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Le renforcement des finalités préventives de l’action en responsabilité civile

Les règles gouvernant l’issue de l’instance : le défi de la nature complexe de la solution au litige

Section 1- La prévention des atteintes à l’environnement : un existant à améliorer À l’issue du procès, le juge peut-il trancher le litige en contribuant à l’effectivité de la

1) Le renforcement des finalités préventives de l’action en responsabilité civile

Dans tous les cas, l’on en retient, qu’il s’agisse du juge interne ou international, que l’appel à l’imagination en matière de prévention est en marche. La question est alors de savoir si le juge ne devrait pas être davantage accompagné pour répondre efficacement à ces demandes. Elle se pose d’autant plus que, face à la complexité de ce type de litiges mettant à l’épreuve la preuve de certaines conditions exigées – comme le lien de causalité – et à l’importance du montant de la réparation en cas de réalisation du dommage, la prévention pourrait prendre la première place dans le contentieux. D’où tout l’intérêt de regarder de plus près ce que pourrait être l’avenir de la prévention à l’issue d’un procès environnemental.

§ 2- L’avenir de la prévention : des évolutions souhaitables

Malgré l’importance des pouvoirs préventifs du juge pour trancher le litige environnemental et participer ainsi à la prévention des atteintes à l’environnement, certaines limites sont à noter et pourraient être dépassées. Si dans notre étude, c’est essentiellement vers le juge judiciaire, du référé ou du fond, que notre regard vers les pouvoirs du juge s’est tourné (A), les propositions pourraient se généraliser, devant le juge administratif et dans les autres ordres nationaux (B).

A/ L’évolution des pouvoirs du juge judiciaire

À bien y regarder, ici, deux évolutions s’avèrent souhaitables. Elles Les pouvoirs du juge pourraient évoluer au contact du renforcement des finalités préventives de l’action en responsabilité civile (1) et de l’affinement des mesures prescrites à l’issue de l’action (2)498.

1) Le renforcement des finalités préventives de l’action en responsabilité civile

La première évolution résulte en effet de la nécessité, en amont, d’affiner les finalités préventives des actions en justice, pour que le juge puisse davantage y répondre par le biais de mesures appropriées. Il convient ici de mettre en lumière deux types de faiblesses auxquelles il est possible de remédier.

498 Sur cette dualité, v. aussi sous une terminologie différente et applicable à la responsabilité civile en générale, v. M. Hautereau-Boutonnet, C. Thibierge et C. Sintez, « Consacrons les fonctions et les effets de la responsabilité civile », D., 2016, p. 7710.

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En premier lieu, contrairement au juge des référés, le juge civil du fond, ne peut prescrire des mesures de prévention indépendamment de la réalisation d’un dommage ou d’un trouble, que celui-ci soit anormal ou illicite.

Dans le premier cas, l’on pense au régime spécial de réparation du préjudice écologique qui permet certes au juge de « prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage », mais seulement lorsque celles-ci se rattachent à une demande tendant à sa réparation. Or, dans les faits, certains dommages environnementaux peuvent se produire dans le futur, de manière plus ou moins imminente, et méritent alors, en raison de leur gravité, d’être évités. De ce fait, il conviendrait, de compléter la finalité préventive de l’action en responsabilité environnementale prévue dans le code civil et de faire une place, à côté de la prévention complémentaire de la réparation du préjudice déjà réalisé, pour la prévention supplémentaire sans attendre la réalisation du dommage, lorsque celui-ci peut être d’une importante gravité499. Autrement dit, à la prévention-réparation » s’ajouterait la « prévention- anticipation ». Concrètement, il serait aujourd’hui possible, pour les titulaires du droit d’agir prévus à l’article 1248 du Code civil, notamment les associations de protection de l’environnement, de demander au juge, sans attendre la réalisation des dommages causés au climat, des mesures de prévention, en raison de la gravité des conséquences à venir. Cela serait d’autant plus logique que le législateur, concernant le régime de police administrative de réparation des dommages causés à l’environnement (article L. 160-1 et s. du Code de l’environnement), sous l’influence du droit de l’Union européenne (directive 2004/35), n’a pas hésité à imposer à l’exploitant en cause, en dehors des mesures de réparation, des mesures de prévention. Ainsi selon l’article L. 162-3 du Code de l’environnement, « En cas de menace imminente de dommage, l’exploitant prend sans délai et à ses frais des mesures de prévention afin d’en empêcher la réalisation ou d’en limiter les effets (…) ».

Dans le second cas, l’on pense au second régime spécial de responsabilité, la théorie du trouble anormal de voisinage, qui montre que la prévention du dommage pour le futur peut s’opérer par la cessation du fait générateur à l’origine du trouble, que celui-ci consiste en des nuisances ou autres formes de pollutions ressenties. L’on sait aussi que le juge admet que le simple risque – parfois même incertain – puisse être qualifié de trouble et conduire alors à la prescription de mesure de prévention consistant dans la cessation du fait à l’origine du

499 V. M. Hautereau-Boutonnet, C. Thibierge et C. Sintez, « Consacrons les fonctions et les effets de la responsabilité civile », D., 2016, p. 7710.

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trouble. La jurisprudence montre que le juge n’hésite pas à prescrire des mesures de prévention du dommage en sus de l’indemnisation du dommage s’inférant du trouble500. Toutefois, le juge peut, au regard de son pouvoir souverain, préférer prescrire des dommages- intérêts. D’où l’intérêt qu’il y aurait à clarifier l’instrumentalisation du droit et à admettre que, en sus de la finalité « prévention-cessation » de l’illicite prônée par Cyril Bloch501 et imposant au juge de faire cesser le trouble en mettant fin au fait générateur illicite s’ajouterait sa finalité « prévention-anticipation »502 lui permettant d’imposer des mesures de prévention malgré l’autorisation de l’activité qui en est à l’origine.

Ainsi, au final, derrière l’affinement des finalités de l’action en responsabilité civile, c’est la création d’une action préventive environnementale spéciale qui est ici souhaitée, en prolongement de certaines propositions doctrinales allant déjà en ce sens depuis plusieurs années, sous la plume de Catherine Thibierge, Patrice Jourdain et Cyril Sintez503. Elle pourrait mener à la modification du régime spécial de réparation du préjudice écologique devenant aussi un régime de « prévention » dans son intitulé. À côté des finalités de « prévention- cessation » et « prévention-réparation » qu’il connaît déjà, s’ajouterait donc la « prévention-anticipation » par le biais, par souci de cohérence, d’une disposition plus générale susceptible de les regrouper.

Possible, cette évolution pourrait alors être vue comme une spécialisation environnementale du droit commun de la responsabilité civile. En effet, il convient de rappeler que le projet de réforme de la responsabilité civile présentée par le ministère de la Justice en mars 2017504 prévoit de modifier le Code civil par des dispositions consacrant le pouvoir préventif du juge. Deux types de mesures préventives sont appelés à faire leur entrée parmi les effets attendus d’une action en responsabilité civile.

500 Sur ce rappel, G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, LGDJ, 4e éd. 2017, p. 39.

501 Sur la fonction de cessation de l’illicite, v. C. Bloch, La cessation de l’illicite, recherche sur une fonction

méconnue de la responsabilité civile, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. 71, 2008, préf. R. Bout.

502 Idem.

503 Réc. : V. M. Hautereau-Boutonnet, C. Thibierge et C. Sintez, « Consacrons les fonctions et les effets de la responsabilité civile », D., 2016, p. 7710. C. Thibierge, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p. 577 ; P. Jourdain, « Comment traiter le dommage potentiel ? », Resp. civ. Et assur., mars 2010, dossier 11, spéc., p. 47 ; C. Sintez, La sanction préventive en droit de la responsabilité civile, Dalloz Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2011. Plus généralement sur ce rappel, G. Viney, P. Jourdain et S. Carval,

Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, LGDJ, 4e éd. 2017, p. 35 et s. ; M. Hautereau-Boutonnet, C. Thibierge et C. Sintez, art. préc. ; v. aussi M. Boutonnet, Le principe de précaution en droit de la

responsabilité civile, LGDJ 2005.

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Premièrement, les mesures de prévention directe. Si le futur article 1266 prévoit qu’« En matière extracontractuelle, indépendamment de la réparation du préjudice éventuellement subi, le juge peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé le demandeur », l’article 1244 reconnaîtrait quant à lui la théorie du trouble anormal de voisinage en disposant : « Lorsqu’une activité́ dommageable a été́ autorisée par voie administrative, le juge peut cependant accorder des dommages et intérêts ou ordonner les mesures raisonnables permettant de faire cesser le trouble ».

Secondement, les mesures de prévention indirecte, celles consistant à indemniser la prévention effectuée. En ce sens, l’article 1237 du Code civil devrait prévoir que « Les dépenses exposées par le demandeur pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage ou pour éviter son aggravation, ainsi que pour en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable dès lors qu’elles ont été́ raisonnablement engagées ». Quant à l’article 1261, il viendrait préciser la possibilité pour le juge d’« autoriser la victime à prendre elle- même les mesures de réparation en nature aux frais du responsable. Celui-ci peut être condamné à faire l’avance des sommes nécessaires ».

Mais c’est aussi, en second lieu, du côté des juges des référés que l’évolution devrait avoir lieu. En effet, contrairement au juge du fond, le juge des référés, malgré l’importance de ses pouvoirs préventifs, ne peut appréhender le risque de dommage non imminent, qu’il soit futur et/ou incertain. Les difficultés sont bien connues et ont été largement étudiées par la doctrine à l’occasion de travaux menés sur le rôle du juge judiciaire dans la mise en œuvre du principe de précaution505. Ainsi, sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile, en cas d’absence de trouble manifestement illicite, le juge des référés pourrait hésiter, en matière de climat, à ordonner à une entreprise pétrolière française d’adopter des mesures préventives pour prévenir les dommages climatiques créés par son activité, en raison notamment de l’incertitude scientifique les entourant et leur caractère non imminent. De ce fait, depuis déjà plusieurs années, il a été proposé, à l’occasion de différents travaux doctrinaux menés sur le principe de précaution – principe fondateur du droit de l’environnement –, d’assouplir les conditions exigées au titre des différents référés, tels que

505 V. encore récemment, M. Mekki, Le droit privé de la preuve… à l’épreuve du principe de précaution, D., 2014, p. 1391.

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l’urgence relative aux mesures à prendre, leur absence de contestation sérieuse, l’imminence du dommage et, donc également sa certitude, dès lors que le risque de dommage en jeu pourrait être d’une importante gravité. Comme l’indiquait Anne Guégan dans un article fondateur sur « L’apport du principe de précaution en droit de la responsabilité civile »506 : « pour mieux prendre en compte le principe de précaution, il serait possible d’imaginer une redéfinition des pouvoirs du juge, soit par le législateur, soit par lui-même »507. Il s’agirait alors, pour reprendre les mots plus récents de Soraya Amrani-Mekki de créer « un référé environnemental spécial »508. Ici le législateur pourrait trouver inspiration du côté des Philippines qui, comme le montrent Marthe Fatin-Rouge Stefanini et Laurence Gay dans cette étude, par le biais de règles procédurales spéciales (« Rules of Procedure For Environmental Cases ») adoptées en 2010 par le « Sous-comité aux règles de procédures pour les affaires environnementales », a créé différentes actions dans le domaine de l’environnement, dont des référés environnementaux spéciaux.

Dans tous les cas, que l’action, en référé ou au principal, permette au juge, à son issue, de rendre une décision tournée vers l’anticipation de la réalisation des dommages futurs certains ou incertains dès lors qu’ils pourraient être graves, l’idée est la même : adapter la solution judiciaire à la spécificité des dommages environnementaux qui, pour certains, se déroulent dans un contexte d’incertitude scientifique et de long terme, faire émerger un droit processuel de l’environnement509.

Toutefois, parce que l’anticipation des dommages implique d’adopter des mesures spécifiques, une seconde évolution est souhaitable. Elle consiste, en aval de l’action, à davantage affiner les mesures appropriées à la prévention des dommages environnementaux.

2) L’affinement des mesures préventives prescrites à l’issue de l’action en