• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Considérations méthodologiques et présentation des quartiers étudiés

2.2 Collecte des données

2.2.2 Remarques sur le recrutement et le déroulement de la collecte des données

Sans vouloir passer outre l’émergence et la diversification des types de ménages et des modèles familiaux qu’a connu le Québec depuis la fin de années 60 (Dagenais 2000)19, il a été décidé de ne pas inclure les familles monoparentales dans cette recherche. Les écrits existants démontrent qu'étant donné les contraintes économiques et de temps des familles monoparentales, celles-ci ont des rapports au quartier souvent différents des couples biparentaux avec enfant(s) (Ortiz-Guitart 2004; Robin 2003). Afin d'éviter le risque d'induire des rapports différenciés au quartier et dans une optique d'une plus grande homogénéité de notre échantillon pour des fins de comparaisons, il a été décidé de cibler les familles biparentales. On entend par famille biparentale des adultes cohabitant, mariés ou non, ayant au moins un enfant âgé de moins de 18 ans résidant à domicile. Le recrutement des participants pour les entrevues a été effectué selon la stratégie « boule de neige ». Les familles ont été recrutées après avoir été approchées dans les lieux publics ciblés pour l’observation ainsi que lors d’activités organisées dans le quartier. Des courriels d’invitation avaient été préalablement envoyés aux familles d’Ahuntsic et de Vimont-Auteuil par l’entremise d’organismes communautaires pour les familles, ainsi que par les services de garde (CPE et milieu familial), mais ce mode de recrutement s’est avéré être infructueux. Dans une optique de

19

La famille, l’institution de base de la société, a connu de profonds changements. Diminution du nombre de mariages au profit de l'union libre, baisse du nombre d'enfants, multiplication des divorces, développement des familles monoparentales et des familles recomposées ainsi que l’augmentation du nombre de personnes vivant seules : la cellule familiale est en redéfinition. La généralisation du travail salarié féminin est un élément central de la modification de la famille et de ses pratiques, « même si les modèles culturels opposent une forte inertie à la déconstruction des partages domestiques et parentaux » comme le souligne à juste titre Ascher (1998, 187). La volonté des femmes d'atteindre une plus grande autonomie et une meilleure intégration socioéconomique, l'apparition d'une économie familiale basée sur le ménage à double salaire pour subvenir à l'augmentation des besoins de consommation typiques des ménages de classes moyennes et supérieures, ainsi que l'accroissement de la demande pour une main-d'œuvre féminine dans le secteur tertiaire (Rose et Villeneuve, 1993 ; Chicoine, 2001) expliquent en partie ces transformations.

flexibilité et d’adaptabilité au terrain et à la population à l’étude, l’avenue privilégiée a donc été de recruter les familles dans les espaces qu’elles fréquentent au quotidien. La sollicitation des familles à l’entrevue a donné lieu à des discussions plus ou moins formalisées qui ont été de précieuses sources d’informations (Taplin, Scheld et Low 2002). Par exemple, plusieurs personnes approchées se mettaient sans préambule à parler de leur quartier, des raisons qui les avaient motivées à s’y installer, de même qu’aux défis de la conciliation travail-famille. Sans vouloir les brusquer en leur disant que c’était des questions qui seraient abordées plus en détail dans un entretien enregistré et au risque de perdre l’opportunité de rencontrer à nouveau ces familles à l’horaire bien chargé, l’option de mener des entrevues informelles plus ou moins courtes non enregistrées directement sur le terrain a aussi été retenue. Elles ont parfois donné lieu à des scènes cocasses (discussions en surveillant les enfants les deux pieds dans la pataugeoire, ou dans les gradins de l’aréna durant la pratique de patinage). Cette avenue était privilégiée en dernier recours s’il n’était pas possible de rencontrer les familles pour des entrevues approfondies enregistrées.

Le choix des interlocuteurs s’est opéré pour une bonne part grâce à des références de répondants potentiels en cours d’entretien. Certains participants ont été d’une aide significative en recrutant d’autres familles dans leurs réseaux respectifs, à savoir dans leur entourage (physique et affinitaire), dans leur milieu de travail ou dans leurs activités communautaires, culturelles ou sportives. Un maximum de cinq répondants par réseau ou par lieu de recrutement ont été sélectionné afin de favoriser la diversité des profils d’interviewés. Aucune rétribution monétaire n’était offerte aux participants. Les participants était invités à laisser leurs coordonnées s’ils souhaitaient être tenus au courant de l’avancement de la recherche, ainsi que des résultats.

Tel qu’il a déjà été souligné, le recrutement des familles a été beaucoup plus ardu à Vimont- Auteuil qu’à Ahuntsic, expliquant par ailleurs le nombre légèrement inférieur d’entrevues (24 vs 27). La morphologie de la banlieue lavalloise est ainsi faite qu’il y a peu d’espaces publics utilisés. De notre expérience, il a semblé y avoir moins d’activités organisées pour la famille à Vimont-Auteuil qu’à Ahuntsic, à l’exception des activités sportives. La clientèle des centres communautaires de Vimont et d’Auteuil étaient surtout composée de personnes âgées, rendant difficile le contact avec les familles pour les inviter en entrevue. Alors qu’à Ahuntsic, les activités à la bibliothèque ont permis de recruter pas moins de quatre familles lors d’un seul événement (Heure du conte pour enfants), le recrutement de familles lors d’activités organisées à la

bibliothèque Laure-Conan de Vimont a été un échec retentissant. Même chose pour les listes d’envoi aux garderies. À Ahuntsic, ce mode de recrutement a permis de rencontrer deux familles en entrevue. À Vimont-Auteuil, aucune des 7 garderies contactées par courriel n’a répondu à l’invitation. Après plusieurs tentatives infructueuses, les activités sportives, attirant foule à Vimont-Auteuil, ont finalement été un terrain de recrutement plus fertile.

L’autre défi a été de recruter des familles appartenant aux classes moyennes. Selon Statistique Canada, les ménages de la classe moyenne ont un revenu moyen situé entre 35 000 $ et 70 000 $20. On peut donc estimer que 2,5 millions de Québécois appartiennent à cette catégorie. Certains chercheurs repoussent à 100 000 $ la limite des revenus des membres de la classe moyenne, pour regrouper jusqu’à 5 millions de Québécois. Selon les différentes méthodes utilisées pour définir cette classe, on estime qu’entre 33 % et 66 % de la population du Québec font partie des classes moyennes. Mais faire partie des classes moyennes signifie des situations sociales et économiques souvent bien distinctes, variant en fonction de la possession de capitaux économique, social ou culturel qui se traduisent par une diversité de représentations sociales et d’usages du quartier, de même que par des stratégies résidentielles forts différenciées. La notion de classe est employée ici dans une perspective de stratification des conditions et des styles de vie plutôt que dans une débat (ou de lutte) de classe sociale.

En s’inspirant des travaux de Chauvel (2006) et de Cusin (2012), quatre critères sont utilisés pour baliser les contours des classes moyennes. Les ménages devaient se qualifier à au moins trois des quatre pour pouvoir participer à l’enquête :

1) Habiter dans un quartier « dit » de classes moyennes

Ahuntsic et Vimont-Auteuil comprennent une forte proportion de ménages à revenus moyens. Ils sont depuis longtemps associés aux classes moyennes tant dans les médias que de l’avis de ceux qui y habitent.

2) Avoir un revenu familial brut entre 40 000 $ et 120 000 $

Une conception extensive du revenu moyen a été employée. La limite supérieure du revenu familial brut a été haussée à 120 000$. Quelques ménages qui se considéraient comme faisant

20

partie des classes moyennes malgré des revenus inférieurs à 40 000 $ (n=6) ou supérieurs à 100 000 $ (n=12) ont été inclus.

Retenir le revenu comme indicateur pour caractériser la hiérarchie sociale est réducteur (Langlois 2010) et il ne peut à lui seul être utilisé comme marqueur de classe. Nous l’avons donc couplé à l’occupation socioprofessionnelle.

3) Occuper une position intermédiaire dans l’échelle des occupations socioprofessionnelles Ces professions comprennent les cadres intermédiaires/semi-professionnels, les cols blancs ou les cols bleus qualifiés dans des domaines aussi variés que la fonction publique, la santé, le privé, dans le domaine de la finance ou dans les technologies de l’information et des communications. Les professeurs (école primaire et secondaire, collège et université) et les professions intellectuelles supérieures sont aussi inclus.

4) S’auto-catégoriser en termes de classes moyennes

Le partage de lieux de résidence communs, de revenus similaires et de positions socio- économiques comparables n’est pas garant d’une homogénéité de classe au sein des couches moyennes (Bosc, 2008; Langlois, 2010). La réalité à laquelle elle renvoie est beaucoup plus éclatée en raison de l’hétérogénéité des origines sociales, des trajectoires résidentielles et des conditions d’existence entre les différents groupes qui la composent. L’appartenance de classe a aussi été utilisée pour éviter l’exclusion de membres qui pouvaient s’identifier aux classes moyennes sans nécessairement cadrer dans les critères de revenus et de professions.

Le statut d’occupation du logement implique des significations multiples, notamment au niveau de l’investissement physique, symbolique et financier dans le logement (Bonvalet et Dureau 2000). Puisque nous souhaitons traiter des choix résidentiels des jeunes familles dans la ville centre et en banlieue et de leurs rapports au quartier, il était impératif de contrôler l’échantillon pour le statut d’occupation. Il aurait été biaisé de comparer des ménages propriétaires de leur maison à Laval avec des familles locataires à Montréal. Un petit échantillon de locataires a donc été inclus dans la recherche. L’ancienneté de résidence est aussi étroitement liée à l’attachement

au quartier (Authier 2001; Fleury- ; Hooge et Bing 2009).

Nous souhaitions au départ recruter des familles résidentes du quartier depuis au moins trois ans. Face aux difficultés de recrutement et dans le but de mieux représenter la réalité d’une grande majorité des familles avec des jeunes enfants arrivées depuis peu à Ahuntsic et Vimont-Auteuil, il

a été décidé d’abaisser à un an (et parfois même un peu moins) le temps de résidence dans le quartier. Compte tenu du nombre important de critères de sélection des répondants qui complexifiait grandement le recrutement, il n’a pas été possible de contrôler pour l’origine ethnoculturelle. Autant que possible, nous avons essayé de diversifier l’origine ethnique des répondants telle qu’elle se donnait à voir dans les espaces publics du quartier.

Quelques précisions doivent être ici faites quant à l’impact de certains traits sociodémographiques de la jeune chercheure que je suis sur le déroulement de cette recherche. Tout d’abord, en soulignant à quel point le fait d’être une jeune femme a facilité le déroulement des observations et le recrutement en entrevue. Cette recherche n’aurait sûrement pas été possible si j’avais été un homme. Je m’explique. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de faire des observations dans les parcs. À l’exception des aires de jeux pour enfants ou des terrains de sports, ceux-ci étaient généralement plutôt vides. Je me suis assise à plusieurs reprises sur un banc de parc, tout près des modules de jeux, à observer les interactions qui s’y déroulaient. J’ai repéré à quelques reprises des regards suspicieux à mon endroit, n’étant pas accompagnée d’enfant, mais j’ai toujours réussi à me faire oublier. Blanche, d’origine québécoise, dans la fin vingtaine, trimbalant mon vélo, j’ai réussi à me fondre dans le paysage dans la plupart des situations. Il aurait été peu probable qu’un homme puisse observer sans attirer l’attention dans des endroits fréquentés par des enfants en bas âge (modules de jeux, pataugeoire et piscine). Peut-être était-il aussi moins intimidant ou menaçant pour une mère au parc avec ses enfants de se faire aborder par une autre femme?

J’ai eu l’occasion de rester à plusieurs reprises à discuter informellement avec des mères une fois l’entrevue approfondie (enregistrée) terminée. Ces discussions informelles où l’on me posait plus de questions personnelles, sur ma situation conjugale, familiale ou professionnelle ont été très instructives, parfois même plus que les entrevues formelles. Je peux dire avoir réussi à nouer de bons contacts avec plusieurs femmes qui, après leur avoir davantage parlé de moi, semblaient plus enclines à parler d’elles et des aspects plus problématiques de la vie familiale par exemple. Un compte-rendu le plus exhaustif possible de ces discussions non enregistrées était effectué après chaque entrevue.