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Chapitre 1. Recensions des écrits, cadre conceptuel, problématique et questions de

1.1 Recension des écrits

1.1.3 Les choix résidentiels des ménages de classes moyennes

Prédire où se localiseront les groupes dans l’espace et comment cet espace est investi de sens est un défi de taille. Lorsqu’il s’agit des classes moyennes pourvues de différentes formes de capital qui leur permettent d’être mobiles dans cet espace, le défi devient presque insurmontable, au grand dam des élus et politiciens. Les écrits sur les choix résidentiels sont nombreux et nous n’avons pas la prétention de vouloir couvrir ce champ de recherche. Rappelons toutefois que les premiers travaux traitant de ces questions remontent aux modèles monocentriques de la structure spatiale urbaine développés par Alonso (1964), Mills (1967) et Muth (1969), sans oublier l’étude classique sur la mobilité résidentielle de Rossi (1955). Celui-ci avait tôt fait de mettre l’accent sur la notion de cycle de vie en tant que facteur déterminant dans la localisation résidentielle. Comme l’évoque Authier et ses collaborateurs, « chaque étape de la vie des individus (décohabitation, mise en ménage, naissances des enfants, divorce, départ des enfants, retraite) peut être l’occasion d’une inflexion de la trajectoire résidentielle et il importe alors de voir vers quels types de statut résidentiel (localisation, type d’habitat, statut d’occupation…) s’orientent les individus à chacune de ces étapes » (2010, 12). Cette « série de positions successives n’est pas le simple fait du hasard, mais s’enchaîne au contraire selon un ordre intelligible […] en fonction des ressources et des contraintes objectives de toute nature qui dessinent le champ des possibles, en fonction des mécanismes sociaux qui façonnent les attentes, les jugements, les attitudes, et les habitudes des individus, et en fonction de leur motivations et de leurs desseins » (2010, 4).

S’intéresser aux choix résidentiels des familles de classes moyennes, c’est avant tout s’intéresser à une étape charnière des parcours de vie s’inscrivant dans des trajectoires résidentielles multiples. L’augmentation du travail salarié des femmes, l’augmentation des familles recomposées, les cas de mobilité professionnelle accrue et l’individualisation des parcours socioprofessionnels et résidentiels chamboulent ces trajectoires. Même si les étapes de la vie ne concordent plus nécessairement avec des positions spécifiques dans les trajectoires résidentielles, plusieurs études démontrent que l’arrivée d’enfants (surtout du premier enfant) demeure liée au désir d’accession à la propriété d’une maison individuelle dans un secteur résidentiel à faible densité (Fagnani 1993; Filion, Bunting et Warrine 1999; Jaillet 2004). La présence d’enfants a un impact significatif sur les choix résidentiels, au niveau du logement (nombre de chambres, jardin, densité du voisinage), mais aussi du quartier (présence de parcs, d’écoles et de services pour les

familles à proximité) (Silverman, Lupton et Fenton 2005). Ainsi, non seulement le statut d'occupation et le type d’habitat sont-ils des facteurs décisifs dans les stratégies des ménages, mais aussi la localisation du logement et du quartier (Bonvalet et Dureau 2000). D’où l’intérêt d’étudier la production des « statuts résidentiels » et pas uniquement du statut d’occupation : la propriété n’est qu’une des dimensions multiples des trajectoires résidentielles et la préférence pour la propriété compose avec d’autres éléments qui tiennent de la taille, l’emplacement, le confort et l’environnement du logement (Bonvalet et Gotman 1993).

Les choix résidentiels ne traduisent pas mécaniquement la composition des ménages, leur position dans le cycle de vie, leurs caractéristiques sociodémographiques ou les attributs objectifs (et perçus) du logement et de l’environnement résidentiel (Brown et Moore 1970; Clark et Onaka 1983; Feijten et Van Ham 2009; Pan Ké Shon 2007); ils sont plus complexes que cette simple adéquation. Les travaux sur les familles qui, contre toutes attentes, font le choix de rester ou de venir s’installer dans les denses quartiers centraux de la ville plutôt qu’en banlieue (Boterman, Karsten et Musterd 2010; Brun et Fagnani 1994; Caulfield 1992; Karsten 2003) invitent à revoir le lien entre choix résidentiels et cycle de vie. Au Canada, David Ley (1996) et Damaris Rose (2004, 2006) ont été parmi les premiers à s’intéresser au retour à la ville des classes moyennes dans plusieurs agglomérations canadiennes, soulignant au passage une augmentation du nombre de familles dans cette tendance jusqu’alors majoritairement restreinte aux couples sans enfants. Caulfield, en s’appuyant sur une étude de terrain torontoise, critiquera lui aussi cette croyance populaire: “middle-class settlement in older inner-city neighborhoods formerly occupied mostly

by working-class and underclass residents—was initially conceived as a housing choice rooted in a nonfamilial culture of everyday life” (1992, 76). Ces études, comme d’autres (Ærø 2006;

Feldman 1996; Fortin et Després 2008), invitent à prendre en compte non pas seulement la composition des ménages et les changements relatifs au cycle de vie, mais aussi les expériences résidentielles antérieures, notamment les milieux de vie habités durant l’enfance, qui façonnent les représentations, les aspirations résidentielles, de même que les préférences quant au choix d’un mode de vie. Ainsi, même si nous en savons beaucoup sur les motifs au nom desquels les ménages choisissent certains types de logement selon les différentes phases de la vie, nous savons relativement peu de choses sur les mécanismes derrière leur choix de quartier (Hedman, van Ham et Manley 2011). Par exemple, Chicoine, Rose et Guénette (1998) ont montré que certains jeunes employés du secteur tertiaire à Montréal étaient prêts à faire des concessions sur

le logement pour se localiser dans un quartier qui leur permettait de vivre en conformité avec le style de vie désiré. Alors que dans d’autres cas de figure, c’est plutôt le choix du logement qui prime sur le choix du quartier et même de la ville (Dowling et Power 2012). La présence de deux adultes qui travaillent au sein du ménage complexifie aussi grandement le processus du choix résidentiel. Les travaux de Fagnani (1993) ont démontré que la bi-activité des membres du ménage augmentait, d’une part, l’éventail des choix résidentiels grâce à l’augmentation des revenus au sein du ménage, et d’autre part, elle les restreignait, la localisation du logement devant permettre l’accessibilité à plus d’un lieu de travail.

J’adhère ici à une approche sociologique et anthropologique des choix résidentiels. Les choix résidentiels des ménages reposent sur un arbitrage complexe entre 1) les ressources et les contraintes objectives, telles que le budget disponible, la localisation du domicile et ses caractéristiques matérielles (nombre de pièces, structure du bâti, niveau de confort, ancienneté de la construction, etc.); et 2) les mécanismes sociaux qui façonnent les attentes, les préférences, les représentations et les habitudes des individus (Grafmeyer 2010). Il est proposé de traiter des choix résidentiels sous l’angle de cette médiation effectuée par les ménages entre ressources et contraintes, médiation qui est influencée par leurs représentations sociales, de même que leurs expériences résidentielles antérieures. Ainsi, les choix ne relèvent pas uniquement d’une comparaison en termes de prix et de taille de logement; on ne saurait les réduire simplement à des dimensions purement objectives ou aux attributs du logement sans tenir compte du projet résidentiel plus large.