• Aucun résultat trouvé

Méthodologie employée pour choisir les cours d’eau et étudier la mise en oeuvre . 87

Chapitre I. Guide de la traversée du courant choisi : méthodologie, cadre d’analyse et

I.3. Méthodologies en trois temps

I.3.3 Méthodologie employée pour choisir les cours d’eau et étudier la mise en oeuvre . 87

A l’exception du bassin versant de la Têt où le fleuve Têt et un nombre réduit de ses affluents sont concernés par la CECE, le choix du suivi des opérations de la CECE sur des cours d’eau du bassin versant de la Dordogne laissait beaucoup plus de latitude. Il faut bien noter que cette sélection ne se veut aucunement être un échantillon représentatif ou caractéristique de l’application à l’échelle nationale de la CECE. Aucun critère n’a été recherché en ce sens. Par exemple, cette thèse ne s’intéresse pas au cas d’étude des étangs et des pisciculteurs, acteurs également concernés par la CECE.

Les cours d’eau du bassin versant de la Dordogne qui sont étudiés au cours de cette thèse ont été sélectionnés en fonction de trois paramètres. Echelonnés dans le temps, ils ont été choisis pour cadrer cette prospection.

 il fallait que plusieurs actions en rapport avec la "restauration" de la CECE soient entreprises afin d’éviter de se concentrer sur un seul ouvrage hydraulique implanté au sein d’un cours d’eau.

 une réponse334 favorable de la part du gestionnaire du cours d’eau (PNR, syndicat de

rivière) devait être donnée pour discuter des opérations sur un cours d’eau. Cette

sélection par opportunité mérite une justification. Il peut sembler étonnant (a fortiori

dans une étude présentée comme critique) de vouloir uniquement s’intéresser à des cours d’eau pour lesquels des porte-paroles officiels – à savoir leurs gestionnaires – soient favorables à cette étude. Trois raisons l’expliquent. Les données actualisées sont relativement restreintes et leur accès dépend souvent des gestionnaires officiels. Il aurait été beaucoup plus long et difficile de travailler sans données, listes, chiffres, cartes officielles car tout aurait été à construire et rien n’assurait que les données auraient pu être accessibles par une autre voie. De plus, ne pas recueillir le discours des gestionnaires disposant d’un rôle central dans cette politique publique aurait entraîné un déficit d’informations difficilement possible à combler.

 une répartition territoriale des cours d’eau a été effectuée afin de disposer de cours d’eau

en amont et aval du bassin versant de la Dordogne avec des caractéristiques socio-politique, piscicoles et sédimentaires supposées différentes. En effet, la position au sein du bassin versant de la Dordogne constitue potentiellement une variable singulière en raison des nombreux critères qualitatifs qu’elle fait intervenir : topographie, quantité et qualité d’eau, mode de vie lié à la montagne ou dans la vallée, caractéristiques propres à chaque département, usages, présence de tel type d’espèce piscicole et de tel enjeu sédimentaire…

Nous avons décidé de ne pas rechercher des cours d’eau a priori avec une forte présence de

moulins afin de diversifier les objets d’analyse et de se préserver de tout tropisme. En effet, dès

le début de la recherche, il a semblé évident (via la presse et des articles scientifiques) que les

moulins étaient les ouvrages hydrauliques présentant le niveau de conflictualité le plus important. A cet effet, il convenait de ne pas biaiser cette sélection et encore moins de chercher des cours d’eau particulièrement sujets à des conflits. Le type d’ouvrages sur un cours d’eau ne fut donc pas considéré. En somme, la stratégie de recherche et les critères de territorialisation furent plutôt pragmatiques.

En prenant en compte tous ces paramètres, une dizaine de cours d’eau ont été identifiés. L’objectif n’était pas de réaliser des études idiographiques mais bien de se servir de l’ensemble des cas d’étude (aux caractéristiques socio-politiques, culturelles et bio-géophysiques propres) pour une argumentation générale. Ainsi, le propos ne visera pas à détailler avec minutie la mise en œuvre de la CECE sur chaque cours d’eau sélectionné : nous avons plutôt recherché des formes de régularité et d’irrégularité pour faire ressortir les éléments explicatifs saillants des difficultés de la mise en œuvre.

Néanmoins, cela ne donnera pas lieu à la construction d’un quelconque modèle-type ou de lois causales d’application de la CECE, compte tenu du rapport pluriel des territoires à leurs cours d’eau. L’intérêt pour les ressemblances et dissemblances entre les socio-natures s’explique par une volonté de rendre compte de la diversité des cas (géographiques, socio-techniques, juridiques, organisationnelles…) d’étude pour identifier les éléments favorables ou

préjudiciables à l’application de la CECE. Cet intérêt a, enfin, le mérite d’éviter le « pullulement

des monographies et (…) la tyrannie des modèles335 ».

Les cours d’eau sélectionnés dans le bassin versant de la Dordogne peuvent être visualisés spatialement grâce à la carte suivante :

Ci-dessous une synthèse des caractéristiques de tous les cours d’eau étudiés (bassins versant de la Dordogne et de la Têt) est présentée, suite à ce travail de sélection :

Cours

d’eau versant Bassin

Département

Caractéristique(s) des opérations sur

le cours d’eau choisi Type de gestionnaire en charge du suivi de la CECE Longueur (en km) Couze Dordogne

Dordogne Présence historique

de moulins Syndicat de rivière 30,1 Dronne Charente, Charente-Maritime, Dordogne, Gironde, Haute-Vienne 2 opérations différentes (amont-aval), présence de plusieurs types d’ouvrages hydrauliques PNR et EPTB 201 Tude Charente Présence de moulins et incertitudes juridiques Syndicat de rivière 43,3 Mamoul Lot Opérations de CECE bien avancées (débutées avant la thèse) Syndicat de rivière 24,1 Bave Lot

Etude de suivi des effets des travaux sur les poissons

Syndicat de rivière 36,8 Têt et ses affluents Carança, Ribérole et Angoustrine Têt Pyrénées-Orientales Imposé Syndicat de rivière 115,8

Tableau n°3 : Liste des cours d’eau étudiés dans la thèse

Chacun de ces cours d’eau est présenté dans l’annexe n°5 : par fiche puis par commentaires des données factuelles et contextuelles nécessaires à la compréhension de l’application de la CECE. Ainsi, les ouvrages hydrauliques concernés par la CECE sont notamment présentés. Il convient de rapporter que ce sont tous des cours d’eau non-domaniaux, c’est-à-dire soumis au droit privé de propriété (des riverains).

Le rapport personnel à ces cours d’eau était relativement réduit au départ de la thèse, avec les avantages (recul et regard neuf supposé) et les inconvénients (très faible connaissance de départ des caractéristiques et des enjeux généraux) que cela peut représenter en termes de légitimité à travailler dessus. En dépit de cette sélection des cours d’eau et sans que nous n’abordions le

sujet dans le manuscrit, une curiosité336 pour les modalités d’application de la CECE sur

d’autres territoires (en Normandie, sur le Rhône, le Rhin, en Suisse et en Belgique) a permis à l’analyse d’être plus distanciée en rapport avec les particularités de ces cours d’eau.

Les éléments collectés sur les terrains posent la question du mode d’acquisition de données au cours de la thèse. Celles-ci furent recueillies suite à une recherche dans la littérature grise,

définie comme étant tout « ce qui est produit par toutes les instances du gouvernement, de

336 Elle s’est concrétisée, d’une part, par deux entretiens avec des salariés de la Compagnie Nationale du Rhône et de la Fédération de Pêche de la Gironde (cf en annexe n°2 la liste des entretiens) et, d’autre part, par une lecture attentive de la presse et de rapports sur ce qui a pu se produire afin d’éviter un terrain d’étude auto-centré.

l’enseignement et la recherche publique, du commerce et de l’industrie, sous un format papier ou numérique, et qui n’est pas contrôlé par l’édition commerciale337 ». Elle correspond notamment à des documents de gestion/d’administration des cours d’eau plus ou moins archivés qui ont servi la recherche de données. Nous avons complété l’analyse par des états de l’art et par le recueil d’articles de presse locale, voire régionales. Enfin, les entretiens constituèrent, à leurs tours, une source importante de données.

Nous avons réalisé des entretiens enregistrés, conduits par une technique d’enquête qui servit

stratégiquement l’énonciation de discours338. Les entretiens durent être pensés méthodiquement

pour maximiser les informations durant le laps de temps accordé par l’interviewé et favoriser « les productions verbales des individus de telle façon qu’elles puissent constituer autant d’informations symptomatiques339». Pour cela, la réalisation d’entretiens semi-directifs a été choisie. Les entretiens sont particulièrement utiles pour obtenir des réponses aux questions (pratiques ou de recherche) en cours d’élucidation bien que, de temps à autre, par renversement, les discours des acteurs puissent parfois chambouler ces mêmes questions devenues, en un tournemain, peu pertinentes. Les entretiens -prenant la forme de données, de points de vue et de savoirs pratiques- étendent l’investigation vers un approfondissement des réalités perçues. Les entretiens nous ont servi à nous confronter à d’autres réalités que celles que nous avions, jusque-là, pu percevoir. L’entretien favorise également l’acquisition d’informations précieuses, qui ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qu’a l’impression de révéler le locuteur (choix du vocabulaire ou d’images, lapsus…). Ces informations sont alors triangulées avec

d’autres sources, de manière à pouvoir les considérer comme pertinentes. Enfin, nous avons

porté une attention particulière à la manière de nous présenter et d’expliciter notre démarche

auprès des personnes interrogées dans le but de créer un climat de confiance et de libérer la parole.

Nous avons conçu une grille d’entretien (disponible en annexe n°3) qui concourt à une entreprise de comparaison discursive. Elle est composée d’une douzaine de questions regroupées autour de thématiques comme l’histoire de la gestion d’un cours d’eau, le mode de compréhension du concept de CECE, la perception de la mise en œuvre de celui-ci, les relations entre les parties-prenantes, le rôle des savoirs…

La durée de ces entretiens fut, somme toute, très variable. Elle fut le fruit du temps dégagé par l’énonciateur du discours, dépendant lui-même de son emploi du temps et de l’importance

accordée à la démarche de thèse. Les entretiens340 se sont étalés de 30 minutes pour le plus court

à deux heures et demie pour le plus long. Enfin, les discussions informelles à la fin d’un entretien ont laissé libre cours à des propos affranchis du joug technologique de l’enregistrement : en ces quelques secondes ou minutes supplémentaires, il put arriver que la méthodologie scientifique laisse momentanément la place à un travail moins cadré mais plus collectif pour œuvrer à l’éclaircissement d’un problème soulevé, par exemple un dialogue pour comprendre ensemble les enjeux et problèmes sur un cours d’eau.

337 Cette définition dérive de la 3ème Conférence Internationale sur la littérature grise de 1997 à Luxembourg. 338 Blanchet A., Gotman A., L'enquête et ses méthodes : l'entretien, 1992, Nathan université, 125p

339 Michelat G., Sur l'utilisation de l'entretien non directif en sociologie, Revue française de sociologie, 1975, 16-2, p.229-247

340 Une moitié d’entretiens (27/59) a été réalisé par téléphone pour plusieurs raisons. Certaines personnes n’ont pas souhaité le réaliser de visu (souvent par méfiance) et/ou n’ont pas tenu à consacrer un temps conséquent à la discussion. Une large moitié de ces entretiens téléphoniques a duré entre 45 minutes et 2 heures. De plus, des informations ont été obtenues par mail auprès d’une dizaine de personnes. Celles-ci sont également citées dans l’annexe n°2.

Dans le cadre des entretiens, le choix des personnes-ressources et/ou stratégiques a répondu à une exigence primaire d’informations. Nous avons discuté avec des acteurs disposant d’un rapport diversifié à la CECE comme des gestionnaires, des propriétaires d’ouvrages contraints d’appliquer la CECE, des représentants de l’Etat central ou d’administation déconcentrée

(DDT, DREAL), des Agences de l’eau, de l’ex-ONEMA etc341. Il est à noter que nous n’avons

pas pu remplir ces conditions pour la rivière Tude (sur le bassin versant de la Dordogne) en raison du grand nombre de personnes qui ne fournirent aucune réponse (positive ou négative) aux sollicitations. La liste des interlocuteurs se trouve en annexe n°2.

Par ailleurs, un questionnaire a également été élaboré. Notre objectif de départ était de recueillir des données plus quantitatives à partir de questions fermées. Ce questionnaire, disponible en annexe n°4, ambitionnait de récolter des données sur les perceptions du concept et de la politique publique. Les principaux publics visés étaient les propriétaires d’ouvrages hydrauliques, les pêcheurs et les gestionnaires. Nous l’avons envoyé par e-mail au sein du

bassin versant de la Dordogne et diffusé par deux canaux : mailing list et personnes-ressource.

Malheureusement, cette initative a été un échec patent en termes de nombre de réponses puisque seulement onze retours ont été reçus. Plusieurs causes peuvent expliquer cet insuccès. Les propriétaires d’ouvrages semblent assez mal se connaître entre eux expliquant la faible diffusion au sein de leurs réseaux ; ils ne semblent pas tous disposer d’une adresse électronique s’expliquant vraisemblablement par un âge moyen assez élevé ; ils préfèrent éviter tout ennui supplémentaire malgré l’anonymat du questionnaire. Les pêcheurs sont représentés par leur fédération départementale et des Associations Agréée de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique (AAPPMA) : c’est pourquoi ce sont leurs dirigeants qui ont très souvent répondu. Les gestionnaires ont officiellement peu de temps de libre, compte tenu de leurs missions et purent voir d’un mauvais œil un questionnaire interrogeant la légitimité des actions qu’ils contribuent à mettre en œuvre.

Finalement, sur les onze réponses, six proviennent d’AAPPMA différentes, une d’une fédération de pêche départementale, trois de gestionnaires et une d’une propriétaire de moulin. La faible représentativité et l’hétérogénéité des réponses constituent des obstacles sérieux à l’utilisation des résultats. Bien que l’opinion d’individus affiliés à des AAPPMA soient complémentaires aux entretiens et que ces dix (sur les onze) personnes soient différentes des personnes précédemment interrogées, les réponses ne concernèrent presque jamais les cours d’eau étudiés. C’est pourquoi, par précaution, nous n’avons que peu exploité ces résultats qui ne seront donc pas indiqués en tant que tels mais participeront, en complément des entretiens et en appui à d’autres données de terrain, à l’analyse globale.

Résumé de la partie

La présentation de la méthode pour traiter les terrains d’enquête a suivi le fil conducteur de l’analyse des chapitres. La recherche dans le passé du concept a été mené grâce notamment à des archives et permettra de comprendre qui, quand, comment et pourquoi ce concept est apparu. A la suite de ce travail, nous entreprendrons une analyse des discours rattachés à la CECE grâce, d’une part, à une étude de contenu de documents et, d’autre part, à une analyse

critique des discours et de la controverse. Enfin, l’ensemble de ces analyses apportera des éléments pour analyser l’application de la CECE sur les territoires de l’eau sélectionnés.

Conclusion du chapitre I

Dans ce chapitre, nous avons précisé l’inscription disciplinaire, introduit le cadre conceptuel et la méthodologie de la thèse. L’ensemble entend servir le jeu des hypothèses, approfondir la problématique explicitée et donner les moyens d’y répondre. Les savoirs géographiques nous paraissent particulièrement pertinents pour interroger les enjeux que pose la CECE, étant données la diversité descriptive et analytique de leur vocabulaire, leur capacité à penser cumulativement en échelle et les deux approches anglophones présentées, permettant d’interroger ses dimensions politiques.

Notre cadre analytique est complété par le recours à d’autres concepts issus des sciences politiques et de la sociologie de l’action publique propres au mode de conception et d’application des politiques publiques. L’ANT, utilisée avec parcimonie dans cette thèse, nous permet de faire ressortir comment les sciences et les expertises, mobilisées dans la CECE, entrent en politique et jouent un rôle prépondérant dans son opérationnalisation. Quatre grandes raisons ont motivé son utilisation : le rôle de la représentation scientifique, la mise en évidence de l’agentivité des non-humains, la composition des assemblages et la pertinence de son vocabulaire (controverse, réseau, traduction) bien que nous les considérons dans des acceptions plus littérales.

Enfin, la méthodologie présentée a introduit les différentes étapes de la démonstration au cours des chapitres. La première revient à retracer les origines socio-politiques de la continuité des cours d’eau et sa place historique dans la gestion des cours d’eau. La deuxième porte sur les discours des parties-prenantes et la lutte interprétative au cœur des enjeux d’application de la CECE. La dernière relate les enjeux de pouvoir et de savoir durant la mise en place du concept de CECE sur des cours d’eau dûment sélectionnés.

Après ce premier travail effectué, nous allons pouvoir lancer le prochain chapitre qui s’intéresse notamment à la sociogenèse de la CECE : il s’agit de rendre compte des réseaux d’acteurs qui ont traduit à plusieurs reprises des énoncés jusqu’à donner lieu à la CECE telle qu’elle est appliquée aujourd’hui.

Chapitre II. La CECE, un ingénieux mélange de continuité et de discontinuité à la composition de sciences et de politiques

Ce chapitre propose un récit de la CECE et de la place qu’elle occupe dans l’histoire de la gestion française des cours d’eau. Nous explicitons les origines socio-politiques et scientifiques de la CECE afin de rechercher dans le passé (élaboration du concept) des éléments explicatifs des difficultés de son application au présent.

Le périmètre de recherche est organisé autour de trois temps d’analyse. Durant le premier, une étude de l’élaboration de la CECE est conduite pour comprendre les motivations de son inscription dans la DCE, la LEMA et le Grenelle de l’Environnement n°1. Dans un deuxième temps, nous cherchons à caractériser les relations entre les acteurs politiques et scientifiques lors de l’instrumentation de la CECE, ce qui permet de présenter les différentes traductions de ce concept. Enfin, nous explorons les différentes périodes d’aménagements et de dés-aménagement hydrauliques à travers les siècles. Cette analyse de plus long terme mettra en perspective la CECE au sein de l’histoire française des continuités et des discontinuités des cours d’eau.