• Aucun résultat trouvé

Remarques préliminaires sur les contours et la lisière de la méthode

Chapitre I. Guide de la traversée du courant choisi : méthodologie, cadre d’analyse et

II.3. Récit géo-historique des formes de continuité des cours d’eau au travers des cycles

II.3.1. Remarques préliminaires sur les contours et la lisière de la méthode

L’utilisation du cycle fluvio-social, dans ce cadre, permet de suivre une démarche géo-historique, apportant à la démonstration un regard plus distancié avec l’actualité du présent. La

trajectoire temporelle de l’aménagement des cours d’eau révèle « une histoire ou plus

exactement des histoires en tant qu’objet hybride. L’application de la démarche géohistorique aux cours d’eau est à la fois une démarche de connaissance scientifique pure, mais présente également un fort potentiel d’application à la gestion des milieux et à la prospective585 ». Cette méthode permet de signifier les formes de ruptures et de continuités au sein des pratiques de gouvernement des cours d’eau, marqués par des changements de stratégie et/ou d’usages. Cet outil, à statut didactique et analytique, a été élaboré à des fins précises et ne prétend pas réaliser l’histoire évolutive et complète de l’ensemble des aménagements des cours d’eau français. Les cycles ont été utilisés pour mettre en parallèle des moments phares de changement, accompagnés parfois de conflits ou de protestations, symbolisant des choix de gouvernement et de gestion.

583 Rode S., De l’aménagement au ménagement des cours d’eau : le bassin de la Loire, miroir de l’évolution des rapports entre aménagement fluvial et environnement, Cybergeo

584 Linton J., Perrin J-A., French specificities of the concept of river continuity : Politics and practices, International Seminar Dam Removal, Université de Poitiers, 2015

585 Valette P. et Carozza J-M., Mise en oeuvre d’une démarche géohistorique pour la connaissance de l’évolution des paysages fluviaux : l’exemple de la moyenne vallée de la Garonne, Géocarrefour[En ligne], 2010, vol.85

Les cinq cycles présentés s’inspirent en partie des six phases du « processus d’amélioration des conditions de navigation fluviale en France586 » mentionnées par Barraud R. dans sa thèse. Pour rappel, les cycles fluvio-sociaux constituent des modélisations, représentant un rapport particulier d’une société aux cours d’eau à un moment donné. Ils soulignent un mode de connaissances dominant, révélateur d’une priorité politique de gestion. Chaque priorité assigne une fonction à un cours d’eau dont découle des conséquences sur les ouvrages hydrauliques, donnant lieu à des phases d’aménagement et de dés-aménagement.

Les phases de transformation et de transition entre chaque cycle révèlent souvent un emboîtement d’échelle spatio-temporelle plutôt qu’une évolution linéaire valable en même temps pour tous les territoires : l’intrication des différentes échelles et des temporalités est ainsi à mettre en avant.

Nous avons veillé à éviter deux biais. Le premier consista à ne pas accorder exagérément de pouvoir à l’organisation politique centralisée (royauté ou Etat central) pour ne pas reproduire

la rigidité et la linéarité du modèle construit par Wittfogel K. A.587 rendant compte des

civilisations hydrauliques. En effet, à une certaine période, les cours d’eau français furent parfois gouvernés/administrés/gérés selon des particularités territoriales propres, étant donné les nombreux royaumes, suzerainetés, fiefs et autres subdivisions territoriales, au gré des siècles

avant et après588 la prédominance d’un Etat centralisé. Le second revint à équilibrer les données

entre fleuves et rivières et de se garder de se fier aux seules données historiques sur les fleuves,

plus prolixes que sur les plus petits cours d’eau589. Ce biais aurait été d’autant plus

586 p.131 dans Barraud R., Vers un "tiers-paysage" ? Géographie paysagère des fonds de vallées sud-armoricaines. Héritage, évolution, adaptation, Université de Nantes, 2007

587 Wittfogel K. A., Oriental Despotism : A Comparative Study of Total Power, 1957, Yale University Press 588 Ghiotti S., Les Territoires de l’eau et la décentralisation. La gouvernance de bassin versant ou les limites d’une évidence, Développement durable et territoires[En ligne], 2006, Dossier 6

589 A une exception près puisque les moulins, présents davantage sur les rivières, ont été les sujets d’une grande attention parmi les travaux historiques.

dommageable que la CECE s’applique majoritairement à des rivières. Enfin, par souci de précisions :

- nous nous sommes concentrés sur les 125 000 cours d’eau590 coulants dans la seule

France métropolitaine. Rechercher des données sur tous les 12 autres territoires ultramarins591

aurait trop complexifié l’analyse.

- il est entendu par fleuve les grands, moyens fleuves et fleuves côtiers, et non pas seulement les cinq plus gros (Garonne, Loire, Rhin, Rhône, Seine) habituellement connus par le grand public. Le reste des cours d’eau étudiés sont des rivières, laissant donc de côté les rus, ruisseaux, torrents…

La périodisation en cycle géo-historique est une entreprise relativement controversée qui

comprend nécessairement une simplification de la réalité. Le « découpage en tranches592 »

constitue en soi un choix arbitraire et partial, assignant une importance particulière à une période au détriment d’une autre. Cette interrogation est relativement prégnante pour le cas du Moyen-Age qui, selon les uns et les autres, aurait consisté en une période plus ou moins longue. En effet, pour Le Goff J. par exemple, le Moyen-Age prendrait fin seulement à partir de la Révolution Française pour deux raisons : d’une part, il a tout autant accueilli des phases d’innovation et d’inventivité en arts et en sciences que durant la dite Renaissance et, d’autre part, cette dernière a, elle aussi, connu des épisodes significatifs comme la croyance forte en la magie, rappelant la place de l’imaginaire du Moyen-Age.

Tandis que pour d’autres historiens aussi bien reconnus que Le Goff J., il est possible d’évoquer

un « early medieval593 », une « later medieval philosophy594 » ou encore une périodisation en

trois phases : un haut Moyen-Age (489-1030), un renouveau culturel entre 1030 et 1200, puis

une « période des universités595 » à partir de 1200. C’est pourquoi les intitulés des cinq

prochains cycles délaissent ces grandes nominations chronologiques dans la mesure du possible. Cela permettra de minimiser la symbolique de la temporalisation et de polariser définitivement l’attention sur les types d’usages des cours d’eau et les phases d’aménagement et de désaménagement.

Tandis que les cours d’eau ont été aménagés tout au long de l’Histoire humaine contribuant, du moins en Europe et en France, à leur anthropisation, plusieurs raisons fondamentales ont amené les êtres humains et leurs organisations politiques à les ordonner à leur guise :

- le franchissement des cours d’eau (vu comme des obstacles ou des atouts selon les cas)

- une volonté de réduire le besoin d’adaptabilité suite à leurs changements d’états (crues

par exemple) ou de tracés

- profiter des services, bienfaits et agréments qu’ils apportent

- chercher à les exploiter à des fins précises.

En France, les prémices de cette anthropisation remonteraient à près de 8 000 années596 durant

le Néolithique, pendant lequel des gués furent notamment aménagés. Si durant l’Antiquité, des

590 D’après la base de données de l’Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), il existerait 74 fleuves et 416 rivières en France.

591 Se référer aux publications de la Société française d’histoire des outre-mers pour trouver des travaux en rapport avec notre cas d’étude.

592 Le Goff J., Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches?, 2014, Le Seuil, 211p 593 Marenborn J., Later Mediaval Philosophy (1150-1350), 1987

594Ibid.

595 De Rijk L. M., La philosophie au Moyen-Age, 1985

596 Carpentier V. et Leveau P., Archéologie du territoire en France : 8000 ans d’aménagements, 2013, La Découverte, 173p

ponts, des canaux ou encore des aqueducs furent construits, c’est bien par la suite que des ouvrages hydrauliques transversaux sont plus abondamment venus articulés les cours d’eau.

II.3.2. Des premiers cycles d’aménagements de cours d’eau à travers les siècles de