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Partie III – Phylogénie des Colubroidea

III- 1-2-1 – Cas des Viperidae

Au sein de tous les groupes précédemment énoncés, le plus largement reconnu est la famille des Viperidae. Il est aujourd’hui unanimement admis que les Atractaspididae ne sont pas reliés aux vipères et aux crotales, bien que partageant un appareil solénoglyphe. La seule comparaison de cet appareil suffisait à les distinguer, tant du point de vue de l’axe selon lequel pivotait le maxillaire que du point de vue de l’histologie de leurs glandes à venins (se référer à la partie III-1-1-1).

La monophylie des Viperidae, à l’exclusion des Atractaspididae, est supportée par les deux synapomorphies suivantes : glande à venin avec une lumière large ; glande accessoire globulaire située en avant du conduit de la glande à venin. Par ailleurs, le muscle compresseur de la glande prend son origine en profondeur, avec le muscle adducteur superficiel passant à travers la boucle de ce dernier (trouvé aussi chez Atractaspis) ; les processus parapophysaires sont bien développés et nettement dirigés antéro-ventralement (également trouvé chez les Natricinae, à un degré moindre). La morphologie de l’hémipénis se caractérise ainsi : organe fortement bilobé, les lobes étant en général 2 à 3 fois plus grands que la longueur du corps (exception chez Trimeresurus stejnegeri stejnegeri par exemple) ; lobes généralement ornés de calices distalement et d’épines proximalement (degré d’extension de ces ornements très variable) ; sillon spermatique divisé au niveau de la fourche ou juste en dessous, centripète ou légèrement centrifuge le long des lobes (sauf T. s. stejnegeri) ; corps ornementé de spinules et d’épines moyennes à longues (très rarement nu), sans distinction d’ornementation entre les côtés silloné et non-silloné (Zaher, 1999).

Rappelons le fort crédit actuellement accordé à la morphologie des hémipénis, en liaison avec le fait que cette morphologie ne participe pas directement à la pression évolutive, ce qui limite le risque de voir apparaître des convergences adaptatives (se référer à la partie I-3-1-1). Ajoutons à ces critères l’allure générale du corps, homogène et se détachant bien des autres serpents (même s’il y a plusieurs exceptions à cela) : tête large et triangulaire, pupilles verticales, corps trapu, queue courte et bien marquée (voir par exemple [D]).

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Notons également que les Viperidae peuvent assez bien être distinguées des autres groupes de serpents par la morphologie du canal vidien, par la position respective du nerf palatin et de l’artère cérébrale, par la morphologie de l’os palatin, par la présence d’hypapophyses postérieures et par la forme du sinus génital femelle (Underwood, 1999).

Cette distinction morphologique est unanimement soutenue par les études moléculaires, la monophylie des Viperidae (à l’exclusion des Atractaspididae) n’étant jamais remise en question (Heise et al., 1995 ; Kraus et Brown, 1998 ; Gravlund, 2001 ; Highton et al., 2002 ; Slowinski et Lawson, 2002 ; Vidal et Hedges, 2002, 2004 ; Kelly et al., 2003 ; Pinou et al., 2004 ; Nagy et al., 2005 ; Lawson et al., 2005). Les supports statistiques pour cette classe sont maximaux, en général ≥ 98%, deux fois seulement < 90% (79%, dans une construction de Vidal et Hedges, 2002 ; 68% dans l’étude de Highton et al., 2002 dont l’interprétabilité a déjà été discutée). L’étude de Gravlund (2001) est la seule de la liste précédente à utiliser les « branch supports », indice qu’elle accorde à hauteur de 14 pour la monophylie de cette famille.

La famille occupe en général une position basale au sein de la superfamille des Colubroidea : parfois présentée comme famille sœur de tous les autres Colubroidea (Highton et al., 2002 ; Nagy et al., 2005), elle partage cette position avec le genre Enhydris (Homalopsinae ; Heise et al., 1995) ou avec le genre Pareas (Pareatinae ; Slowinski et Lawson, 2002 ; Lawson et al., 2005) ; elle occupe parfois le deuxième rang après les Xenodermatinae (Kraus et Brown, 1998 ; Kelly et al., 2003 ; Vidal et Hedges, 2004 ; Vidal et David, 2004) ou après le genre Psammophis (Psammophiinae, désignée comme famille des Lamprophiidae par les auteurs ; Pinou et al., 2004), ou le troisième rang après les Xenodermatinae et les Pareatinae (Vidal et Hedges, 2002) ; sa position n’est pas résolue par Gravlund (2001) mais est basale également.

Par ailleurs, ses différentes sous-familles sont en général bien reconnues. En particulier, les sous-familles des Viperinae et des Crotalinae sont toujours séparées (Heise et al., 1995 ; Gravlund, 2001 ; Highton et al., 2002 ; Vidal et Hedges, 2002 ; Pinou et al., 2004 ; Lawson et al., 2005), même si la sous-famille des Viperinae est polyphylétique dans l’étude de Highton et al. (2002 ; séparation faiblement supportée), et rendue paraphylétique par la position d’Azemiops dans celle de Kelly et al. (2003 ; plus fortement supporté).

Les vipères et les crotales sont notamment séparés morphologiquement par la possession, par les seconds, d’une paire d’organes thermosensibles visibles sous forme d’une petite cavité de chaque côté de la tête, entre les yeux et les narines. Nous pouvons d’ailleurs remarquer que le nom anglophone de crotale, « pit-viper », fait référence à cet organe (dit « pit-organ », « pit » pouvant se traduire par « trou ») (Ineich, 1995 ; [D]).

Un consensus place le genre Azemiops, monotypique (A. feae) et seul représentant de la sous-famille des Azemiopinae, comme taxon basal de la famille (voir notamment Pinou et al., 2004, ou Vidal et Hedges, 2002), en général lié aux crotales (Heise et al., 1995 ; Herrmann et Joger, 1997 ; Ineich, 1995), moins nettement aux vipères (Kraus et Brown, 1998 ; Gravlund, 2001). La position de ce genre énigmatique est variable dans l’étude de Kelly et al. (2003), tantôt frère des (ou inclus dans les) Crotalinae, tantôt inclus dans les Viperinae. Ce genre se distingue morphologiquement par l’absence de l’organe caractérisant normalement les crotales, ainsi que par des écailles au niveau de la tête se rapprochant de celles des colubridés, des écailles corporelles lisses et l’absence de poumon trachéal ([D]).

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La position du genre Causus est également difficile à trancher car intégrée à peu d’études. Si elle est unanimement considérée comme une vipère sensu lato (Highton et al., 2002 ; Vidal et Hedges, 2002 ; Kelly et al., 2003 ; Pinou et al., 2004 ; Nagy et al., 2005), elle est rarement basale dans les analyses moléculaires (regroupée notamment avec Atheris dans l’étude de Highton et al., 2002). Ce genre est pourtant utilisé comme « outgroup » dans certaines études portant sur la phylogénie des vipères (Herrmann et Joger, 1997 ; Lenk et al., 2001b). La très nette divergence morphologique de ce genre avec les autres Viperinae – en particulier, condition supposée primitive de ses écailles, de sa pupille ronde et de la morphologie de son appareil venimeux (Nagy et al., 2005) ; différences dans l’organisation de l’appareil venimeux, du sac supra-nasal, pupilles rondes, topologie des artères différente, muscle adducteur externe profond divisé (voir par exemple Lenk et al., 2001b, ou Herrmann et Joger, 1997) – justifie peut-être de mettre ce genre à part des autres Viperinae, comme préconisé par Ineich (1995) et Herrmann et Joger (1997). Cette proposition n’étant pas encore supportée par des critères moléculaires, et face au faible nombre d’études incorporant ce genre, il me semble pour l’instant prudent de la considérer comme une vipère, sans l’élever au rang de sous-famille, comme actuellement admis par l’EMBL Reptile Database ([D]).