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Questions juridiques de fond

“oiL for fooD” : EnjEUx Et DiffiCULtés

IV. Questions juridiques de fond

Avant de tirer des conclusions et de comparer cette expérience avec la si-tuation d’enquête habituelle dans les cas de corruption transnationale, il convient de mentionner que les autorités nationales qui se sont penchées sur les dossiers présentés par le comité d’enquête se sont trouvées en dif-ficulté pour qualifier correctement ces “surcharges” au regard du droit matériel.

En effet, même si l’enquête a révélé certains cas dans lesquels des sommes étaient destinées à un fonctionnaire particulier, les fonds étaient dans leur très grande majorité versés dans la caisse officielle, le “divan pré-sidentiel”, afin de servir au gouvernement irakien à acquérir des armes et à payer des amis du système pour leurs services : les versements allaient donc à un Etat officiel, même si c’était un Etat “paria”.

S’il est vrai que le concept général de la corruption englobe également des paiements à des tiers, il est difficile de parler d’un “abus de pouvoir à des fins de gain privé” lorsque ce tiers est l’Etat présumé victime.

Pour les autorités judiciaires de nombreux pays, il en découlait que les “surcharges” devaient être traitées comme constitutives d’infractions contre le régime des sanctions de l’ONU, infractions généralement répri-mées au titre de simples contraventions et soumises à un délai de prescrip-tion très bref, rendant illusoire l’applicaprescrip-tion de ces disposiprescrip-tions aux affaires liées à “Oil for Food”.

V. Conclusion

Quelles sont, dès lors, les enseignements à tirer de l’enquête “Oil for Food”

et, plus largement, des expériences de l’OCDE relatives à des centaines d’enquêtes internationales ?

Le premier est sans doute que, tout en respectant les règles de procé-dure et les principes de l’Etat de droit, il faut user en matière de corruption, lorsqu’elle est le fait des personnes au pouvoir, de tous les moyens mis à dis-position par le droit pénal, parmi lesquels la confiscation des gains illicites, la responsabilité des personnes morales et la responsabilité du gérant.

Par ailleurs, ces cas internationaux exigent de recourir à l’entraide judiciaire, laquelle dépend d’une part de normes techniques qu’il faut respecter à la lettre, d’autre part d’un élément politique qu’il y a toujours

lieu de prendre en compte. Ainsi, par exemple, trois pays se sont vu refu-ser, malgré leurs démarches officielles, l’accès aux données relatives à des comptes bancaires en Jordanie, alors que le comité d’enquête d’“Oil for Food” a pu convaincre les autorités de ce même Etat de coopérer en moins de deux mois.

Un autre exemple permet d’illustrer la manière dont le champ poli-tique peut être utilisé afin de forcer un pays à accorder l’entraide voulue : le “Tour de table” du Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption. Lors de chaque réunion plénière trimestrielle, les pays membres discutent de leurs cas spécifiques. Toutes les questions sont alors permises, y compris des questions très concrètes concernant des affaires citées dans les médias.

Il est même possible de s’enquérir de la suite donnée à une commission rogatoire, et l’OCDE peut s’engager à aider un Etat membre à obtenir une réponse lors du prochain tour de table. Le pays concerné sera alors publi-quement invité à répondre dans un délai de trois mois.

Enfin, il est probable que la Cour pénale internationale soit également amenée à se pencher sur la question du blocage d’avoirs, dans le cas des fonds de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes contre l’hu-manité ou des crimes de guerre et d’avoir dépossédé leurs victimes de leurs avoirs.

Citons l’exemple du président soudanais Omar al-Bashir, dont l’argent est vraisemblablement déposé en partie auprès de banques locales dans les places financières de l’est du Soudan. Ces fonds paraissent ainsi soustraits à l’emprise de la Cour pénale internationale. En revanche, il serait possible d’inciter ces banques dépositaires à communiquer l’existence de ces rela-tions d’affaires à la Financial Intelligence Unit locale, en lançant une action concertée, sur le plan mondial, pour éliminer les banques en question de la liste des banques correspondantes.

En résumé, il est, certes, nécessaire de respecter les règles de procé-dure, mais dans le domaine de la grande corruption transnationale, il faut aussi parfois savoir briser l’écran de protection politique en usant de moyens politiques et parfois même activistes.

LA rEstitUtion DEs vALEUrs issUEs DE LA CorrUption

Bernard Bertossa*

I. Introduction

Il est rare, pour ne pas dire exceptionnel, que des valeurs patrimoniales obtenues par la corruption puissent être revendiquées par des ayants droit déterminés. Ces valeurs ne pouvant dès lors être restituées (au sens de l’art. 70 al. 1 CP1) ni allouées (au sens de l’art. 73 CP) à des personnes ou à des collectivités lésées (au sens de ces dispositions), la question se pose de leur affectation lorsqu’elles sont confisquées et que les agents corrompus sont étrangers à la Suisse.

Les péripéties liées au sort des avoirs bloqués en Suisse et provenant de l’ancien dictateur haïtien Duvalier ont inspiré au Conseil fédéral le dépôt d’une loi topique2 que le Conseil des Etats a adoptée avec de légères mo-difications, approuvées à son tour par le Conseil national3.

Au-delà de ce que pourrait suggérer son titre, cette loi sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement ex-posées (LRAI) ne se limite pas à la restitution des valeurs concernées, mais s’étend à leur blocage provisoire, puis à leur confiscation.

Le dispositif mis en place se veut subsidiaire aux mécanismes prévus par le droit de l’entraide4. Cette subsidiarité s’applique également par rapport aux règles du code pénal régissant la confiscation5.

* Procureur général de Genève de 1990 à 2002, juge au Tribunal pénal fédéral de 2003 à 2007.

1 Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP).

2 Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (loi sur la restitution des avoirs illicites, LRAI). Message et projet sont publiés in FF 2010 2995 ss.

3 Les modifications concernent les art. 3 al. 2 (délai porté à 10 ans) et 8 (objectif de la restitution étendu au renforcement de l’état de droit dans le pays d’origine). La loi a été adoptée le 1er octobre 2010 ; FF 2010 5979 (délai référendaire au 20 janvier 2011).

4 Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l’entraide internationale en matière pénale (loi sur l’en-traide pénale internationale, EIMP), traités bilatéraux et conventions multilatérales.

5 Art. 69 à 73 CP.