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La création souhaitable d’un parquet environnemental

Les règles gouvernant le cours de l’instance : le défi de la nature complexe des faits du litige

Section 1- Les règles probatoires : une évolution difficile

1) La création souhaitable d’un parquet environnemental

Si le principe de spécialisation environnementale du parquet doit être admis, en revanche, il restera à l’avenir à déterminer les conditions de la réforme y conduisant. Il faut rappeler que le parquet a pour mission de requérir l’application de la loi et de mener l’action publique au nom des intérêts de la société, et non de juger et trancher le litige. Or, la spécialisation pourrait tout à la fois renforcer les poursuites et permettre aux juges de mieux

416 Trois ont été mis en place mais seulement deux fonctionnent réellement. Le 1er Tribunal environnemental, Antofagasta, a été autorisé mais non constitué. Le 2e Tribunal environnemental, Santiago est actif, comme le 3e Tribunal environnemental, Valdivia.

417 S. Valdès de Ferari, « The role of a non lawyer in an environmental Court », Energie-Environnement-

Infrastructures, août 2016, dossier 18 ; R. Asenjo, « L’action en réparation du préjudice écologique et

l’expérience du Tribunal environnemental de Santiago », Énergie-Environnement-Infrastructures, août 2016, dossier 17.

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conduire l’action pénale.

Maître Sébastien Mabile a montré au cours de la recherche la nécessité d’une telle spécialisation du parquet418. Il rappelle en effet que nombre d’actions en réparation des préjudices résultant d’une atteinte à l’environnement sont portées devant le juge pénal, les atteintes à l’environnement se rattachant souvent à la commission d’une infraction et les victimes ont tendance à greffer leur action civile à l’action publique pour contourner les problèmes de preuve. Or, le « filtre » des affaires pénales est réalisé par le Parquet. En 2016, selon le ministère de la Justice, seules 18 % des infractions signalées dans le domaine environnemental ont fait l’objet de poursuites pénales, contre 46 % pour l’ensemble des infractions. Pourtant, le taux d’auteurs « poursuivables » est similaire à celui des autres types d’infractions. L’auteur estime qu’une spécialisation du parquet permettrait de poursuivre davantage les infractions et, en cela, renforcer l’effectivité du droit de l’environnement.

S’il s’agit d’une première justification, d’autres raisons, qui ne sont pas sans lien, nous semblent militer en ce sens. À la suite d’un entretien réalisé avec Xavier Tarabeux, Procureur de la République près le TGI de Marseille, il nous semble surtout que la spécialisation du Parquet aurait le mérite de répondre davantage aux difficultés résultant de la complexité des faits du litige. En étant formés aux problématiques environnementales et en concentrant leurs temps sur ces dernières au grès des affaires, les membres du Parquet seraient plus à même d’apprécier la complexité des faits, notamment en ce qui concerne les préjudices écologiques et la causalité, pour mener le cours de l’action publique, tout au long de l’enquête préliminaire et de l’instruction. Selon ce magistrat, « Comme pour la grande criminalité (dont l’activité peut d’ailleurs porter des atteintes à l’environnement avec en particulier les trafics de déchets), pour la santé publique, où les accidents collectifs, le regroupement au sein de juridictions désignées des affaires d’atteintes graves à l’environnement favoriserait une rationalisation des moyens (avec notamment le concours d’assistants spécialisés) et une spécialisation de magistrats qui seraient plus particulièrement formés à ces contentieux ». Ainsi, sur le principe, la spécialisation du parquet s’avère une solution pertinente tant elle pourrait, in fine, participer d’une meilleure effectivité du droit de l’environnement, en favorisant les poursuites et en améliorant l’enquête et l’instruction. Reste à savoir quelle

418 Voir sa tribune dans le journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/12/il-faut-creer-un-

parquet-national-environnement_5184255_3232.html. Sur ce développement, voir en particulier sa proposition lors de la rencontre de l’UICN : http://uicn.fr/wp-content/uploads/2018/06/280518-uicn-fr-parquet- environnement.pdf

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forme elle pourrait prendre.

En effet, si spécialisation il y a, une réforme devra déterminer en premier lieu les compétences du parquet environnemental. Pour Sébastien Mabile, la spécialisation pourrait intégrer les affaires d’installations classées, de police de l’eau et de la nature, d’espèces protégées, de police des paysages et du patrimoine culturel et historique ou de réparation du préjudice écologique, par exemple. Elle devrait être élargie aux infractions relevant du code de l’urbanisme, du code forestier, du code rural et de la pêche maritime ainsi qu’aux contentieux connexes tels que celui de la santé publique. Pour Xavier Tarabeux, c’est surtout le critère de gravité et complexité de l’affaire qui devrait être pris en considération. Ainsi pourrait-on confier à un parquet spécialisé les affaires environnementales les plus graves et/ou les plus complexes, demandant une forte compétence des juges.

En second lieu, se posera la question de la localisation de ces parquets. Au vu de la spécificité des problématiques environnementales, différentes selon les régions, il conviendrait avant tout de réfléchir à la possibilité d’une implantation locale des magistrats du ministère public. Une politique pénale efficace impose des déclinaisons locales pour s’adapter aux enjeux environnementaux du terrain, et un meilleur dialogue avec les administrations spécialisées. En ce sens, comme Sébastien Mabile, Xavier Tarabeux plaide pour que les litiges environnementaux relèvent de la compétence d’une juridiction régionale (ressort d’une cour d’appel ou de plusieurs cours).

Il pourrait aussi être créé un parquet pour l’environnement d’ordre national. Pour Sébastien Mabile, c’est davantage cet échelon qui se verrait attribuer les affaires d’une grande complexité en droit de l’environnement, de la santé publique et de l’urbanisme et permettrait d’impulser une politique pénale nationale environnementale qui fait aujourd’hui défaut, en rassemblant des professionnels de très haut niveau, y compris dans les domaines scientifiques et techniques419. Dans ce cas, un tel parquet spécialisé pourrait aussi devenir l’interlocuteur privilégié des juridictions étrangères en matière de lutte contre la criminalité environnementale internationale.

En dernier lieu, la réforme devra déterminer la qualité et la quantité de magistrats qui

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pourraient occuper cette fonction. Surtout, parce que le but n’est pas que ces magistrats se substituent aux scientifiques, mais qu’ils acquièrent des connaissances et automatismes relatifs aux affaires environnementales, il faudra veiller à ce qu’ils bénéficient des lumières d’experts sur ce point. Des experts aux compétences scientifiques exigées devraient ici être nommés comme assistants au sein du parquet.

Souhaitable, cette réforme est aussi possible comme le montrent le droit comparé et les premières manifestations françaises. Un tel modèle de parquet environnemental existe en effet déjà à l’étranger et, dans ce cas, est organisé différemment selon les modèles de justice et les traditions juridiques. Il en est ainsi en Espagne (parquet national pour l’environnement et l’urbanisme), en Suède (unité nationale du parquet pour l’environnement) au Royaume-Uni (Agence pour l’environnement), au Brésil (ministère public fédéral pour l’environnement et le patrimoine culturel), en Argentine (parquet national dédié) ou encore aux USA (Environmental Protection Agency (EPA) qui dispose d’un service d’enquêtes pénales spécialisées et de compétences en matières civile et administrative). Quant au droit français, s’il existe déjà une spécialisation du parquet pour des litiges à cheval parfois sur le droit de l’environnement, tel les pôles santé publique (près des TGI de Paris et Marseille) et les juridictions interrégionales spécialisées (les JIRS) qui regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction possédant une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière dans des affaires présentant une grande complexité, dans le domaine spécifiquement environnemental, une circulaire du 30 avril 2015 concernant les orientations de politique pénale en matière d’atteintes à l’environnement a invité les différents parquets, dans chaque ressort de Tribunal, à identifier un magistrat référent dans le domaine environnemental. Ces derniers doivent figurer dans les organigrammes des parquets. La spécialisation du Parquet environnemental français irait bien sûr plus loin en regroupant plusieurs magistrats compétents dans les poursuites des infractions environnementales. Reste à savoir s’il ne faudrait pas aller plus loin et créer de vraies juridictions environnementales.

2) La prudence à l’égard de la création de juridictions environnementales

La question est ici de savoir si la spécialisation ne devrait pas aussi concerner les magistrats ayant vocation à juger, et non seulement à poursuivre et instruire. Faudrait-il créer des tribunaux environnementaux au sein desquels l’ensemble des juges, qu’ils relèvent du parquet ou du siège, de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire, auraient vocation à ne statuer