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La remise des avoirs 1. Questions de fond

CorrUption AnD thE EUropEAn Union

C. La remise des avoirs 1. Questions de fond

La restitution des avoirs devrait en principe être opérée en faveur de l’Etat dans lequel la corruption a eu lieu. Quid si les gouvernants de cet Etat sont eux-mêmes corrompus ? Cette question, qui ne relève pas du paternalisme ou d’un mépris pour les institutions d’un autre Etat, soulève de réels pro-blèmes. Elle a été quelquefois contournée par la remise des avoirs à des or-ganismes internationaux afin de s’assurer de leur utilisation dans l’intérêt de la population de l’Etat dans lequel la corruption avait eu lieu. Lorsque les banques suisses ont été confrontées à cette situation, des voix n’ont pas manqué de stigmatiser le refus de remise des fonds en arguant de l’intérêt de ces banques à assurer la permanence de ces fonds en Suisse. Ce raison-nement a été battu en brèche dans l’affaire Marcos, puisqu’en définitive le Tribunal fédéral a autorisé la remise à l’étranger des sommes détenues par des fondations ou entités apparentées au clan Marcos ; et ce alors même

26 Cf. en particulier ATF 129 II 268 et 131 II 169.

que ce dernier était décédé, que la preuve de l’existence d’une procédure pénale à l’étranger n’avait pas été rapportée, et que les procédures auto-nomes de confiscation initiées à l’étranger n’avaient pas abouti. L’un des motifs invoqués tenait, en résumé, à la volonté de ne pas ternir ultérieure-ment la réputation de la place financière suisse.

S’inspirant de la position du Tribunal fédéral27, le Message28 du Conseil fédéral à l’appui de la ratification du Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre la Suisse et le Mexique29 reprend ce concept et prévoit à l’article 12 la possibilité spécifique de remettre des avoirs en re-nonçant à la production par l’Etat requérant d’une décision de confiscation définitive et exécutoire. Le Message fait ensuite référence au fait que la ju-risprudence fédérale30 considère qu’il n’est pas dans l’intérêt de la Suisse d’être un refuge pour des valeurs qui sont le produit du crime.

Si des victimes privées, personnes physiques ou morales, existent, la remise devra avoir pour objet la restitution à ces dernières des biens transférés. L’esprit des conventions internationales et la lettre de la légis-lation suisse permettent d’envisager à tous les stades de la procédure une telle remise, mais en règle générale sur décision définitive et exécutoire de l’Etat requérant. La Convention de Mérida ne semble pas prévoir un autre système puisqu’elle stipule à son article 57 III lit. a que dans le cas de la soustraction de fonds publics, il faut le prononcé d’une confiscation

“sur la base d’un jugement définitif rendu dans l’Etat Partie requérant”.

L’Etat requis peut toutefois renoncer à cette exigence (comme en droit suisse) et restituer quand même les biens confisqués. Dans les cas de cor-ruption proprement dits31, le mécanisme prévu est le même. On semble cependant viser ici le cas dans lequel c’est l’Etat requérant qui est lui-même lésé. En présence de lésés autres que l’Etat étranger, la restitution est alors prioritaire32.

27 ATF 131 II 169 précité.

28 Message du Conseil fédéral concernant le Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre la Suisse et le Mexique, du 25 octobre 2006, FF 2006 8651.

29 Traité du 11 novembre 2005 d’entraide judiciaire en matière pénale entre la Confé-dération Suisse et les Etats-Unis du Mexique, en vigueur le 15 septembre 2008, RS 0.351.956.3.

30 ATF 131 II 169.

31 Art. 57 III lit. b de la Convention de Mérida.

32 Art. 57 III lit. c de la Convention de Mérida.

2. La procédure

Quant aux garanties procédurales, force est de constater que l’on n’en trouve aucune dans la Convention de Mérida, sinon par référence au droit interne de l’Etat requis. Seule la protection du tiers de bonne foi semble être assurée. En droit suisse, la procédure prévue par l’EIMP prévoit le droit de contester la décision de remise, avec un droit de recours auquel s’attache un effet suspensif tant durant le délai de recours qu’en cas d’exer-cice de ce droit. Outre l’absence de garanties procédurales spécifiques, on remarquera que le droit de l’Etat ayant procédé à la confiscation d’avoirs ou de biens est réservé. Cela semble résulter de l’article 57 I de la Convention de Mérida, qui prévoit pour l’Etat confiscateur la possibilité d’en disposer

“y compris en les restituant” tout en réservant la conformité au droit in-terne. Cette disposition ne permet pas de résoudre de manière concrète la question suivante : quid d’une décision de confiscation étrangère dont on demanderait l’exécution ? On pourrait envisager en droit suisse l’appli-cation des articles 94 ss EIMP. On connaît la difficulté posée par ce type de disposition figurant déjà aux articles 13 et 15 de la convention relative au blanchiment33 du Conseil de l’Europe. Retenons que selon la pratique suisse, la confiscation d’avoirs sur lesquels une victime pourrait avoir des droits permettrait l’application de l’article 73 CP, soit l’allocation au lésé.

Ce n’est véritablement que dans le cadre des crimes sans victime que la confiscation en Suisse aurait un sens, la restitution ou l’allocation devant toujours avoir la priorité.

On se souviendra en effet que la confiscation n’a pas pour seul résultat de faire en sorte que “le crime ne paie pas”, mais d’attribuer également à l’Etat confiscateur la propriété sur les biens litigieux. On conçoit diffici-lement dans ces circonstances quelles garanties procédurales pourraient être données à la personne physique ou morale contestant l’exécution d’une décision de confiscation prononcée à l’étranger.

33 Convention du Conseil de l’Europe no 141, relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, du 8 novembre 1990, entrée en vigueur pour la Suisse le 11 septembre 1993, RS 0.311.53.

VII. Conclusion

La manifestation de la volonté des Etats de coopérer dans la lutte contre la corruption ne s’accompagne pas systématiquement de mesures permettant de rendre efficaces ces déclarations d’intention. Sur le plan de la coopé-ration internationale, si l’on demande aux Etats de s’entraider, les instru-ments pour le faire ne sont fournis que par référence à des conventions ou traités déjà existants, sans progrès ou innovation résultant des accords spécifiques à la lutte contre la corruption. Enfin, si des efforts notables ont été accomplis dans le cadre de la possible restitution des avoirs issus de la corruption, force est de constater que l’on ignore les garanties procédurales et que les mécanismes mis en œuvre d’exécution d’une décision étrangère de confiscation pourraient se heurter à l’affirmation de la souveraineté d’un autre Etat.

Quant à la protection de la personne physique ou morale contre la multiplicité des poursuites, voire des jugements, il faut ici encore déplorer l’absence complète de dispositions conventionnelles à cet égard.