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Le caractère limité de l’obligation de poursuivre

Pas de corruption

C. La mise en œuvre de la solidarité internationale dans la répression

3. Le caractère limité de l’obligation de poursuivre

L’obligation de poursuivre sur la base du principe aut dedere aut iudicare est prévue dans les trois conventions, mais uniquement si l’extradition est refusée du fait qu’elle vise un ressortissant de l’Etat requis20. L’Etat requis est alors tenu, “à la demande de l’Etat Partie requérant l’extradition, de

19 Commentaire romand, Code pénal I – Henzelin, Art. 6 N 14 ; Basler Kommentar, Strafrecht I – Popp / Levante, Art. 6 N 1, 5 ; Trechsel S. / Vest H., Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, Zurich (Dike) 2008, Art. 6 N 1 ; Stratenwerth G. / Wohlers W., Schweizerisches Strafgesetzbuch, Handkommentar, 2e éd., Berne (Stämpfli) 2009, Art. 6 N 1 ss ; cf. également le Message du Conseil fédéral concernant la Conven-tion européenne pour la répression du terrorisme et la modificaConven-tion du code pénal suisse, du 24 mars 1982, FF 1982-11, 6.

20 Art. 10 § 3 COCDE ; art. 42 CNUCC ; art. 17 § 3 CPCCE.

soumettre l’affaire sans retard excessif à ses autorités compétentes aux fins de poursuites”21.

La COCDE dispose, par ailleurs, à son art. 5 (“mise en œuvre”), que les parties “ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt éco-nomique national, les effets possibles sur les relations avec un autre Etat ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause”.

4. … et la pratique ?

Le fait de signer une convention et même de se soumettre à des évaluations mutuelles ne signifie pas encore que la volonté de combattre la corruption internationale est réelle et ne souffre pas d’exceptions. L’expérience montre que la volonté de favoriser les intérêts économiques nationaux peut se dis-simuler derrière des prétextes plus ou moins hypocrites, à l’exemple du “se-cret défense” invoqué par la France dans l’affaire des paiements soupçon-nés d’illicéité dans le cadre de la vente de frégates par Thomson à Taïwan22. Le conflit le plus douloureux et le plus emblématique à ce propos a éclaté dans l’affaire BAE Systems, concernant des soupçons de corruption dans le cadre d’une vente d’avions militaires pour £ 43 milliards à l’Arabie saoudite ; le soupçon portait notamment sur le versement d’un pot-de-vin de £ 1 milliard à un membre de la famille royale.

Il va de soi que l’Arabie saoudite se targue de posséder une législation moderne et complète en matière de corruption23. Il va de soi aussi qu’elle n’avait aucun reproche à formuler à propos de ce paiement.

21 Art. 44 § 11 CNUCC ; cf. aussi art. 10 § 3 COCDE et art. 27 § 5 CPCCE.

22 ATF 130 II 247, consid. 4, p. 248, qui rappelle que “[…] dans le cadre de la procédure pénale ouverte en France, les Juges Van Ruymbeke et de Talancé ont demandé en vain la ‘déclassification’ des pièces détenues par Thales, ainsi que des déclarations que pourraient faire les témoins (notamment les cadres ou anciens cadres de Thomson) au sujet du contrat des frégates”. Dans la procédure d’entraide à la requête du Liechten-stein, le Tribunal fédéral estima, cependant, que ce secret protégé en France n’était opposable ni à la Suisse (pays requis), ni au pays requérant.

23 Cf., par exemple, le texte signé par un collaborateur du Ministère de l’intérieur d’Ara-bie saoudite, publié sur le site de The United Nations Asia and Far East Institute for the Prevention of Crime and the Treatment of Offenders (UNAFEI) : Alharbi Aki Khalaf S., An Overview of the Saudi Arabian Criminal Justice Procedures Against Corrup-tion in the Public Sector, disponible sous : www.unafei.or.jp/english/pdf/PDF_rms/

no77/15_p123-130.pdf (dernière consultation 01.11.2010).

Au Royaume-Uni, une enquête a été ouverte en 2004 par le Serious Fraud Office (SFO). L’entraide a été demandée à la Suisse, en raison de certains paiements ayant été versés par ou sur des comptes bancaires en Suisse. La justice fédérale est entrée en matière, a bloqué des comptes et ou-vert une procédure locale pour blanchiment d’argent contre des personnes soupçonnées d’avoir agi comme intermédiaires.

BAE Systems est intervenue à plusieurs reprises pour obtenir l’aban-don de l’enquête anglaise, en invoquant des intérêts commerciaux, soit la perspective d’un nouveau contrat plus important encore avec l’Arabie saoudite. Les autorités du Royaume-Uni se sont engagées de manière répé-tée, vis-à-vis de l’OCDE, à ne pas céder et à respecter scrupuleusement les obligations découlant de l’art. 5 COCDE24. Ce nonobstant, le SFO a mis fin à l’investigation en 2006, en invoquant le motif d’une menace grave contre la sécurité publique, du fait que l’Arabie saoudite avait menacé de mettre fin à toute coopération dans la lutte contre le terrorisme si l’enquête n’était pas abandonnée.

L’affaire a été portée devant la justice par des ONG. Dans son jugement du 10 avril 200825, la High Court of Justice (Queen’s Bench Division, Ad-ministrative Court) a considéré que le directeur du SFO avait violé l’art. 5 COCDE et agi de manière illicite en abandonnant l’enquête. En effet, selon l’opinion de la Cour, la menace de la sécurité publique invoquée ne pouvait être distinguée des “effets possibles sur les relations avec un autre Etat” que l’art. 5 interdit de prendre en considération.

Sur recours du gouvernement, la Chambre des Lords, dans son juge-ment du 30 juillet 200826, a considéré que la décision du directeur du SFO était parfaitement légale et justifiée, vu la menace qui avait été formulée par l’Arabie saoudite (“the ugly and obviously unwelcome threat”). D’après

24 L’OCDE est intervenue à plusieurs reprises pour rappeler le Royaume-Uni à ses devoirs.

Elle a établi un rapport très sévère (OCDE, Royaume Uni [phase 2bis] du 16 octobre 2008) : Rapport sur l’application de la Convention et de la recommandation révisée de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, p. 29-31.

25 High Court of Justice (UK), jugement du 10 avril 2008, affaire CO/1567/2007 : The Queen on the Application of Corner House Research and Campaign against Arms Trade v. The Director of the Serious Fraud Office and BAE Systems Plc, [2008] EWHC 714 (Admin).

26 House of Lords, session 2007-2008 [2008] UKHL 60, R (On the Application of Corner House Research and Others) v. Director of the Serious Fraud Office, disponible sous : www.publications.parliament.uk/pa/ld200708/ldjudgmt/jd080730/corner-1.htm.

la Chambre des Lords, l’art. 5 COCDE n’interdit nullement de prendre en considération des périls de ce type. La menace invoquée était celle de refu-ser de coopérer en matière de terrorisme, mais personne n’était dupe quant à la nature réelle des intérêts en jeu27.

C’est finalement le bras long de la justice états-unienne qui a rattrapé BAE Systems. Une enquête a été ouverte pour différentes affaires, dont celle de la vente d’armes à l’Arabie saoudite. Après avoir proposé un plea bargain, BAE Systems a été condamnée à une amende de US$ 400 millions le 1er mars 2010, pour diverses charges, dont celle d’avoir trompé les autori-tés américaines en promettant de respecter la législation anti-corruption, notamment les principes découlant du FCPA et de la COCDE. La compa-gnie anglaise BAE Systems Plc. détient plusieurs filiales incorporées aux Etats-Unis et a été amenée, en 2000 déjà, à s’engager vis-à-vis du Secrétaire de la défense à mettre sur pied un programme complet de lutte contre la corruption et à veiller à ce qu’aucune compagnie du groupe ne soit utilisée pour violer le FCPA. Cet engagement avait été violé, entre autres, par le paiement de montants substantiels à un agent public du Royaume d’Arabie saoudite occupant une position d’influence28.

27 Il convient de relever que le Royaume-Uni a considérablement amélioré sa législation anti-corruption en adoptant le Bribery Act 2010 du 8 avril 2010, dont l’art. 12 définit largement les principes de la territorialité et retient non seulement la nationalité et la résidence, mais aussi le lieu d’incorporation comme fondement de la compétence (Explanatory Notes, Bribery Act 2010, p. 10). En vertu de l’art. 7, la responsabilité de l’entreprise pour ne pas avoir empêché la corruption peut, par ailleurs, être établie à l’égard de “any other body corporate (wherever incorporated) which carries on a busi-ness, or part of a busibusi-ness, in any part of the United Kingdom”. L’avenir montrera si cette loi est un tigre de papier ou l’expression de bonne foi d’une volonté d’agir. La loi n’est d’ailleurs toujours pas en vigueur à l’heure où nous finalisons cette contribution (février 2011), car son entrée en vigueur a été renvoyée à deux reprises en raison des critiques exprimées par les milieux économiques et financiers et l’insuffisance de la “Guidance” (ordonnance d’exécution) établie par le gouvernement (cf. Financial Markets Law Committee, Bribery Act 2010 : Analysis of uncertainty around the Bribery Act 2010, FMLC Papers no 160, novembre 2010).

28 United States District Court for the District of Columbia, USA v. BAE Systems Plc., Statement of offense, III. C, ch. 40, disponible sous : www.justice.gov/criminal/pr/

documents/03-01-10bae-plea-%20agreement.pdf ; les documents relatifs à cette condamnation négociée sont disponibles sur le site internet du Département amé-ricain de la justice (www.justice.gov), rubrique “Justice news”, 1er mars 2010, “BAE Systems PLC Pleads Guilty and Ordered to Pay $400 Million Criminal Fine”.