Conclusion du chapitre
1 L’éventail est valable pour les individus qui ont répondu et qui
3.3. Des systèmes de production en forte mutation
3.3.1. Des pratiques agricoles centrées sur la culture de quinoa
3.3.1.2. Rendements, bénéfices et destinations des productions
L’estimation des rendements de quinoa doit tenir compte de la production proprement dite de graines de quinoa, mais également des sous‐produits. Le premier concerne les déchets de culture (tiges, feuilles) laissés sur la parcelle et consommés par les animaux. Le second, appelé
jipi, est constitué de la poussière résultant du vannage et de tout petits grains. Il est transformé
en pâte (lejía) pour la consommation traditionnelle de la feuille de coca.
Les données sur les rendements en quinoa‐grain par hectare sont très variables. Selon les estimations du programme Equeco, ces rendements varient entre 0 et 3 000 kg/ha. Ces rendements fluctuent en fonction de l’écosystème cultivé : si un producteur de plaine peut escompter récolter 500 kg/ha, celui de piémont récoltera 1000 kg par hectare et le producteur de montagne de 1 500 à 2 000 kg (R. Joffre, communication personnelle, 2008). Le rapport est donc de un à quatre. Cependant, les différences interannuelles dues au climat sont importantes, ainsi que les variations entre parcelles localisées au sein d’un même écosystème. Certaines parcelles ne seront pas récoltées à cause du gel ou seront très fortement attaquées par des insectes, par exemple.
En plus des contraintes climatiques et phytosanitaires que l’on trouve notamment dans les parcelles de plaine, certains facteurs techniques affectent aussi le rendement final : ‐ la mauvaise qualité des sols ou l’exposition peu favorable des parcelles ; ‐ la « fatigue » des parcelles, surtout si elles n’ont pas été enrichies avec de l’engrais ; ‐ l’irrégularité du labour mécanique ; ‐ l’uniformité du semis mécanique, sans attention à lʹhumidité du lit de semence ; ‐ le fait que la récolte n’ait pu se faire qu’en une seule fois.
Lorsque ces facteurs adverses sont cumulés, comme cʹest le cas fréquemment en plaine, les rendements deviennent médiocres, notamment lorsque lʹitinéraire technique est très mécanisé.
En montagne, en revanche, les parcelles sont moins fréquemment touchées par les attaques d’insectes ou par le gel, et les pratiques de culture sont plus soignées, ces parcelles connaissent donc de plus faibles variations de rendement. Mais la sécheresse reste, comme en plaine, une menace.
Les coûts de production par hectare, comme pour la main‐d’œuvre, ne peuvent être estimés qu’en termes de fourchettes de valeur (pour le détail, voir Annexe 13). Dans les modes de calcul présentés ici, toutes les opérations sont chiffrées, y compris la main‐d’œuvre non rémunérée. Selon trois sources différentes (Félix, 2004 ; Acosta Alba, 2007 ; Fundación Autapo, 2008), le coût de production d’un hectare de quinoa en plaine mécanisé oscille entre 159 et 340 USD. De toute évidence, le recours à une main‐d’œuvre « gratuite », cʹest‐à‐dire généralement familiale, est la seule marge de manœuvre possible pour réduire les coûts de production. La différence entre les revenus tirés de la culture et les coûts de production, autrement dit le bénéfice, fluctue donc en fonction des ressources en main‐d’œuvre et, de toute évidence, selon le prix de vente du produit. Pour un hectare de culture mécanisée en plaine, avec un coût de mise en culture évalué à 340 dollars, le producteur va récolter 500 kg vendus à 200 USD pour 100 kg (moyenne sur la période d’étude), soit un bénéfice de 660 USD à l’hectare. Ce bénéfice représente, quoiqu’il en soit, un gain relativement élevé au regard des niveaux de vie dans la région, à condition que l’ensemble de la production puisse être vendue. Précisons enfin que pour les cultures en montagne, les coûts de production sont plus élevés mais les rendements sont supérieurs. Le bénéfice peut donc atteindre pour un hectare de quinoa de montagne plus de 1300 dollars62. On doit ajouter à ce bénéfice, celui des déchets de la récolte donnés aux animaux ainsi que la vente de jipi.
La destination de la production est de plusieurs types. Pour lʹannée 2008, le Ministère bolivien du développement rural estimait que le marché intérieur représentait 80% de la production nationale (en volume) et lʹautoconsommation 65% (Ministerio de Desarrollo Rural y Tierra 2009 : 30). Mais ces données sont en cours de révision, et le marché intérieur pourrait ne représenter que 40% en volume de la production nationale (T. Winkel, communication personnelle, 2010). Malgré lʹabsence de statistiques fiables, nous savons par observation que la part de production vendue est aujourdʹhui très élevée. Comme décrit p. 96, les producteurs ont le choix de leur mode de commercialisation : soit directement à des coopératives ou sociétés privées lorsqu’ils produisent de la quinoa biologique, soit au marché de Challapata, soit encore à des intermédiaires qui viennent dans les villages (le troc contre des produits de consommation courante est encore pratiqué). La part de la production non commercialisée se répartit entre l’autoconsommation (chaque famille garde plusieurs sacs), les semences conservées pour la saison suivante et le paiement en nature des travailleurs agricoles.
Parmi les sous produits, le jipi consumé puis mélangé à d’autres produits donnera la lejía consommée dans la famille et/ou vendue. Les autres déchets de culture (tiges essentiellement) sont consommés prioritairement par le troupeau du producteur s’il en a, et, éventuellement, par les troupeaux de l’ensemble de la communauté. On retrouve ainsi la configuration décrite par B. Kervyn (1992 : 459) à savoir que « le pâturage est privé au début, lorsque les résidus de récolte sont abondants et ne devient collectif que lorsque la récolte se termine. ».
Pour ceux qui voudraient saisir lʹopportunité du nouveau système de production de la quinoa apparu dans l’Altiplano Sud, les prises de décisions et les formes de gestion agricole restent fortement conditionnées par les contraintes du calendrier des opérations culturales. Conformément à ce calendrier, le défrichage se fait l’année n pour une récolte à l’année n + 2,
soit un bénéfice deux ans après le premier investissement dans le défrichage. C’est là un facteur très important à considérer dans la compréhension des arrangements pour la culture. En effet, certains producteurs n’ont pas les moyens d’attendre le retour sur investissement sur une période si longue. Ils n’ont pas le capital suffisant pour « tenter » la quinoa, d’autant plus dans un contexte marqué par de forts aléas climatiques (vent, gel, sécheresse). C’est d’ailleurs l’une des raisons qui incite de nombreux producteurs à se désengager des risques à courir, en confiant leurs parcelles à d’autres membres de la communauté.
Par ailleurs, ce calendrier a des implications fortes sur la réactivité du système, et plus précisément sur le décalage de réaction suite, par exemple, à une envolée des prix du marché. Généralement, une hausse des prix de vente est une incitation à la mise en culture, mais dans le cas de la quinoa, cette mise en culture ne se fait qu’au mois de janvier (labour dʹune parcelle défrichée disponible) pour une récolte un an et demi plus tard. Pour cette raison, la spéculation commence à s’installer. Certains choisissent de cultiver de grandes surfaces, quelles que soient les conditions présentes du marché, de manière à toujours garantir une récolte et donc, à profiter de prix élevés éventuels. Dans le cas où finalement le prix de vente est trop bas, le producteur peut stocker sa récolte et attendre un cours meilleur.