éducatif à travers un portrait de Victor Hugo et sa célèbre citation « Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une prison ». Toutefois, les antennes déconcentrées de la Ligue de l’enseignement ne se rejoignent pas uniquement sur les mêmes idées, elles partagent également des difficultés – principalement financières – qui les contraignent à s’adapter et à mettre en place des stratégies pour que le Mouvement perdure localement.

1.1. Un réseau marqué par les difficultés

Dans cette première partie, les difficultés sont étudiées sous plusieurs angles. Tout d’abord, les difficultés financières importantes que connaissent les fédérations départementales au cours des années 2000 et 2010 sont mises en avant par les comptes de résultats publiés au sein du Journal des associations. Ces problèmes budgétaires semblent s’expliquer en partie par la transformation du système d’aides par subventions auxquelles se heurtent les antennes locales depuis quelques décennies. Aussi, cette source de financement, ainsi que la relation entre les financeurs et les financés, sont également étudiées afin de saisir les enjeux pour le réseau de la Ligue de l’enseignement.

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1.1.1. Des antennes locales au bord de la faillite

Les échanges avec le personnel de direction de fédérations départementales ainsi que l’analyse des comptes de résultats montrent que de nombreuses antennes de la Ligue de l’enseignement présentent des formes d’asphyxie financière. Le rapport d’activité de la fédération des Hautes-Alpes mentionne la « reconstruction d’une nouvelle fédération en 1998 ». Cette même année, la fédération de l’Aveyron connaît des difficultés importantes et, en 2005, un audit conclut à une situation financière alarmante de l’antenne locale. Un premier plan de licenciement économique « collectif » – 17 salariés sont licenciés sur une période de deux ans – est établi. En 2008, la santé financière de la fédération départementale ne s’est pas améliorée. La direction se voit contraint de vendre un centre de vacances et de procéder à une nouvelle vague de licenciements. Le sentiment de « se conduire comme un liquidateur », évoqué par le président de la fédération départementale de l’Indre dans un article de la presse locale (Figure 15), se retrouve dans les propos du délégué général de la fédération d’Indre-et- Loire. En effet, directeur d’une « petite » fédération départementale – 13 salariés en 2011 – il a dû faire face à deux licenciements économiques et vit mal ce positionnement.

Je suis un peu traumatisé parce que c'est une chose de parler de licenciements économiques mais de filer la lettre de licenciement à quelqu'un de 55 ans s'en est une autre ! Quand vous avez bouffé avec elle pendant trois ans c'est quand même compliqué.

Délégué général, Indre-et-Loire

Cette antenne locale de la région Centre atteint un « déficit record » en 2008 dans un contexte socioéconomique de « crise », après une longue période de difficultés financières. Le résultat de l’exercice de l’année 2008 présente un solde négatif (Tableau 6). Il en est de même pour les trois années précédentes, ainsi que l’année suivante (2009). Et comme le signale le délégué général, l’année 2010 marque un tournant au niveau budgétaire.

En 2008 si vous voulez cette fédération – comme d'autres – connaît un déficit record, créé par la baisse de produits liée à nos activités vacances : la crise quoi ! Vous savez : c'est toujours le symptôme qui témoigne d'une maladie plus profonde. Et c’est ce que je ne savais pas forcément ou que je n'avais pas été regardé très sérieusement avant de prendre le poste, d'un problème de gestion beaucoup plus ancien. Probablement 20 ans... oui 20 ans parce qu’aussi

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loin que je suis reparti je crois qu’y avait pas eu de vrais résultats excédentaires de cette fédération, moi j'ai eu les chiffres depuis 1990. Depuis 1990 y a pas un résultat excédentaire. En 2010 vous voyez on a fait notre premier excédent.

Délégué général, Indre-et-Loire

En 2012, les comptes de la fédération d’Indre-et-Loire font état d’un excédent de plus de 725 000 euros, qui se justifie pour la vente des locaux de l’antenne locale, qui, jusqu’à cette date, occupait un immeuble particulier en plein centre de Tours. Cette relative aisance financière apparaît donc fragile. Deux autres fédérations départementales – celle du Var et celle des Yvelines – présentent des résultats d’exercice qui semblent « meilleurs » que les homologues, mais une nouvelle fois, cette prospérité semble illusoire9. Ainsi, le rapport d’activité 2010 de la fédération des Yvelines (Encadré 7) précise que la direction a eu recours à des licenciements pour maintenir un « équilibre financier ». Ce sont également les pratiques utilisées par la fédération du Var, qui va se séparer d’une trentaine de salariés – presque tout le service « Cinéma itinérant » (licenciements des projectionnistes, des secrétaires) – dans les années 2010.