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LE RENOUVEAU DE LA MARCHE URBAINE : UNE QUESTION D’ECHELLE ?

Qui dit « humain », dit obligatoirement marche, déplacement, mobilité, nomadisme, errance, voyage… Du chasseur-collecteur d’une des dernières tribus d’Amazonie au membre de la jet set society, la marche constitue une sorte d’invariant anthropologique. Le paysan marche, le montagnard marche, le citadin marche. Bien sûr, les manières de marcher changent d’une culture à une autre, d’un groupe social à un autre, d’une période à une autre. Les pourquoi, comment, avec qui, à quelle vitesse, pour quelle destination n’obtiennent pas les mêmes réponses.

Thierry Paquot

INTRODUCTION : POURQUOI CONSACRER UNE THESE A LA MARCHE URBAINE ?

La marche est constitutive de notre condition humaine, à son tour indissociablement liée à la bipédie. Elle est si intégrée à notre existence qu’elle semble aller de soi et l’on ne voit pas bien en quoi elle pourrait susciter des questionnements ou nécessiter des explications. Marcher constitue un geste si banal, si enraciné au sein de notre quotidien urbain, qu’il est de l’ordre de l’anedoctique. Or c’est justement parce qu’il semble être « de l’ordre de l’évidence » que le phénomène peut intéresser les chercheurs en sciences sociales, dont nous sommes.

Nous assistons actuellement à une révolution silencieuse autour de la marche en milieu urbain. Le piéton est en train de changer de statut : hier considéré comme un usager de la marche « par défaut », victime expiatoire de la motorisation, il figure aujourd’hui comme un élément actif et valorisé dans le panel des déplacements. Politiques, aménageurs, praticiens de santé, opérateurs de transports s’intéressent à lui, et lui redonnent une place centrale dans les réflexions et les aménagements de l’espace public urbain (Lavadinho, 2011b ; Winkin et Lavadinho (éds.), 2011). Quelles sont les raisons d’un tel revirement de situation, et quelles en seront les conséquences pour l’aménagement de nos villes à l’avenir?

A une époque où la sédentarité pèse littéralement sur nos sociétés, un autre regard sur la première de nos mobilités émerge actuellement, qui fait de la marche l’objet de toutes les attentes pour bien des acteurs du monde urbain. C’est finalement cette transformation du regard sociétal porté sur l’objet « marche » que nous souhaitons saisir au travers de ce travail de thèse.

Evoluant depuis une dizaine d’années dans l’univers de recherche dédié à la problématique de la marche urbaine, nous constations son renouveau auprès des acteurs que nous côtoyons quotidiennement : les chercheurs, qui se l’approprient comme objet d’étude, mais aussi les autres catégories d’acteurs, publics

Introduction

autant que privés, qui en font la promotion par des politiques publiques et des aménagements concrets de l’espace urbain. Avec quelques autres chercheurs francophones, nous avons en effet eu la chance durant ces dix dernières années d’assister de près à ce renouveau de la marche urbaine. Nos travaux de recherche sur le terrain, notre collaboration avec des collectivités publiques et des opérateurs de transport, ainsi que notre intégration à des réseaux de recherche internationaux nous ont permis de jouer un rôle actif dans le processus de regain d’intérêt pour la marche en tant qu’objet d’étude au niveau international. Nous avons pu en particulier accompagner son entrée en tant qu’objet renouvelé de recherche au sein des études urbaines en France et en Suisse. Notre position d’observateur dans le champ qui fait l’objet de la thèse offre une opportunité d’introspection intéressante à plus d’un titre. Ainsi pour construire ce travail de thèse nous nous sommes appuyés sur l’expérience de terrain que nous avons acquise au fil des diverses recherches que nous avons pu mener au fil de cette décennie. Les concepts construits lors de ces travaux précédents nous ont servi notamment à composer notre grille de lecture pour partir à l’assaut des terrains analysés dans le cadre spécifique du présent travail : Lausanne, Genève et Bilbao. Bien entendu, la théorie alimente le terrain, et celui-ci en retour alimente la réflexion : la grille de lecture qui sous-tend notre analyse s’est ainsi étoffée et enrichie avec les apports de ces nouveaux terrains d’observation.

La présente introduction vise à poser le cadre méthodologique de notre démarche :

Le premier chapitre sera consacré à formuler notre hypothèse. Nous y entamerons donc la discussion, centrale pour notre propos, de l’échelle à laquelle considérer de nos jours la marchabilité. Nous proposons comme hypothèse de travail de considérer la marche à l’échelle des grands territoires. La contribution principale de ce travail de thèse au champ de recherche sur la marche urbaine sera donc celle de transposer à l’échelle des grands territoires certaines hypothèses quant à la marchabilité des espaces publics que nous avons élaborées à l’origine pour l’analyse d’échelles spatiales plus circonscrites. Prendre comme référentiel l’échelle des grands territoires invite néanmoins forcément à faire littéralement un saut d’échelle pour penser la marche autrement. Du par les orientations actuelles du développement urbain, la marche dépasse l’échelle de la proximité pour devenir multimodale. Elle se déploie au sein des paysages ordinaires des territoires diffus de nos périphéries et échappe ainsi largement aux analyses classiques de la marche qui se déploie dans les tissus centraux. Pour ces raisons, il nous a paru indispensable de créer de nouvelles catégories d’analyse pour penser la marche à cette échelle plutôt inhabituelle.

Le deuxième chapitre sera consacré aux méthodes. Nous y détaillerons les principes qui ont guidé notre travail de terrain, notre adoption d’une posture d’observation participante et notre approche comparative multi-sites.

Le troisième chapitre sera consacré aux terrains choisis pour l’étude. Il décrit les raisons qui ont motivé nos choix et les spécificités de chaque terrain en fonction de ses apports à l’étayage de notre hypothèse centrale.

essentiellement composés de notes de terrain et de matériaux audiovisuels (photos et vidéos).

Le cinquième et dernier chapitre est consacré à l’analyse. Nous y rendrons compte du cadre conceptuel qui préside à la construction de notre grille de lecture.

Introduction

NOTRE HYPOTHESE : LA MARCHE DANS LES GRANDS TERRITOIRES