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2-1-2 – Relations entre les groupes apodes

Partie II – Situation des Colubroidea

II- 2-1-2 – Relations entre les groupes apodes

Les lézards (sensu lato) forment un groupe très vaste de 4765 espèces réparties dans 19 familles ([D]) caractérisé par une grande diversité morphologique et écologique. Parmi ces différents groupes, deux familles ont adopté une morphologie apode (sans pattes), en liaison ou non avec un mode de vie fouisseur : les Pygopodidae (« Legless Lizards », littéralement lézards apodes) sont des lézards apodes australiens vivant en surface, et les Dibamidae (« Blind Lizards », littéralement lézards aveugles) sont fouisseurs (ou affectionnent les endroits cachés, sous les pierres par exemple). Tous deux appartiennent à l’infra-ordre des Gekkota ([D]).

Par ailleurs, le sous-ordre des Amphisbaenia rassemble trois familles (Amphisbaenidae, Trogononophidae, Bipedidae), toutes apodes ou avec une réduction très prononcée des membres (nous dirons par la suite apode dans un soucis de simplification), et fondamentalement adaptées à un mode de vie fouisseur ([D]).

Ces groupes ont été régulièrement rapprochés des serpents du fait de leur allure générale, justement, « serpentiforme ». Toutefois, ces trois groupes principaux apodes ont longtemps été un mystère phylogénétique. Lee (2005) a recensé les principales positions phylogénétiques des dibamidés, des amphisbènes et des serpents, reportés sur un arbre phylogénétique des squamates comparativement stable (figure 14).

En réalité la position de ces groupes est rendue très variable notamment par l’incorporation ou non à l’étude de fossiles. Ainsi, Lee (1998) réalise plusieurs analyses, basées sur la comparaison de critères ostéologiques. Il remarque que quand les fossiles (Sineoamphisbaenia, Mosasauroidea et Pachyrhachis) sont inclus dans l’analyse, les serpents se groupent avec les deux derniers fossiles (formant ensemble le groupe des Pythonomorpha) dans une classe sœur des Varanidae ; les deux lignées fouisseuses (Dibamidae et Amphisbaenia) sont sœurs, groupées avec Sineoamphisbaenia dans une classe sœur des Gekkota (Gekkonidae et Pygopodidae dans cette étude ; Lee, 1998). Mais quand les lignées fossiles sont retirées de l’analyse les Dibamidae et les Amphisbaenia, toujours sœurs, se groupent avec les serpents pour former une lignée apode monophylétique (Lee, 1998).

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Ce résultat a été confirmé récemment par l’auteur (Lee, 2005). Dans une étude plus large incluant un grand nombre de caractères ostéologiques, mais également des critères de morphologie des tissus mous, d’écologie et de cytologie, la position des dibamidés et des amphisbènes, toujours sœurs, est variable dans les analyses strictement ostéologiques suivant que les fossiles sont intégrés ou non à l’analyse.

En particulier, cette étude (Lee, 2005) permet de remarquer que la phylogénie des squamates est identique quand on l’étudie par des données ostéologiques en incluant des fossiles et quand elle est analysée par la comparaison de critères des tissus mous (analyses sur lesquelles il est bien évidemment impossible d’inclure les taxons fossiles). La phylogénie obtenue dans ce cas est d’ailleurs très voisine de celle obtenue par Lee (2000), qui considère également une combinaisons de critères ostéologiques et organiques, ou de celle trouvée par Lee (2005) en excluant les taxons apodes.

Ces éléments sont la preuve (et une très bonne illustration) de l’effet d’un phénomène de convergence adaptative sur la phylogénie morphologique d’un groupe animal. Les amphisbènes, les dibamidés et certains serpents basaux sont petits, allongés, fouisseurs, avec des membres réduits, se déplaçant sous terre en forçant le passage au milieu du substrat plutôt qu’en creusant (c’est d’ailleurs initialement pour cela que ces trois groupes avaient été rapprochés) (Lee, 1998). Il en résulte des adaptations du corps, qui n’ont pas forcément à voir avec une communauté évolutive (caractères homologues) mais plutôt imposés par la pression évolutive d’un milieu spécialisé (caractères analogues).

Figure 14. Instabilité phylogénétique des groupes de squamates apodes. Les diverses positions proposées des serpents (S), des amphisbènes (A) et des dibamidés (D) sont indiquées par des flèches. Tiré de Lee (2005) ; la bibliographie correspondante est résumée dans l’article d’origine.

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Dans ce cas précis, ces groupes ont convergé vers une petite taille et un corps allongé et apode (plus pratique pour se glisser à travers un substrat solide) ainsi qu’à une consolidation du crâne, ces groupes fouissant « tête la première ».

Les caractères suivants peuvent ainsi être liés à la miniaturisation du crâne : perte de nombreux os (lacrymal, jugal, post-frontal, post-orbital, splénial, angulaire, articulaire), réduction du nombre de dents maxillaires et dentaires, articulation de l’os carré directement avec l’opisthotique, supra-occipital déporté en arrière du pariétal, fermeture de la fenêtre post- temporale (Lee, 2005), déplacement des muscles des mâchoires et réduction du crista prootica (Lee, 1998). D’autres caractères sont liés à la consolidation du crâne : suture fronto- pariétale complexe et rigide, os pariétal allongé et développé vers le bas (Lee, 1998). Certains sont directement conséquence du mode de vie fouisseur et du corps allongé : augmentation du nombre de vertèbres présacrales et cervicales, présence de côtes cervicales sur la 3ème vertèbre présacrale, côtes pourvues de pseudotuberculums antéro- et postéroventral (Lee, 2005), épines neurales basses, région cervicale réduite et fusion des intercentra des vertèbres cervicales (Lee, 1998). D’autres enfin sont directement conséquence de la réduction des membres : perte des clavicules et des inter-clavicules, lymphapophyses libres (en liaison avec la perte du contact avec le sacrum), réduction ou perte du scapulo-coracoïde, réduction ou perte du sternum, réduction du nombre de points d’attachement des côtes au sternum, réduction ou perte des membres antérieurs, du bassin et des membres postérieurs (Lee, 2005). De plus, la projection antéro-latérale des processus caudaux transverses pourrait être liée à l’utilisation de la queue comme levier par certaines formes fouisseuses (Lee, 1998).

En général, les différents caractères incorporés aux études morphologiques n’y sont pas pondérés (c’est-à-dire que chaque caractère présent compte pour 1, chaque caractère absent pour 0). La présence d’éléments morphologiques en liaison avec d’autres (ou, comme ici, avec un élément écologique) créé une redondance des caractères, qui peuvent ainsi prendre le pas, par le seul poids du nombre, sur des caractères analogues.

Ainsi, quand ces caractères sont retirés des analyses (c’est-à-dire, pondérés par un facteur 0, comme cela a été fait par Lee, 1998) ou quand l’ostéologie est combinée à des caractères portant sur les tissus mous (l’adaptation au mode de vie fouisseur agissant beaucoup plus sur le squelette que sur les organes ; Lee, 2000, 2005), les vraies homologies « ont la place » pour apparaître. L’inclusion des groupes fossiles (Lee, 1998, 2005 ; Caldwell, 1999) permet également de corriger ce biais : les fossiles, plus proches des ancêtres communs, présentent une combinaison de caractères qui montrent que les critères ostéologiques des dibamidés-amphisbènes et des serpents résultent d’une convergence. En particulier, les mosauroïdes et les serpents marins du Crétacé (tels que Pachyrhachis) présentent plusieurs synapomorphies avec les serpents actuels, mais également ont des membres bien développés, et ne présente presque aucun caractère d’adaptation au fouissage (Lee, 2005).

Pour toutes ces raisons, le rapprochement des dibamidés et des amphisbènes est à considérer avec prudence, malgré d’excellents supports statistiques (Lee, 1998, 2005 ; Caldwell, 1999), qui d’ailleurs diminuent significativement, en restant tout de même forts, dans les analyses ne comparant que les tissus mous (Lee, 2000, 2005). La séparation des serpents et leur rapprochement de lignées « tétrapodes » (les Anguimorpha en l’occurrence) est en revanche un argument phylogénétique fort, puisque allant contre le biais dont il vient d’être question. Notons pour finir que les Pygopodidae, le quatrième groupe tendant vers le caractère apode, n’est pas soumis à ce biais car leur évolution s’est faite en surface, ils n’ont donc pas convergé vers tous les caractères en rapport avec le caractère fouisseur (Lee, 1998).

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