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Le touriste arpenteur de l’urbain familier

L’essor exponentiel du tourisme urbain (Cazès et Potier, 1998 ; Crouch, 1999) au cours des deux dernières décennies – corrélatif en Europe au développement de l’offre aérienne low-cost16 accompagné d’une transformation de l’offre hôtelière et de restauration au sein des villes elles-mêmes – a joué un rôle non négligeable dans une évolution qui consacre aujourd’hui la marche en ville comme l’une des principales activités touristiques au niveau européen et mondial. Cette évolution s’est traduite par un glissement de la valeur hédonique de la marche-loisir, traditionnellement pratiquée sous forme de randonnée ou de promenade au sein de grands espaces ouverts (à la montagne, au bord de la mer ou à la montagne), vers la marche pratiquée en ville lors de séjours plus courts, généralement de l’ordre du week-end prolongé. Le « touriste marcheur » est ainsi devenue une figure incontournable pour les politiques

touristiques de la plupart des villes.

Ce phénomène est d’autant plus marqué au sein des villes européennes, dont le marketing est très axé sur leur qualités d’agrément liées à de bonnes conditions de marchabilité et de séjour urbain. Certaines villes, à l’instar de Venise, Amsterdam ou Bruges, étaient depuis longtemps reconnues pour leurs qualités marchables. Le succès touristique de ces villes à canaux où les rues sont pour la plupart libres de circulation automobile est depuis toujours lié à ce haut degré de marchabilité. Depuis les années 1980, bien d’autres villes, dont les conditions de marchabilité n’étaient pourtant pas a priori aussi propices, leur ont emboîté le pas avec des politiques fortes de création et de rénovation d’espaces publics marchables. Parmi les villes pionnières nous pouvons compter Copenhague, Barcelone ou Bilbao, qui ont toutes les trois choisi déjà depuis quelques décennies déjà de se « vendre » comme des villes touristiques où il fait bon marcher et à qui cette stratégie a parfaitement réussi. Depuis, d’autres villes à fort potentiel attractif ont suivi à commencer par Londres qui a fait le pari de d’être « la capitale la plus marchable » d’ici à 2015 (voir le chapitre dédié au projet Legible London dans le mouvement II).

Cette tendance a été favorisée par le développement de l’avion et du TGV, moyens qui ont largement remplacé l’usage de la voiture pour la visite des villes européennes. Ces modes de la grande vitesse se couplent étrangement bien à la marche : ils projettent rapidement les touristes sur place pour leur laisser ensuite toute liberté de visiter à pied des quartiers hors des sentiers battus. Là réside justement le deuxième glissement observé depuis une décennie. A la tendance qui consistait à visiter les principaux monuments, les Must See Sights vantés par les brochures touristiques, se substitue désormais une tendance qui privilégie la visite vagabonde, au gré des hasards et des envies d’exploration du moment, des lieux ordinaires qui composent le quotidien des autochtones. Ainsi la visite de la ville quitte l’hypercentre pour investir des quartiers résidentiels, la flânerie quitte les rues piétonnes marchandes pour se glisser le long de rues parfaitement anodines. Cette nouvelle attitude adoptée par les visiteurs consiste finalement à investir le quotidien urbain d’une ville, à s’imprégner « en habitué » d’une atmosphère dont le devoir de représentation s’affiche désormais comme celui de devenir d’emblée familière.

Nombre de guides urbains surfent sur cette vague de familiarité, à commencer par les Cartoville des Editions Gallimard, un modèle du genre. Conçus dans un esprit contemporain, ces guides sont rédigés avec l'aide d'auteurs locaux qui livrent les clefs de leur ville, pour en restituer l'âme et en rendre le côté vivant. Ils s’adressent, selon les éditions Gallimard17, au voyageur « qui souhaite découvrir en profondeur les différents quartiers d'une ville, à pied ou par les transports en commun, pour, l’espace d’un court séjour, pouvoir vivre la ville au rythme de ses habitants ». Le principe est donc d'organiser une ville par quartiers, plans à l'appui, selon le principe « Un quartier, une carte, des bonnes adresses ». Ces guides « tout-en-un » permettent dès lors « de vivre une ville comme ses habitants la vivent et de s'intégrer, en toute liberté, au cœur de la cité ».

Mouvement I – Les valeurs de la marche

Figure 2 - Les guides Cartoville de Gallimard et Time Out sont représentatifs d'une nouvelle génération de guides touristiques qui s'adressent à l'autochtone qui sommeille en chaque touriste urbain.

Source : Google images @ Gallimard, Time Out

D’autres guides, comme Time Out, familiarisent le touriste au même titre que l’autochtone avec les opportunités à saisir en temps réel au moment de la visite. Cette approche informationnelle, éphémère et constamment renouvelée, diffère substantiellement de l’approche statique et immuable des guides d’antan. L’essor actuel de la géocontextualisation de l’information reçue sur smartphone accentue encore cette tendance. C’est ainsi que bien des monuments et hauts lieux au sein des grandes métropoles s’équipent désormais de comptes Twitter et Facebook pour être présents sur les réseaux sociaux et informer en temps réels leurs potentiels visiteurs des derniers événements.

Figure 3 - La Highline à New York est l’un des hauts lieux par excellence fréquentés par les touristes

marcheurs. Elle s’est dotée d’un compte twitter pour annoncer en temps réel à leurs potentiels visiteurs se qu’y s’y passe et les raisons d’y venir. Il est intéressant de noter que le public abonné est en continuelle croissance. Cette image, téléchargée en 2010, montrait à l’époque 5'381 abonnés. Ce nombre a plus que doublé en à peine une année pour atteindre désormais 13'226 abonnés (chiffres actualisés au 16 août 2011).