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L’échelon national : coordonner les politiques sectorielles

Au niveau décisionnel national, la question est avant tout celle de la coordination des politiques sectorielles à incidence spatiale. Or à cet égard nous pouvons dresser un constat plutôt décevant : si la coordination entre transports et aménagement du territoire fait désormais partie des priorités au niveau national pour la plupart des pays européens, les politiques de promotion de la marchabilité ne sont généralement pas mentionnées dans les documents directeurs qui orientent les politiques à cet échelon décisionnel. La marche n’est généralement prise en compte au niveau national que dans les politiques de sécurité routière et de santé. Celles-ci s’attachent pourtant plus à rémedier les conséquences d’une marche rendue contraignante, dangereuse et de ce fait peu pratiquée, qu’à véritablement proportionner les conditions premières qui favoriseraient la marchabilité des territoires de nos déplacements.

Alors que bien d’autres domaines d’intervention de la puissance publique sont d’emblée considérés à des échelons décisionnels supérieurs, la marche pâtit paradoxalement du fait qu’elle relève en premier lieu de politiques locales. Certes, les solutions locales foisonnent désormais, et les villes redoublent d’inventivité pour concevoir sur mesure leur futur marchable. Mais cette approche locale n’est pas toujours payante, notamment à cause des efforts toujours renouvelés qu’il faut consentir pour construire les argumentaires en faveur des modes actifs et sensibiliser les acteurs à la nécessité d’agir. De surcroît, au niveau local, la politique appliquée est le fait de praticiens, le plus souvent généralistes, dont la marche ne constitue généralement pas le domaine d’expertise. Les solutions trouvées courent alors un risque réel d’être cantonnées à ce niveau pratique. Bien des aspects pourtant suffisamment bien mis en évidence par la recherche et/ou les bonnes pratiques peuvent ainsi ne pas être pris en compte, du fait même que face à l’urgence d’agir le temps manque pour s’informer sur ce qui se fait dans le domaine, ou encore sur les solutions qui ont pu être trouvées ailleurs. Si cette approche de type learning by doing est répandue, elle n’est pas pour autant toujours la mieux adaptée ni la plus efficace. C’est particulièrement le cas lorsque les solutions à trouver ne demandent pas une approche spécifique.

Ainsi la cohabitation de la marche avec les autres modes, par exemple, est loin d’être un problème qui se poserait à chaque fois de manière unique à une ville donnée. Il s’est posé ailleurs, dans d’autres villes,

Mouvement I – Les valeurs de la marche

dans d’autres contextes. Bien entendu, il existe des colorations locales, mais les problèmes fondamentaux posés par la marche se rencontrent partout. Pourquoi trouver des solutions uniques à des problèmes qui ne le sont pas ? Plus fondamentalement, agir à l’échelle locale conforte la perception erronée qu’il s’agit d’une problématique spécifiquement locale, alors que les efforts à consentir pour devenir une ville marchable sont sur bien des aspects similaires, quelle que soit la ville concernée.

La gestion urbaine51 et la gestion de la mobilité relèvent pour beaucoup d’aspects essentiels à leur bon fonctionnement de standards nationaux et/ou internationaux qui assurent leur traitement d’une manière à la fois rapide et cohérente tout en permettant qu’ils soient déclinés par chaque collectivité à l’échelle locale en fonction de ses besoins spécifiques. La question de la marchabilité souffre en revanche d’une relative invisibilité aux échelons supérieurs, ce qui laisse aux collectivités locales le soin de trouver seules des solutions. Pourtant certains aspects gagneraient à être traités à des échelles régionales, voire nationales. Une meilleure standardisation des solutions faciliterait la vie du piéton d’autant plus que les bassins de vie au sein desquels il se déplace sont multiples, et que les échelles de mobilité des individus dépassent largement l’aire de circonscription de l’échelon décisionnel local. Nous partons du principe que les solutions à trouver doivent à la fois être uniformes et universelles quant à leur principe stratégique, tout en restant facilement interprétables localement quant à leur forme opérationnelle.

Actuellement la marche bénéficie du fait que les milieux de la santé la considèrent comme un enjeu stratégique au niveau national (Demers, 2006 ; Toussaint et al., 2008), dans le cadre de politiques publiques de lutte contre la sédentarité. La marche est dès lors repositionnée comme un sujet dont il vaut la peine que les gouvernements centraux s’occupent. L’avantage majeur de cette approche est sa rapidité : lorsqu’une mesure ou une loi rentre en vigueur à l’échelle nationale, elle introduit d’emblée un standard que des centaines, voire des milliers de villes peuvent adopter en seulement quelques mois ou quelques années, là où des décennies auraient parfois été nécessaires pour que le mouvement percole par simple contagion d’une ville à l’autre. Un deuxième avantage est celui de l’optimisation des ressources : l’implication des échelons décisionnels supérieurs offre des moyens humains et financiers importants que seuls les gouvernements régionaux ou nationaux sont actuellement à même de fournir. Ces derniers sont en mesure de produire un cadre référentiel de fond (bases de données statistiques, expertises, recherche fondamentale, recueils de bonnes pratiques) autrement plus conséquent que celui que n’importe quelle collectivité locale seule pourrait s’offrir. Toutes les collectivités pourraient dès lors s’appuyer sur ce cadre général de réflexion qui servirait de socle commun à leurs propres politiques de promotion de la marche urbaine, qui resteraient à décliner en fonctions des besoins ressentis comme prioritaires à l’échelon local. La question fondamentale qui se pose ici est donc finalement celle de savoir si la marche est un problème local ou non. La marche urbaine est-elle un problème des villes, ou doit-elle être considérée comme un

51 Par exemple dans des domaines comme l’approvisionnement de l’eau et l’électricité, des réseaux de télécommunications ou encore le traitement des déchets.

problème qui dépasse l’échelle locale pour être posé à l’échelle régionale, voire nationale ? Si la réponse reconnaît une légitimité aux échelons décisionnels supérieurs pour traiter la question de la marchabilité des territoires, alors la question de la mesure (statistique autant que qualitative) des pratiques de la marche urbaine ne peut plus être ignorée. Donner plus de visibilité à la question piétonne au niveau régional et national ne peut se faire qu’avec des chiffres clairs et des faits étayés. Ceux-ci permettent d’apréhender les pratiques de la marche dans leurs imbrications au sein d’un système complexe de mobilités et d’effectuer un suivi régulier des changements de comportement induits par les effets de levier des politiques publiques et les évolutions des styles de vie.

Pour conclure cette section, nous pensons que si une partie de la solution reste et restera toujours à trouver au niveau local, un certain nombre d’initiatives appartiennent au niveau national, voire international. Notamment les questions de législation, de budgétisation, de gestion de la connaissance, de recherche fondamentale, sont toutes des questions qui ne se résolvent pas au niveau local. L’établissement de standards au niveau national et international établit un contexte favorable au sein duquel les décisions locales pourront se déployer plus rapidement et avec plus de légitimité. Mais il faut pour cela disposer de moyens garantis structurellement pour assurer un suivi dans le temps qui permette à ces politiques de prendre leur assise à une plus large échelle. Ainsi pourraient être créées des conditions-cadre favorables à l’essor des démarches que chaque collectivité voudrait mener en fonction de son propre contexte.

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