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Santa Catarina

3. QUELQUES REPÈRES DANS L’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET AGRICOLE DU PARANÁ

Les grandes tendances de l’histoire administrative et démographique de l’État du Paraná qui viennent d'être survoler font écho à un certain nombre d’évolutions touchant les conditions d’exploitation des ressources naturelles. Elles ont été brièvement évoquées jusqu’ici, il convient maintenant de les examiner plus en détail, car elles offrent bien souvent des clés indispensables pour comprendre la place occupée par le littoral au sein de l’ensemble régional et identifier certaines des racines de la situation environnementale et socio-économique que l’on y rencontre aujourd’hui.

Il est de coutume, parmi les spécialistes de l’histoire économique du Brésil, de repérer dans le passé du pays une succession d’ères (ciclos) successives dont chacune est plus particulièrement polarisée autour d’une activité particulière. Il s’agit là d’un découpage commode qui peut aider à mettre de l’ordre dans une réalité diversifiée et complexe

a) Le rêve éphémère de l’or

Même si la course à la conquête de nouveaux territoires qui opposa les grandes puissances européennes à partir du XVI° siècle répondait à de nombreux objectifs politiques, religieux, économiques, l’espoir de découvrir des sources inépuisables d’or anima de nombreux conquérants. C’est l’obsession qui guidait les premiers arrivants; l’objectif que poursuivait les expéditions montées pour explorer l’intérieur des terres. C’est dans cet espoir que les premiers Capitães mores investirent leur fortune dans les Capitanias qu’ils avaient reçues de la Couronne (voir précédemment). L’exploitation des quelques ressources aurifères

qu’offrait la Serra do Mar justifia, on l’a vu, la fondation des premières communautés de colons qui s’installèrent sur le littoral du Paraná. Cette activité se prolongea un certain temps; elle fut même le moteur principal de la dynamique économique au XVII° siècle, mais c’est ailleurs, beaucoup plus au nord et au cœur du Brésil, dans le territoire qui allait être désigné comme celui des Minais Gerais, dont la capitale allait prendre le nom évocateur de Ouro

Preto (« Or sombre »), que les découvertes vraiment significatives allaient être faites au

XVIII° siècle. Au Paraná, l’orpaillage n’allait dès lors n’être plus qu’une activité modeste ne dégageant que des bénéfices précaires.

b) La forêt, source diversifiée de richesses

L’exploitation de certaines ressources végétales naturelles comme le bois tinctorial –

Pau Brasil (Caelsapinia echinata) – pour lequel le développement de la production de

cotonnades en Europe, notamment en France à Rouen et à Nantes, créait une forte demande – alimenta les premiers courants d’échanges entre le Brésil et l’Ancien Monde. Aussi est-ce du « bois de braise » que le pays tire son nom. Pendant longtemps les productions tirées de la forêt de façon sélective constituèrent une base de l’économie du Paraná : bois d’œuvre, bois précieux et cordages notamment. Toutefois c’est le maté (Ilex paraguaiensis) espèce endémique de la forêt du planalto qui allait devenir la principale richesse et un produit majeur d’exportation. Les colons européens avaient en effet emprunté aux indiens l’usage en infusion de cette plante aux vertus excitantes. Celle-ci allait devenir – et demeurer jusqu’à aujourd’hui – une consommation emblématique pour les habitants des vastes territoires qui s’étendaient du Paraná jusqu’aux lointaines plaines d’Argentine. Les forêts du Paraná se révélèrent abriter une population importante d’Ilex, permettant une production intensive et régulière de feuilles dont la cueillette, le traitement par étuvage et broyage, le conditionnement puis l’exportation vers les régions consommatrices – Sud du Brésil, Argentine et Uruguay – devait, pour longtemps devenir une activité lucrative.

c) Une position centrale sur les voies de circulation du bétail

La collecte et l’exploitation du maté, qui pouvait se faire de manière artisanale, ouvrirent la porte à l'occupation du planalto. Rapidement les activités tournant autour du bétail devinrent une activité de premier plan. L’élevage tout d’abord sur les Campos Gerais, zones de cerrado (végétation herbacée de type savane) mais aussi et surtout toutes les

retombées entraînées par le passage des troupeaux acheminés depuis les régions Sud du Brésil à destination des pôles économiques du pays : le Minas Gerais et le Nordeste sucrier. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’ère économique du tropeirismo. Les cavaliers tropeiros allaient chercher du bétail dans le Rio Grande do Sul et l’acheminaient sur pieds, en grands troupeaux, vers leurs lieux de destination. Sur leurs principaux lieux d’étapes émergèrent de petits centres de commerce et de services qui leur fournissaient tout ce dont ils avaient besoin en chemin. C’est ainsi que naquirent sur le second plateau les bourgades qui devaient devenir les villes d’aujourd’hui : Castro, Lapa, Ponta Grossa, Rio Negro. Curitiba, pour sa part, placé au carrefour de plusieurs voies de passage des caravanes y trouva une source importante de son développement initial.

Ce commerce du bétail était un chaînon essentiel de l’économie coloniale du Brésil à cette époque. Ainsi, comme l’a bien montré G. FREYRE (1974), au Minas Gerais comme dans le Nordeste sucrier, toutes les énergies et tous les capitaux se portaient vers les activités minières et « agro-industrielles » (culture de la canne, extraction et conditionnement du sucre) dont les produits étaient destinés à la métropole portugaise. La production agricole nécessaire à la subsistance de la population locale était grandement négligée. Il en résultait une situation de pénurie alimentaire qui touchait tout autant les classes les plus aisées que les plus pauvres. Les régions qui n’offraient ni or ni possibilité de cultiver de la canne à sucre furent mises à contribution pour produire les denrées nécessaires à l’alimentation locale – et en particulier l’entretien de la force de travail servile sur laquelle reposait la bonne marche des activités industrielles. Riz, haricot, bétail convergèrent donc vers les pôles économiques et administratifs de l’époque – le Paraná occupant une place de chaînon intermédiaire dans cette organisation toute centrée sur quelques régions phares. Cela suffit à entraîner une première occupation et une mise en valeur des terres de l’intérieur, sans pour cela créer les conditions d’une exploitation intensive de leurs ressources naturelles – comme en témoigne la préservation de la forêt pendant encore près de deux siècles.

Au XIX° siècle, l’occupation des confins du Paraná se renforce par l’action de grands éleveurs implantés sur les Campos Gerais. A la fin du siècle, la préoccupation du gouvernement est d’étendre les territoires occupés en densifiant le réseau de voies de communication : pistes et voies ferrées. La mise en valeur des terres du planalto se poursuit donc en direction de l’Ouest. C’est la dernière étape de la conquête des terres indigènes de l’Ouest. Au XX° siècle on ouvre de nouvelles pistes qui s’enfoncent encore plus vers l’Ouest, afin de permettre au bétail maigre du Mato Grosso de venir en pâture sur les Campos

d) L’ère du bois et du café : la transformation radicale d’un paysage

L’occupation du plateau – intensifiée à partir du XIX° siècle par les politiques favorables à l’immigration à destination des zones rurales s’accompagna de défrichements agricoles qui alimentèrent une industrie du bois. Pendant longtemps celle-ci conserva un niveau modéré car le marché était principalement interne et répondait aux besoins locaux et régionaux : barils, emballages, maisons, meubles, barrières, etc. Ce n’est que progressivement qu’elle pris une toute autre dimension, progressant selon un rythme accéléré qui obéissait à la fois à l’élargissement de la demande due à une ouverture sur un marché élargi – national et international – et à l’accroissement des abattages induits par l’intensification des activités agricoles. Comme le montre bien la figure 3 c’est au XX° siècle, lors des grands défrichements, que se mit en place une exploitation minière intensive des ressources ligneuses. De grandes entreprises locales, mais aussi nationales et multinationales, en tirèrent de grands profits, alimentant un marché aux dimensions internationales. Dans ce mouvement, le littoral du Paraná – contrairement à celui de bien d’autres État côtiers – fut relativement épargné. Le front pionnier agricole et ses grands défrichements se situaient sur les plateaux, et le relief montagneux constituait une contrainte pour l’exploitation forestière – les entreprises concernées se portèrent en priorité là où l’abattage et le transport pouvaient se faire plus facilement.

L’accélération de la déforestation et l’essor de l’industrie du bois ont donc été parallèles au développement de la caféiculture. Celle-ci, qui faisait déjà la prospérité de l’État de São Paulo, a connu son essor dans l’État du Paraná dans le courant des années 1930. Son apogée se situe dans les années 1950, suivie d’un déclin dans les années 1970, à la suite des gelées qui frappèrent les plantations dans les années soixante, puis de la concurrence des pays africains.

Ce sont les terres rouges du Nord de l’État qui se révélèrent particulièrement propices à la culture. La production caféière y a été le prolongement de la production pauliste qui s’est développée dès le XIX° siècle, jusqu’à franchir progressivement les frontières de la province paranaense. Dans un premier temps cette production était dirigée vers São Paulo par manque de voie d’accès sur le Paraná. C’est dans les années 1930 que le projet de construction d’une route reliant le Nord de l’État à Curitiba est envisagé afin d’en finir avec l’isolement du Nord de la province et d’en développer les relations avec l’Ouest et l’Est de l’État.

Avant cela, pour permettre au Paraná de profiter de la manne économique que semblait alors promettre le café, des tentatives avaient été faites pour en produire autour de

Curitiba, à Ponta Grossa et même, de façon plus expérimentale, sur le littoral. Mais les conditions naturelles et les sols n’y étaient guère propices. C’est avec la mise en valeur des zones de production favorables situées au Nord de l’État, avec leur désenclavement par rapport au reste de l’État et à la suite d’une politique systématique de peuplement menée par l’administration locale que la région s’est développée et peuplée et que le pôle caféier du Paraná s’est constitué.

Les effets convergents de cette « fièvre du café » et des intérêts défendus par l’industrie forestière, furent à l’origine de la quasi disparition de la forêt qui couvrait une grande partie des hauts plateaux du Paraná. Dans les années soixante, la multiplication de gelées fréquentes, la concurrence avec les pays africains ont contribué à l’éradication d'une part importante de la production de café.

e) L’essor d’une grande agriculture industrielle

A partir de 1970 le profil économique du Paraná devait connaître un nouveau grand changement avec la naissance d’une agriculture industrielle, inspirée de la « révolution verte » et centrée sur la production de céréales et surtout de soja. Ce processus accéléré de croissance économique a été favorisé par une politique économique du gouvernement brésilien au travers de mesures privilégiant une agriculture industrielle, hautement mécanisée, bénéficiant le secteur industriel, alors pôle hégémonique du récent modèle de développement capitaliste brésilien. Les politiques de crédits et de financements ont été développées afin de permettre aux producteurs brésiliens de développer leur capacité d'investissement. Ces efforts en direction de la modernisation de l'agriculture ont particulièrement réussi au sud du pays, où les conditions étaient réunies pour l'expansion des cultures en termes géographiques et climatiques, avec des zones planes mécanisables, propices aux cultures du soja, du blé et en second lieu aux cultures d'hiver (avoine, orge, seigle). Au Paraná, à partir de cette période, c'est le soja qui connaît une rapide expansion sur les anciennes parcelles de culture du café alors disparues, ainsi que sur de nouvelles aires. L'ampleur de la culture du soja au Paraná est telle qu'en dix ans, entre 1970 et 1980, la superficie cultivée est quasiment multipliée par six (passant de 395 500 ha à 2 250 000 ha). Aujourd’hui, au Paraná, la culture du soja vient en tête, suivie par le blé, le café, l’élevage bovin, le maïs, le haricot et le coton.

Pourtant, très rapidement l'impact social négatif, de ces politiques publiques de développement agroindustriel, se fait ressentir, pour les petits producteurs notamment par la valorisation de la terre qui en a résulté, ces propriétaires de petites parcelles de faible productivité ont ainsi été encouragés à vendre leurs propriétés. De même, chez les petits producteurs qui accédèrent à des crédits et introduisirent des technologies modernes, peu nombreux sont ceux qui ont bénéficié de cette croissance engagée par ce modèle de développement. Pour la grande majorité d'entre eux, leur productivité n'a que très peu augmenté, de plus ils ont rencontré des difficultés, et ont été soumis à des inégalités dans les systèmes de commercialisation, du fait du contrôle des prix et des dettes engendrées par les crédits. Ainsi, cette politique économique les a conduit à une dépendance accrue au marché, à la subordination au grand capital, que ce soit aux producteurs d'engrais chimiques, aux agro-industries, ou enfin au grand capital financier privé ou étatique, et ils ont eu de plus en plus de mal à assurer leur subsistance et celle de leur famille. De telle sorte qu'en 1975 au Paraná, le revenu mensuel moyen des petits producteurs n'atteignait pas le salaire minimum (FERREIRA, 1987).

Cette conjoncture de modernisation agricole des années soixante-dix a contribué à une vaste concentration foncière et, parallèlement, à l'exode massif d'une partie de la population rurale implantée dans ces zones de forte valorisation et spéculation foncière, vers d'autres régions du Brésil, Nord et Centre-Ouest, ainsi qu'à une prolétarisation des petits producteurs devenant soit des bóias-frias7 auprès des grand producteurs, ou des employés en zones urbaines.

Si l’on devait résumer les conséquences de cette évolution en quelques traits – retenus dans la perspective des questions que j'aurai à me poser sur le terrain – on pourrait retenir les points suivants :

- La quasi disparition de la végétation naturelle sur l’ensemble du territoire, intervenue au cours d’une évolution récente et extrêmement rapide. La mémoire d’un état tout à fait différent des paysages est toujours vive parmi la population locale car les bouleversements les plus intenses se sont produits en l’espace de deux générations, et les personnes nées au Paraná, qui sont aujourd’hui dans leur soixantaine ont connu des paysages complètement différents de ceux qui s’offrent à leurs yeux aujourd’hui.

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"Repas-froid", appelés ainsi car ils apportent leurs déjeuners froids, préparés chez eux, sur les plantations où ils travaillent comme travailleurs temporaires.

- Un recul massif du petit paysannat et des agriculteurs familiaux qui, avec l’afflux de migrants européens à la fin du XIX° et dans le premier quart du XX°, avaient été les artisans de la mise en valeur du Paraná. Dans les années 1970, le Paraná connaît un exode rural, sans précédent, de plus d'un million deux cent milles habitants, qui illustre cette vaste transformation de la paysannerie du Paraná.

- Une croissance urbaine explosive, qui accompagne une industrialisation de l’économie et la constitution de grandes métropoles – au premier rang desquelles Curitiba. Cette croissance est alimentée en partie par les populations rurales chassées de la campagne par l’avancée des grandes exploitations industrielles mais aussi par l’afflux de migrants venus des régions les plus pauvres du Brésil.

Dans cette évolution, le littoral du Paraná occupe une place bien particulière. Alors que c’est par lui qu’a débuté l’occupation de cette région et qu’il est demeuré pendant au moins deux siècles le pôle de la vie économique et administrative de la région, il s’est trouvé peu à peu marginalisé, au fur et à mesure que se développait l’occupation et la mise en valeur des hauts plateaux situés au-delà de la Serra do Mar. C’est sur le planalto que se sont situés à partir du XIX° siècle les grands défis et les grands enjeux. En dehors d’un bref épisode de prospérité au début du XX° siècle et sur lequel j'aurai l’occasion de revenir, le littoral est entré peu à peu en sommeil et son histoire sociale et économique s’est construite à la périphérie des grands mouvements qui trouvaient ailleurs leur origine : sur le planalto et à l’échelle du Brésil. Le littoral du Paraná se trouvait alors marginalisé et largement exclu des politiques publiques de par ses caractéristiques physiques et naturelles (relief, climat), ne présentant pas les conditions propices au développement d'une agriculture moderne mécanisée, industrielle, à des fins d'exportation. Les événements qui s’y déroulent aujourd’hui, les intérêts nouveaux qui s’y manifestent, les acteurs qui s’y pressent, tout ceci ne peut être compris qu’à la lumière des faits préalablement rappeler et d’un certain nombre de grands enjeux qui prennent racine bien au-delà du littoral, mais qui y ont des répercussions majeures. Ce sont certains de ces enjeux sur lesquels je vais me concentrer maintenant.