• Aucun résultat trouvé

3 Relations ville-port et écologie politique

CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE

I- 3 Relations ville-port et écologie politique

I-3-1 L’écologie politique et les sciences spatiales

L’écologie politique est un domaine récent, dont on peut faire remonter les prémices à la fin du XIXème siècle mais qui s’imposa en tant que tel à partir des années 1970. Elle consiste à étudier les relations entre les sociétés humaines et leur environnement en mettant un accent particulier sur la responsabilité humaine dans les processus à l’œuvre.

Jusque dans les années 1970, on étudie les impacts des évènements naturels sur la société et on en rend la nature responsable, ce qui pose l’homme en spectateur, en victime de la nature. À partir des années 1970 (rapport Meadows de 1972) et surtout la fin des années 1980 (rapport Brundtland de 1987), le paradigme change, en lien avec la conceptualisation du développement durable et de la compréhension de l’origine humaine de certains facteurs de genèse des catastrophes dites naturelles (Kane 2010). L’homme n’est donc plus seulement la victime de la nature, il peut être aussi acteur de la destruction de celle-ci, et acteur de processus de modifications de l’environnement qui impactent à leur tour la société. Les hommes sont alors

interdépendances se renforcent (Kane 2010). La dissociation entre risques naturel et technologique, entre nature et société, devient donc arbitraire (Adger 2006).

Dans les années 1980, l’ampleur des changements économiques, sociaux et environnementaux exacerbe la dialectique Homme-Nature.

Mais il faut attendre les années 1990 pour que le concept de durabilité s’impose et révolutionne les pensées. Se produit alors un nouveau changement de paradigme : la relation Homme-Nature acquiert un caractère moral ; la responsabilité humaine s’en trouve renforcée. Cette dialectique est à présent perçue comme un conflit (Kane 2010) qu’il faut apprendre à résoudre. La conciliation entre l’économie et l’environnement devient un sujet de préoccupation central. Les enjeux sociaux, eux-mêmes, entrent peu à peu dans l’équation.

Actuellement, ce renouveau de la réflexion sur la relation Homme-Nature applique la démarche d’écologie politique à différents champs disciplinaires. Malgré de très nombreuses différences entre divers courants de l’écologie politique émergente, certains points communs les font appartenir au même paradigme : le primat de la responsabilité humaine, l’importance du contexte humain, une pensée holistique et complexe, à la fois multiscalaire et multi-temporelle. La prise en compte de la multiplicité des points de vue, des envergures et des enjeux des acteurs est au cœur de l’approche de l’écologie territoriale, basée sur l’espace-temps (Smit & Wandel 2006).

I-3-2 Les domaines d’application de l’écologie politique dans les sciences spatiales

Différents champs d’application de l’écologie politique, comme l’écologie urbaine, l’écologie industrielle ou encore l’écologie territoriale émergent depuis dix à vingt ans, et peuvent s’appliquer aux différentes sciences spatiales.

1) L’écologie urbaine (Urban Political Ecology) conçoit la ville comme un écosystème – à la fois groupe et milieu de vie – ou un métabolisme (Swyngedouw 2006), où la responsabilité humaine est majeure dans les forces, les interactions et les vulnérabilités du territoire. Les concepts de Smart Growth et de Smart City, entre autres, en découlent. L’écologie urbaine

trouve une expression utopique dans le New Urbanism (Parker 2004), qui décline dans le domaine de l’urbanisme les principes de la durabilité.

L’écologie urbaine n’est pas prise en compte dans les études portuaires, même dans le champ des relations ville-port, contrairement aux études urbaines qui l’adoptent parfois pour des études de front de mer (waterfront).

2) L’écologie industrielle (Korhonen 2004 ; Ehrenfeld 2004) étudie un groupe d’entreprises qui fonctionnent en complémentarité pour réduire leur impact environnemental. S’y développent notamment les concepts de cycle de vie et de recyclage des éléments, également empruntés à l’écologie, ainsi que la collaboration, voire la symbiose entre les éléments – soit les acteurs de l’industrie – qui vivent en interdépendance les uns avec les autres dans un souci de durabilité (Diemer et Labrune 2007). La dialectique économie-environnement y est centrale, et la responsabilité humaine dans les dégradations environnementales, également.

L’écologie industrielle est un champ connexe et connu des études portuaires.

3) L’écologie territoriale (Gumuchian & Pecqueur, 2007 ; Pecqueur 2006) étudie l’évolution du métabolisme des territoires. Considérant le territoire comme un organisme, l’analyse des flux matériels (de matières premières, de personnes, d’énergie) et immatériels (d’informations, de proximités relationnelles et d’argent) constitue le fondement de l’étude des processus naturels et sociaux qui en sont à l’origine. Elle a pour objectif de constituer de nouvelles collaborations entre les acteurs. Cette approche encore très émergente est totalisante. Elle vise à englober, dans une démarche plus intégrée, les différentes approches d’écologie politique liée à l’espace (écologie urbaine et industrielle notamment). Ainsi, l’écologie territoriale a pour objectif de considérer ensemble les enjeux d’économie politique, de justice sociale et de justice environnementale. Contrairement à la théorie du développement local qui suppose que les ressources sont purement naturelles, l’écologie territoriale considère également les ressources humaines du territoire : profil socio-économique de la population, expertises et savoir-faire

L’objectif final est la valorisation du territoire, grâce à une bonne utilisation des ressources territoriales (Gumuchian et Pecqueur, 2007 ; Pecqueur 2006), une adéquation entre les flux économiques et les ressources, naturelles mais aussi humaines, du territoire (Sheppard 2002 ; Pecqueur 2006 ; Gumuchian et Pecqueur, 2007). Ainsi, l’écologie territoriale combine une approche systémique et une approche par réseaux grâce à des systèmes complexes (Moine 2006).

Cette approche peut être utilisée en études portuaires pour produire un nouveau territoire à partir des multiples contraintes et conflits entre les acteurs, comme, par exemple, dans un arrière-pays portuaire soumis à des relocalisations logistiques (Woudsma 2012). Son utilisation nous semble très pertinente dans le champ des relations ville-port.

L’écologie politique est plus développée en études urbaines, régionales, et en géographie économique, qu’en études portuaires, qui s’approprie davantage l’écologie industrielle, tout en restant à la périphérie. L’écologie urbaine, l’écologie industrielle et l’écologie territoriale sont ainsi des applications de l’approche d’écologie politique à des champs appartenant aux relations ville-port, mais elles restent à intégrer.

Les enjeux socio-écologiques sont désormais incontournables. C’est pourquoi, depuis 10 ans environ, quelques chercheurs travaillent à leur intégration dans les études portuaires sans pour autant mentionner ni l’écologie politique, ni les SSÉ. Nous souhaitons apporter notre contribution à cette réflexion en appliquant une approche d’écologie territoriale au champ des relations ville-port.

I-3-3 Relations ville-port et écologie territoriale

Ainsi, l’écologie territoriale nous semble particulièrement pertinente pour répondre aux différents défis théoriques soulevés par les relations ville-port :

1- Le croisement des perspectives, urbaine et portuaire, est le principal enjeu de ce champ de recherche. L’écologie territoriale offre un cadre théorique particulièrement bien adapté à la prise en compte d’enjeux et de perspectives multiples.

2- L’écologie territoriale s’inscrit fondamentalement dans une perspective de conciliation des enjeux économiques et des enjeux socio-écologiques, ce qui est très pertinent pour le croisement des perspectives urbaines et portuaires.

3- L’écologie territoriale accorde beaucoup d’importance au contexte, notamment social, culturel et institutionnel. Cela peut prendre la forme par exemple de réseaux communautaires particuliers, d’une spécificité culturelle régionale, de relations particulièrement complexes du territoire avec les échelons institutionnels, de besoins humains spécifiques. L’importance de la singularité du lieu est au cœur de la démarche de l’écologie territoriale, ce qui nous semble indispensable pour juger de la relation spécifique entre une ville et son port, au-delà de toute typologie (Merk 2013).

4- La gouvernance, les processus et niveaux décisionnels sont prépondérants en écologie territoriale.Or, le « nouveau paysage de la gouvernance » (Woudsma 2012) rend nécessaire une réflexion multiscalaire et transcalaire, en lien avec l’analyse des effets de la Globalisation sur le territoire, ce qui tend à se répandre dans la littérature portuaire et urbaine. L’écologie territoriale porte une attention soutenue à ces questions d’échelle, comme un moyen de juger de l’équité du développement et d’en pointer les défauts. Cette approche est donc très intéressante pour juger du processus de reterritorialisation en cours à l’interface ville-port dans un contexte d’atomisation des territoires en réseaux spécifiques aux acteurs (Castells 2001 ; Rimmer 2007).

5- Par ailleurs, nous voulons tenir compte de la nouvelle nature de l’interface ville-port, à la fois fragmentée, déconcentrée et multiscalaire, qui complique beaucoup les relations entre la ville et le port, pris dans des enjeux qui dépassent le cadre local et régional. L’analyse de la proximité euclidienne à l’interface ville-port ne suffit donc plus.

Nous pensons que l’analyse de certaines proximités relationnelles (Hall et Jacobs 2010) entre la ville et le port peut être un outil d’analyse pour construire une nouvelle symbiose territoriale

profitable. Nous intégrons donc les proximités relationnelles comme méta-concept dans notre cadre théorique.

6- Enfin, lorsque l’on réfléchit sur un territoire, la maîtrise de l’espace-temps est une évidence. Il s’agit d’une préoccupation ancienne en géographie. Avec les processus territoriaux actuels, cette dialectique traditionnelle se trouve renouvelée. Or, l’écologie politique étant très attentive à l’équité spatiale, la volonté de maîtriser l’espace-temps est au cœur de cette approche intellectuelle. Elle peut être le moyen de conjuguer les préoccupations portuaires (maîtrise du temps) et les préoccupations urbaines (maîtrise de l’espace) dans le contexte présent (Sheppard 2002 ; Hesse 2010 ; Woudsma 2012). Nous pensons que la positionnalité du territoire peut nous servir de méta-concept dans la mesure où Sheppard (2002) y voit le moyen de localiser les activités économiques de façon adéquate à la fois pour l’entreprise et pour le territoire. Ainsi, sans le dire dans ces termes, Sheppard recherche le moyen de concilier les perspectives entrepreneuriale et sociétale pour construire un territoire à la fois compétitif économiquement et préservé d’un point de vue socio-écologique. La positionnalité du territoire suppose donc l’adoption de critères à la fois liés aux flux économiques (le temps) et au territoire (l’espace) pour une bonne maîtrise de l’espace-temps. Reposant sur une perspective mixte conciliant les différents enjeux éco-socio-écologiques, ce concept nous semble particulièrement pertinent à transposer dans les relations ville-port. Hesse (2008 ; 2010) et Woudsma (2012) ont ébauché une telle démarche mais celle-ci reste largement à théoriser dans les relations ville-port.

Ainsi, l’attention portée à la positionnalité du territoire est un gage de réduction de la vulnérabilité territoriale et d’adéquation entre les intérêts des différents acteurs. Elle permet de construire une gouvernance territoriale collaborative mutuellement profitable.

Nous adopterons donc une démarche d’écologie territoriale, soutenue par les méta-concepts de positionnalité et de proximités relationnelles.

Le nouveau paradigme Homme/Nature de l’écologie politique peut renouveler considérablement les études portuaires et ses approches théoriques. La théorie des systèmes

socio-écologiques, pour sa part, offre un nouveau cadre intéressant, applicable aux relations ville-port.