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1. GENERALITES

1.1 Précarité, pauvreté, grande pauvreté

1.1.5 Santé et grande pauvreté

1.1.5.4 Le renoncement aux soins

Pour poursuivre il parait fondamental de s‘appuyer sur les résultats de la recherche menée par le Dr Caroline Desprès, chercheur associé à l‘Institut de Recherche et de Documentation en Economie de la Santé (IRDES), et de ses réflexions partagées lors de la 11ème journée de santé publique bucco-dentaire. Celle-ci apporte des éléments qui éclairent la notion de renoncement aux soins en

également dans d‘autres milieux. Deux axes ont ainsi mené la recherche : la signification du renoncement et les déterminants du renoncement aux soins.

La notion de renoncement aux soins est particulièrement étudiée et développée depuis les années 1990. Pour prendre l‘exemple de l‘enquête de l‘IRDES la question est posée sous la forme suivante « au cours des douze derniers mois, vous est-il arrivé de renoncer, pour vous-même à certains soins pour des raisons financières ? » L‘étude (31) montre que 15,4% de la population déclarent un renoncement aux soins, dont 10% concernent des soins dentaires et que ce pourcentage s‘élève à 22,1% pour les bénéficiaires de la CMU-c. La question est de savoir ce que signifient ces chiffres, comment les personnes enquêtées comprennent cette question et enfin pourquoi les bénéficiaires de la CMU-c renoncent plus que la population dans son ensemble pour des raisons financières ? Ce constat paraît en effet étrange puisque comme nous l‘avons démontré précédemment ceux-ci bénéficient d‘une gratuité des soins.

Tout d‘abord, le premier résultat qui est apparu est que la notion de renoncement aux soins est absente du lexique des individus. En revanche, des situations qui s‘apparentent à des renoncements aux soins ont bien été repérées. A savoir que le renoncement au soin est défini comme une absence de recours aux services de santé alors qu‘il existe des besoins. La notion de besoin doit alors être définie, or de quels besoins s‘agit-il ? Nous parlons souvent de besoins médicalement objectivés, « unmet needs » en anglais, mais il existe d‘autres besoins à savoir les besoins ressentis. Or le renoncement aux soins se forge sur des besoins ressentis. Ce renoncement aux soins, conduite individuelle qui suppose une certaine forme de délibération est facilement identifié dans les parcours de soins notamment pour des raisons financières mais non qualifié comme tel par les personnes.

Caroline Desprès repère deux types de renoncement aux soins :

 Le renoncement barrière, plus large que la simple barrière financière, qui interroge les structures sociales ; le système de protection sociale et l‘organisation du système de santé comme par exemple le délai des rendez vous, professionnels saturés et indisponibles, refus de soins qui n‘existent que pour les bénéficiaires de la CMU-C.

 Le renoncement refus, qui marque soit une critique ouverte du système de santé soit une forme de désintérêt ou de résistance. Soit les personnes refusent de se faire soigner et préfèrent attendre que leur douleur passe, soit elles emploient des méthodes d‘autogestion à la maison, soit se tournent vers des médecines dites non conventionnelles (parallèles). Parlons à présent du renoncement comme forme de résistance. Bien souvent, en matière de soins bucco-dentaires nous constatons des formes de désintérêt. Les soins dentaires se situent très souvent en bas de la hiérarchie et passent souvent après d‘autres parties du corps. Les catégories précaires priorisent bien souvent l‘aspect fonctionnel à l‘apparence. Par ailleurs, on constate que celles-ci possèdent une grande capacité à tolérer les symptômes et la douleur. Par conséquent, ils diffèrent les soins dans le temps. En même temps, certaines personnes affirment ne pas aimer aller chez le dentiste parce que les soins dentaires sont douloureux et préfèrent ne s‘y rendre qu‘en cas de rage de dents. Discours paradoxal puisque se faire soigner est souvent bien moins douloureux que de supporter une rage dentaire. Ceci montre, pour Caroline Desprès, que ce discours sur le dentiste qui fait mal cache autre chose sur le rapport aux professionnels de santé et en particulier au dentiste. En conclusion, nous notons des attentes variables selon les milieux liées à des normes de santé socialement différenciées. En fonction de ces attentes, il est possible de repérer des renoncements masqués. Ainsi certaines personnes déclarent des renoncements quand elles n‘ont pas les moyens de se faire poser un implant mais qu‘elles le souhaiteraient. La norme en milieu précaire est de ne pas remplacer les dents manquantes et de porter un appareil quand on ne peut plus faire autrement. Ces normes différenciées proviennent tout d‘abord d‘un rapport au monde selon lequel les personnes évitent de désirer ce qui est inaccessible. Certains auteurs, en particulier Schwartz (46) parlent d‘une morale du renoncement. Ces formes d‘auto-privation et d‘auto-restriction constituent des manières de consommer et d‘être. Par conséquent ils conservent cette manière de se soigner malgré la gratuité des soins. Dans un contexte durable de privation et de difficulté d‘accès aux soins pour des raisons financières, quand la pauvreté s‘installe, ces normes deviennent ce que Bourdieu appelait un habitus, à savoir des normes propres à un

calent sur les normes propres au groupe. Les situations de renoncement aux soins sont sous-estimées il s‘agit de renoncements maqués. Tout n‘est pour autant pas figé et les personnes ne sont pas prisonnières de leurs normes, celles-ci peuvent se retourner positivement.

Les deux types de renoncement ainsi décrits sont imbriqués et s‘articulent. Pour autant, le renoncement aux soins appartient à un ensemble très complexe basé également sur des aspects psychologiques, sociaux et psychosociaux.

1.2 La santé bucco-dentaire : enjeux, déterminants,