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Chapitre 1. Recensions des écrits, cadre conceptuel, problématique et questions de

1.1 Recension des écrits

1.1.1 Du déclin à la renaissance : le quartier, un espace réactualisé

Le débat sur le statut et la signification du quartier n’a rien de nouveau comme en témoigne l’abondante littérature sur le sujet (Kearns et Parkinson 2001). Des tenants de l’École de Chicago à ceux de celle de Los Angeles, la manière de penser la ville est depuis longtemps imbriquée dans l’analyse des flux et de leurs effets sur le tissu urbain (Dear et Flusty 2002). Où le bât blesse est lorsque l’injonction à la mobilité nie l’ancrage dans les espaces de proximité (Rémy 1996). Cela va sans dire que l’accroissement de la mobilité – ces flux d’individus, de capitaux et d’informations facilités par le développement des technologies de communication, mais surtout de la sophistication et l’accélération des moyens de transport – transforme la morphologie des lieux, perturbent la gestion et l’organisation des espaces urbains, ainsi que les pratiques et les modes de vie citadins. Si certains ont revendiqué le triomphe des flux sur les lieux (Castells 1996), d’autres envisagent encore le quartier comme lieu de base de la vie sociale (Rémy 1996).

Dans cette toile de fond, est-il encore pertinent de se demander : qu’en est-il du quartier, ce riche laboratoire des sciences sociales et des études urbaines (Forrest 2008)?

La littérature francophone a été particulièrement féconde et éclaire bien les discussions entourant la place du quartier au sein des villes contemporaines. En faire la recension ne serait qu’approximatif et fastidieux, nous préfèrerons plutôt l’opposition quelque peu schématique (quoi que nuancée) de Dansereau et Germain (2002) sur les deux principales thèses: la thèse de la fin des quartiers et celle de la renaissance des quartiers.

La thèse de la fin des quartiers a été popularisée en France par Ascher (1995). Elle se veut la proclamation de la fin du quartier-village, de l’« urban villagers » (Gans 1962), de la « métaphore villageoise » de Grafmeyer (1994). Elle reprend des idées avancées dès les années soixante par Raymond Ledrut (1968) qui avançait que l’échelon sociologique du quartier n’a presque plus aucune existence effective. Dix ans plus tard, il allait plus loin en parlant de la « quasi inexistence sociale des quartiers » (Ledrut 1976). De « l’affaiblissement des sociabilités de voisinage » (Ascher 1995, 139) à la disparition des sociabilités de proximité (Piolle 1991), le quartier ne constituerait plus un espace social significatif pour ses habitants. Aux États-Unis, on parle aussi de la déterritorialisation des sociabilités et du déclin du quartier dans les relations de sociabilité, ou, autrement dit, de la fin du voisinage (Guest et Wierzbicki 1999; Wellman et Leighton 1970). Certaines caractéristiques attribuées à la ville contemporaine, telles que la mobilité, l’hétérogénéité, la liberté de choix, la superficialité des relations sociales, contribueraient à la fin du quartier comme cadre de référence pour ses habitants (Dubois-Taine et Chalas 1997; Genestier 1999). L’urbanisation rapide des dernières décennies et l’expansion continue de la mobilité constitueraient les « moyens et les figures de l’affranchissement » (Moquay 1997, 249). On parle désormais de communauté libérée de ses attaches locales (Ascher 1998; Giddens 1991; Twigger- Ross et Uzzell 1996; Wellman et Leighton 1970), ainsi que de la dissociation entre lieux de travail, de loisirs et d’habitat (Fortin 1988). L’individualisation des modes de vie, la montée des réseaux délocalisés et virtuels auraient érodé le sentiment de communauté et l’attachement au lieu (Castells 1996; Putnam 2007; Stolle, Soroka et Johnston 2008). Mais la thèse de la fin des quartiers peine à capter la complexité des relations sociales, des échanges, des pratiques et des expériences qui continuent de se jouer localement. Ainsi, comme le souligne Moquay, « conclure à la perte de sens de tout ancrage territorial serait en conséquence hâtif » (Moquay 1997, 251). Même si la communauté locale s’estompe, le problème du rapport au lieu reste entier.

C’est dans cette tendance que s’inscrit la thèse de la renaissance des quartiers, mise de l’avant notamment en France par Authier et ses collaborateurs. S’il est vrai que les relations que les individus entretiennent avec leur quartier ont fortement changé dans une époque marquée par la globalisation et la mobilité, elles demeurent significatives pour bon nombre d’entre eux (Bolan

1997; Feldman 1996; Fischer et Malmberg 2001; - ;

Sigelman et Henig 2001). Dans leur étude sur les quartiers anciens en France, l’attachement déclaré au quartier des répondants interrogés est « loin d’être une simple référence obligée, mais liée à de multiples usages et à de nombreuses relations de sociabilité ayant pour cadre le quartier » (Authier et al. 2001, 168). Le quartier n’occupe pas une place résiduelle et demeure un espace social significatif, sans pour autant être exclusif. Ces travaux s’inscrivent dans une perspective qui renouvelle la vision du quartier (Authier 1999, 2006; Dansereau et Germain 2002; Forrest 2008) comme un espace réactualisé (Germain et Charbonneau 1998; Morin et Rochefort 1998); c’est le “neighbourhood revival” (Forrest 2008). On y réaffirme l’importance du quartier, la persistance de l’attachement au quartier de résidence et de l’importance des liens sociaux locaux (Guérin-Pace et Filippova 2008; Mesch et Manor 1998; van Eijk 2011; Woolever 1992). Le quartier demeurerait l’un des espaces vitaux du quotidien où se forge l’identité collective et s’engagent des relations de sociabilité ( - t Marchand 2008; Greif 2009; Guest et al. 2006). Dans cette acception, le quartier est entendu comme un espace social, haut-lieu de la sociabilité urbaine. Mais le quartier est aussi un environnement qui influe sur les conduites et le devenir des individus. Dans les écrits anglophones sur le quartier ("neighbourhood studies"), on réfère aux « effets de quartiers » ou « effets de proximité » (ou "neighbourhood effect") pour aborder les impacts de résider dans certains quartiers (souvent défavorisés) sur les questions de pauvreté, de santé et d’éducation (van Ham et al. 2012).

La contextualisation du débat sur le quartier permet maintenant de passer à sa conceptualisation. Notion dont l’utilisation est loin de faire consensus, de nombreux auteurs ont tenté de tracer les contours du quartier en faisant appel à différents angles d’attaque révélant autant de points de vue4. Des définitions provenant de champs disciplinaires aussi divers que les études urbaines, la sociologie, la géographie, l’histoire, la politique et l’anthropologie s’entremêlent. Blokland propose une définition simple, mais efficace du quartier : “Quite simply, a neighbourhood is a

geographically circumscribed, built environment that people use practically and symbolically”

4

(2003, 213). Interroger les rapports au quartier, notamment d’attachement, n’est pas aisé alors que les outils conceptuels ou les découpages y sont si multiples qu’ils en deviennent inopérants. Par exemple, parler de quartier résonne différemment selon les contextes géographiques. Réfère- t-il au “neighbourhood unit” au “tract levels” ou au “block level” états-uniens ou bien à l’arrondissement français? À quelle échelle peut-on parler de quartier? À celle de la rue, du voisinage, de l’arrondissement tel qu’ils sont délimités par les entités administratives ou électorales? Dans cette étude, les interlocuteurs sont les guides de ce qu’ils estiment être leur quartier.