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B. Les personnages

II. Eléments de Langue et de Style

1. Quelques remarques sur la langue

Les pièces du Recueil Trepperel ont été imprimées à Paris au début du XVIe siècle, et, si ce lieu d’impression ne révèle pas celui de composition des textes, on peut toutefois observer dans ces derniers une langue déjà assez standardisée et exempte de traits dialectaux importants. Rendant les textes plus aisément accessibles, parce que plus aisément reproductibles, l'imprimerie implique aussi une normalisation accélérée des usages graphiques, lexicaux, syntaxiques et morphographiques de la langue. On comprend dès lors pourquoi, dans les décennies 1530-1550, seront proposés de nouveaux codes orthographiques, certains défendant la latinisation déjà importante en moyen français, d'autres insistant sut la nécessité de rapprocher l'écriture de la prononciation1.

Le Recueil Trepperel précède de peu ces théorisations. L'imprimeur n'appartenant pas aux cercles des éditeurs-humanistes qui travaillent à ces changements en collaboration avec des écrivains, à l'instar des Estienne, de Marot ou de Rabelais, il privilégie sans surprise les caractères d'imprimerie gothique et un moyen français « classique » dont les traits sont en général hérités du XVe siècle2. Les études d'Eugénie Droz et d'Halina Lewicka sur les farces et les sotties du Recueil Trepperel, ainsi que l'édition récente par Jelle Koopmans du Recueil de Florence ont mis en valeur les principales caractéristiques de la langue de ces textes3. Ils ont souligné de concert que son principal intérêt résidait dans les usages graphiques et dans les choix lexicaux. Voilà pourquoi cette édition, ne pouvant offrir une étude linguistique complète des pièces, trop ambitieuse, et ne souhaitant pas dresser dans l'immédiat un inventaire des faits notables, qui a déjà été établi par nos prédécesseurs, se contentera ici de brèves remarques sur la phonétique, la graphie et sur le lexique.

1

Geoffroy de Tory propose, en 1529 puis en 1535 deux ouvrages préludant la grammaticalisation de la langue française au début du XVIe siècle : le Champfleury est un traité de typographie proposant également des éléments grammaticaux, notamment l’introduction des signes diacritiques que sont les accents ; la Briefve

Doctrine, écrite à plusieurs mains, propose quant à elle une nouvelle norme grammaticale et orthographique à

partir de « règles naturelles » de la langue, par exemple les cédilles ou un « e » barré lorsqu’il est muet. Louis Meigret, quelques années plus tard, propose dans son Tretté de la grammere françoeze une orthographe plus en accord avec la prononciation, et défend avec virulence sa position quant à un écrit qui se fait enregistrement de l’oralité.

2

Comme cela a pu être le cas, par exemple, des œuvres de François Rabelais, défenseur de l’orthographe latinisante, ou de celles de Ronsard qui adopte une orthographe plus proche de la langue prononcée. Certains auteurs ont également à cœur de sortir de ces tensions opposant deux conceptions de la langue écrite, et proposent leurs ouvrages sous une forme bilingue, comme c’est le cas de Ramus qui écrit sa Grammaire

Raisonnée sur deux colonnes : l’une avec une orthographe latinisante, l’autre au moyen d’une orthographe

oralisée.

3

Jelle Koopmans, Le Recueil de Florence, Orléans, Paradigme, 2011 ; Eugénie Droz et Halina Lewicka, Le

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Nous avons choisi de présenter ces notules comme des synthèses, complétées ponctuellement par les notes de commentaire situées en bas de page ou en fin d'édition. Nous avons en outre fait le choix de sélectionner certains phénomènes qui pourraient éclairer l'interprétation des pièces, comme l'affirmation d'une langue commune (les régionalismes sont rares) et la recherche pédagogique de l'autorité (quelques traits illustrant une latinisation graphique d'usage, lexique et utilisation de la langue latine). Enfin, les quelques phénomènes phonétiques que nous relèverons ont essentiellement pour dessein d'éclairer certains éléments de versification.

a. Morphologie Graphie

Quelques éléments de morphologie verbale ont particulièrement attiré notre attention lors de l’établissement du texte. Trait fréquent dans l’ensemble des imprimés Trepperel ainsi que le souligne Jelle Koopmans1, « l’alternance quasiment générale entre les désinences –é et –ai ». Ainsi la graphie –ay est fréquente très fréquente pour les participes passés, puisqu’on trouve dans la seule Moralité du Lymon et de la Terre les occurrences suivantes : v. 13 « menay », v. 25, 28, 32 « passay », v. 69, 81 « amassay », v. 112, 587 « gouvernay », v. 113 « ordonnay », v. 374 « boutay », v.380, 907, 1081 « estay », v.399 « chiay », v.481 « visitay », v. 501 « prisay », v.582 « sermonnay », v. 598 « allay », v. 599 « tournay », v. 603 « escollay », v.658 « aveuglay », v.659 « conseillay », v. 927 « gectay », v.1011 « admenay », v. 1086, 1135 « frappay », v. 1087 « navray » et v. 1171 « ymaginay ». La graphie est utilisée également pour certains substantifs en –é, puisque l’on trouve v. 463 « proprietay », v. 464 « estay », v. 733, 1172 « santay », et v. 926 « oysivetay ». La graphie –ay n’est cependant pas employée de la sorte dans la Moralité des quatre Eléments, dans laquelle les participes passés et substantifs présentent en général la forme –é.

Morphologie verbale

On peut noter également l’usage de la forme « allisson » dans la Moralité du Lymon et

de la Terre (v. 574). André Tissier la relève en tant que forme normande de la quatrième

personne du présent du subjonctif dont l’emploi est, semble-t-il, fréquent dans les farces2 .

1

J. Koopmans, Le Recueil de Florence, op. cit., p.33-34. 2

A. Tissier, Recueil de Farces (1450-1550), Genève, Droz, 1988, t. 3, p.218. Il commente cette forme à l’occasion du v. 38 de la farce de Maître Mimin étudiant : « Que nous allisson à l’escolle ».

41 Syntaxe

Autre trait commun aux imprimés Trepperel, relevé également par Jelle Koopmans1, les deux moralités éditées proposent quelques occurrences de la forme « eulx » pour « elles ». C’est le cas par exemple au v. 150 de la Moralité du Lymon et de la Terre : « Tu doibs avecques eulx jouer », ou v. 477 « Quand à eulx seras en secret », le pronom renvoyant à ces deux reprises aux filles dont parle Luxure2.

b. Phonétique

Le relevé suivant ne porte pas sur l’ensemble des phénomènes phonétiques notables dans les deux moralités, mais attache une attention particulière aux particularités mises en valeur à la rime. Il s’agit en effet d’un lieu d’homophonie qui met en lumière la prononciation qui pouvait être celle de tels textes, tout en problématisant la question de la métrique que nous aborderons ultérieurement.

L’alternance vocalique AI/OI est présente dans la Moralité du Lymon et de la Terre : v. 368-369 « suyvray/moy » ; v. 378-379 « foy/diray » ; v. 600-601 « moy/auray » ; v. 642- 643 « toy/envoyay » ; v. 887-888 « toy/baiseray » ; v. 1243-1244 « toy/clorray ». On remarque qu’il s’agit souvent d’une association entre un pronom personnel régime tonique (OI issu de la diphtongaison française de –e fermé accentué libre) et une désinence verbale, souvent de 1ère personne du futur I (de habémus à *ayyo, réduit à la diphtongue de coalescence AI puis à –E ouvert en ancien français). Il est possible que les rimes reflètent une prononciation, diphtonguée ou non (AI/E), des pronoms, un trait longtemps conservé dans les dialectes de l’Ouest3

.

L’alternance OI/E caractérise également certains infinitifs fréquents comme « aver » : dans la Moralité du Lymon et de la Terre : v. 268, 299, 483, 1258. Le phénomène, fréquent dans les imprimés Trepperel4, semble indiquer une simplification de la diphtongue en [é] plutôt qu’en [wa], cas que les historiens de la langue mettent parfois en relation avec les formes phonétiques des régions de l’Ouest5

.

1

J. Koopmans, Le Recueil de Florence, éd.citée, p.36.

2

L’usage du masculin comme genre non marqué est fréquent en moyen français ainsi que le soulignent Robert Martin et Marc Wilmet dans le Manuel du français du moyen âge, t.2 syntaxe du moyen français, dir. Yves Lefèvre, 1980, p. 149.

3

Geneviève Joly, Précis d’ancien français, Armand Colin, 1998, p. 60.

4

J. Koopmans, Le Recueil de Florence, Orléans, Paradigme, 2011, p. 31.

5

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Le dramaturge fait rimer AI avec –E (v. 481-482 « visitay/joyeuseté ») et avec –ER (v. 602-603 « parler/escollay »). L’homophonie suggère sans doute que la réduction des hiatus, commencée au XIVe siècle, connaît une grande extension au XVIe siècle1. L’occurrence du v. 602-603 indique en outre l’effacement du – R désinentiel, sensible pour toutes les formes d’infinitif aux XVe

et XVIe siècles (elles seront rétablies au XVIIe siècle, sauf pour les infinitifs du groupe I, voir Geneviève Joly, ibid).

Le cas des rimes du latin au français

Les rimes « bilingues », liant français et latin, sont courantes dans les deux moralités. Elles indiquent la volonté des rédacteurs d’articuler étroitement les citations porteuses d’auctoritas aux répliques en français ; une forme d’écriture théâtrale récemment étudiée par Jean-Pierre Bordier pour des pièces plus anciennes2. On peut relever, dans la Moralité des

quatre Eléments, une seule rime de ce type : mis/reverteris.( v. 1055-1057). Dans le Lymon et la Terre, les occurrences sont plus nombreuses : v. 469-79 : vend/ligant ; v. 810-813

lison/miserorum et pare/crez ; v. 828-833: humilitatem/beatam, puis un generationes isolé, et

superbiam/humilitatem. Ces cinq rimes latines sont encadrées par le couple vernaculaire tresplaisant/an des v. 828 et 833, ce qui enchâsse efficacement le latin dans la réplique en

langue vulgaire. D’autres occurrences dans cette pièce sont significatives : v. 836-7 : pas/cupidita ; v. 865-8 : garny/garniti et quorum/concideracïon ; v. 895 on trouve un simul isolé, puis terram/an ; aux v. 1068-71 : nequam/equam/vitam/regem ; et aux v. 1249-54 : ordonné/domine et meum/gardon. Ce dernier exemple, entre autres, révèle la prononciation « à la française » du latin qui se pratiquait couramment avant la réforme érasmienne, sur laquelle s’appuie notre prononciation actuelle de la langue latine. Ce souci d’intégration sonore participe à la pédagogie des moralités, qui citent certes le latin, mais le transposent aussitôt en français pour le rendre accessible au public.

1

C. Marchello-Nizia, La langue française aux XIVe et XVe siècles, Paris, Nathan Université, 1997, p. 69-70, article « la réduction des hiatus, aï > ai », elle souligne que l’on peut encore trouver des hiatus au XVIe siècle, sous la plume de Marguerite de Navarre, notamment, bien qu’ils soient devenus extrêmement peu courants.

2

Jean-Pierre Bordier, « Deux théâtres, deux bilinguismes », dans Approches du bilinguisme latin- français au Moyen Âge. Linguistique, codicologie, esthétique, éds. S. Le Briz et G. Veysseyre, Turnhout, Brepols, 2010, p. 359-390.

43 c. Graphie

La latinisation graphique qui est perceptible dans les deux pièces est d’un usage courant en moyen français. Dans La Langue française aux XIVe et XVe siècles1 Christiane Marchello-Nizia rappelle que dès l’apparition de cette habitude de latinisation de l’orthographe française au cours du XIVe

siècle, elle vise d’une part à pour différencier visuellement les nombreux homophones du français, d’autre part à conférer au vernaculaire le prestige de la langue antique.

Les consonnes étymologiques diacritiques quiescentes ne sont pas rares dans les deux pièces éditées. On trouve par exemple le -b subsistant de debere dans la forme « doibs » (Moralité du Lymon et de la Terre, v. 124) ; -p de temptare dans « je temptay » (Moralité des

quatre Eléments, v. 159). Les consonnes non diacritiques le sont tout autant, comme le

montrent le -d de s’adviser (Moralité du Lymon et de la Terre, v. 39) ou le -c de « scay » (Moralité du Lymon et de la Terre, v. 353), trace de la fausse étymologie scire pour le verbe « savoir », l’étymon correct étant sapere.