• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. Recensions des écrits, cadre conceptuel, problématique et questions de

1.1 Recension des écrits

1.1.2 L’attachement au quartier sous la loupe

Le concept d’attachement au quartier est central dans cette thèse. Il s’inscrit dans la littérature sur les rapports entre individus et lieux (people – place), une notion chère au courant de la psychologie environnementale5. Ces écrits comprennent plusieurs notions exprimant la diversité, l’intensité et la variabilité des liens qui unissent les individus aux lieux: “community attachment” (Hummon 1992; Kasarda et Janowitz 1974); “sense of community” (Massey 1995; Relph 1976); “place-based identity” (Cuba et Hummon 1993; Proshansky et Fabian 1987); “sense of place” (Manzo 2005) ou “settlement identity” (Feldman 1990). Les écrits francophones ne sont pas en reste avec notamment des concepts d’ancrage (Authier 2001; Grafmeyer 2006; Rémy 1990, 1996), d’enracinement (Dansereau et Germain 2002) et d’identité territoriale (Belhedi 2006; Debarbieux 2006; Guérin-Pace 2006; Guérin-Pace et Guermond 2006; Navez-Bouchanine 2006b). Toutes ces notions ont en commun de qualifier les différents types de liens qui unissent l’individu à différents types de lieux, et ce, à diverses échelles géographiques.

L’attachement au quartier est une déclinaison de l’attachement au lieu, notion centrale développée dans l’ouvrage fondateur d’Altman et Low (1992), largement définie comme étant “the bonding of people to places”. L’attachement au lieu est « la façon dont l’espace devient lieu grâce à l’expérience et à l’action des individus qui, en y vivant quotidiennement, l’humanisent et le remplissent de contenus et de significations » (Ortiz-Guitart 2004, 59). Selon Manzo : “it is

not simply the places themselves that are significant, but rather what can be called ‘experience-

5

Les concepts de "place attachement" et de "neighbourhood attachment" sont centraux notamment dans les revues Journal of Environmental Psychology, Journal of Housing and the Built Environnement et Environment and Behavior.

in-place’ that creates meaning” (2005, 74). En se focalisant sur l’expérience faite par les acteurs

sociaux, ces approches convergent vers le courant de la phénoménologie par la « compréhension des significations que les personnes attribuent à leur situation, et aux intentions qui les animent, aux réactions et aux significations qu’ils attribuent à leur situation » (Genestier 1999, 146). Comme le souligne Leloup, « le rapport au quartier que les personnes développent à l’intérieur de leur trajectoire résidentielle, font varier l’importance que chacun accorde à cet espace, entre autres en y ancrant ou non une partie de sa sociabilité » (2002, 324) et de ses pratiques quotidiennes. L’espace est ainsi vécu, transformé, conçu et façonné par les gens qui l’habitent (Lefebvre 1974) ; ils se l’approprient matériellement et symboliquement, tout en le définissant par leurs pratiques. L’appropriation implique une prise de possession symbolique qui inclut une dimension de contrôle et de maîtrise: on s’y sent à l’aise, car on possède les connaissances et les ressources nécessaires au contrôle et à la maîtrise de notre environnement. Elle se distingue de l’identification territoriale qui contribue à la construction d’une identité individuelle et collective, mais aussi à l’affirmation d’un statut social. Appropriation, identification et attachement restituent tous à leur façon le rôle actif de l’habitant dans l’espace urbain et domestique en sortant « du silence les actes apparemment sans importance par lesquels il donne sens à son habitat et restitue la force de l’habiter » (Segaud 2009, 283). Selon De Certeau (1994), l’expérience des lieux y est donc individuelle sans pour autant ne l’être qu’exclusivement, puisqu’elle combine des représentations et des pratiques multiples qui donnent sens aux lieux. Pour Blokland (2003), cette expérience de lieux n’est pas nécessairement rationnelle et peut être instrumentale ou transitoire. Elle est aussi le fruit de transactions et d’interdépendances entre rationalité et sociabilité qui nous invitent à mieux saisir la « portée phénoménologique des rapports intimes de l’être humain à son espace » (Hérouard 2007, 166).

Dans les écrits scientifiques recensés, on réfère souvent aux dimensions physiques et sociales de l’attachement au quartier (Hidalgo et Hernandez 2001; Lewicka 2011; Riger et Lavrakas 1981; Zhu, Breitung et Li 2011). Le premier comprend l’attachement à l’environnement physique du quartier. Il se traduit généralement par la satisfaction face aux conditions matérielles et physiques, à la fois objectives et perçues, du logement et du quartier. L’attachement aux dimensions sociales fait plutôt référence aux relations de voisinage et à la sociabilité. D’autres auteurs parlent plutôt de rapports fonctionnels et émotionnels (ou affectifs) à l’espace du quartier. Rubinstein et Parmelee définissent plus finement ces deux types de rapports : “a set of feelings

about a geographic location that emotionally binds a person to that place as a function of its role and as a setting for experience” (1992, 139). Ainsi, l’attachement au quartier s’opère à travers la

pratique des lieux; il est fonctionnel. Il s’inscrit dans des usages et des expériences de la ville et de l’espace du quartier. Aller chercher du lait au dépanneur ou une baguette à la boulangerie du coin pour faire un pique-nique dans le parc sont des usages fonctionnels du quartier qui participent de l’attachement au lieu. L’attachement au quartier est aussi symbolique. Il inclut la mémoire et le sens des lieux, les images et les valeurs qui y sont associées ( -

). Il comprend la signification affective des lieux (Noschis 1984) et l’investissement intangible bien que fort de sens. Aimer l’ambiance d’une fête de ruelle dans le parc en face de chez soi ou flâner dans le quartier par un samedi ensoleillé reflètent un attachement symbolique au quartier. Les formes de l’attachement au quartier sont diverses et peuvent se traduire par de la fierté, de la satisfaction, un sentiment d’appartenance ou d’identification, le désir de rester dans le quartier, etc.

Avant de présenter les formes d’attachement aux quartiers retenues pour cette thèse, les déterminants de l’attachement au quartier sont brièvement explorés. Bien que les conclusions de ces recherches soient loin d’être consensuelles, quand elles ne sont pas contradictoires, on recense deux types de déterminants de l’attachement au quartier : les caractéristiques individuelles et les variables contextuelles. Les caractéristiques individuelles généralement utilisés pour explorer la construction de l’attachement au quartier sont l'âge, le sexe, le niveau d'éducation, le statut socio-économique, le statut d’occupation, l’étape du cycle de vie, la taille et le type de réseau de sociabilité, la durée de résidence. Par exemple, l'âge et le sexe ne semblent pas être des facteurs déterminants de l'attachement (Bonaiuto et al. 1999). Les personnes âgées sont généralement plus attachées au quartier que les jeunes, ce qui s’explique par le fait qu’elles aient passé plus de temps dans le quartier. Cependant, la relation positive entre l’âge et l’attachement au quartier ne tient pas nécessairement lorsque l’on contrôle pour l’ancienneté de résidence (Parkes, Kearns et Atkinson 2002). La durée de résidence, les liens de voisinage et le mode d’occupation sont des déterminants de l’attachement au quartier. Plus on habite depuis longtemps dans un lieu, plus on est susceptible d’y développer des relations de voisinage et plus l’on est enclin à s’y sentir attaché (Bonaiuto et al. 1999; -

2008; Hidalgo et Hernandez 2001; Kasarda et Janowitz 1974; Langegger 2013; Riger et Lavrakas 1981). Les propriétaires sont généralement plus attachés au quartier que les locataires et sont

généralement plus satisfaits de leur logement, notamment puisqu’ils peuvent le rénover pour répondre aux besoins de leur famille. Ils sont aussi plus susceptibles de connaître et d'interagir avec leurs voisins (Brown, Perkins et Brown 2003; Mesch et Manor 1998; Parkes, Kearns et Atkinson 2002).

Quant aux variables contextuelles, elles sont utilisées pour comprendre en quoi les caractéristiques du milieu peuvent avoir un impact sur l’attachement. La stabilité résidentielle et du quartier, notamment en termes de mobilité des résidants, est associée à l’attachement au quartier (Feijten et Van Ham 2009; Kasarda et Janowitz 1974). Il n’existe pas de résultats probants sur la nature des liens entre la diversité de la composition démographique du quartier et l’attachement (Jean et Germain 2014). Bien que les travaux qui soutiennent que la diversité sociale et ethnique du quartier a un impact négatif sur l'attachement sont nombreux (Brown, Perkins et Brown 2003; Greif 2009; Livingston, Bailey et Kearns 2010; Putnam 2007), d'autres soulignent que c’est plutôt la perception de la diversité (que la composition démographique « objective » du quartier elle-même) et la réputation du quartier qui ont un impact sur la satisfaction résidentielle et l'attachement au quartier (Hedman, van Ham et Manley 2011; Permentier, Gideon et van Ham 2011). Avoir confiance en ses voisins, la présence de membres de la famille ou d’amis et la force des liens de voisinage sont aussi considérés comme des déterminants de l’attachement au quartier (Bonaiuto 2004; Guest et al. 2006; Letki 2008; Mesch et Manor 1998; Stolle, Soroka et Johnston 2008). Enfin, Parkes et ses collaborateurs (Parkes, Kearns et Atkinson 2002), au même titre que leurs prédécesseurs (Kasarda et Janowitz 1974), constatent que la présence d'enfants dans le quartier a un effet positif sur l’attachement en facilitant les interactions sociales

L’objectif de la thèse n’est pas de cerner les mécanismes par lesquels se construit l’attachement, ni de statuer sur les déterminants de l’attachement au quartier, mais bien de voir autour de quoi il se construit auprès de jeunes familles de classes moyennes dans deux quartiers de la RMR montréalaise. Il est proposé de retenir pour cette thèse trois formes d’attachement au quartier : physique, social et symbolique. Nous détaillerons ces trois formes d’attachement en présentant le cadre conceptuel, mais avant nous aborderons les choix résidentiels.