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Les relations avec les collègues

Chapitre 5 : Présentation et analyse des résultats

5.2 Facteurs de l’attrition identifiés au sein de l’échantillon

5.2.3 Les relations avec les collègues

Les participants ayant discuté longuement des relations avec les collègues, les composantes de ce facteur étaient facilement identifiables. Lorsque les participants mentionnaient que les relations avec les collègues avaient influencé leur décision d’abandonner la carrière, ils référaient à deux choses : l’absence de soutien de la part des collègues et la piètre qualité des relations entre collègues dans les établissements où ils ont travaillé. Étant donné que ces deux composantes sont souvent liées entre elles, nous les présentons conjointement.

La qualité des relations entre collègues est l’une des facettes du climat organisationnel d’une école (Janosz, Thiebaud, Bouthillier, & Brunet, 2004). Cet aspect relationnel, lorsqu’il fait défaut, est reconnu par plusieurs auteurs comme étant une source importante de stress et d’insatisfaction au travail (Kyriacou, 2001). Les participants rencontrés dans le cadre de cette étude ont rapporté avoir été surpris de constater à quel point les relations et la collaboration entre collègues au sein des établissements scolaires peuvent être insatisfaisantes et les propos à cet égard ont constitué une part non négligeable des entrevues de groupe (8,8 % des codes). De plus, 24 participants (92 %) ont cité les lacunes dans les relations avec les collègues comme un facteur ayant influencé leur décision de quitter l’enseignement.

« Il y a un manque de collaboration, d’équipe. » (P114)

« Puis, il y a parfois des clans […], on se mange entre nous autres, on se piétine entre nous autres. » (P109)

Ces propos soulèvent d’une part le manque de collaboration, et d’autre part, le manque de respect que les enseignants peuvent avoir les uns envers les autres. Ce n’est peut-être pas si étonnant puisqu’il semble que le manque de respect dans tous les milieux de travail soit à la hausse (Brun, 2008). Ainsi, le climat relationnel entre collègues dans les établissements scolaires ne fait pas exception. Plusieurs participants ont raconté des anecdotes, certaines plus colorées que d’autres, relatant des événements blessants, empreints de manque de respect et dans lesquels les

protagonistes étaient des enseignants. La quantité de ces récits démontre l’importance de ce facteur dans la décision de quitter et les propos des participants à cet égard témoignent du fait que la qualité des relations entre les enseignants était souvent loin d’être satisfaisante.

« Finalement, on se retrouve tous ensemble, mais il y a un prof dans cette salle- là qui ne m'aimait pas la face. Il ne me connaissait pas beaucoup, j'étais arrivé au début de l'année et tout de suite en partant ce gars-là m'a pris en grippe. » (P203)

« Moi j'ai entendu des choses, j'ai vu des choses dans des salles de profs que je ne m'attendais jamais à voir. Des fois, tu te demandes c'est qui les enfants, c'est tu ceux que tu as dans ta classe ou ceux qui sont dans la salle des profs. » (P108)

« Il y a la solidarité des autres, des collègues, mais quand on arrive comme un étranger dans une école, tout retombe sur cette personne. C'est elle l'intruse, donc on se décharge sur cette personne-là. Il n'y a personne qui l'écoute, personne qui lui vient en aide. Au contraire, on l'accable. Donc, l'enseignant il se trouve démuni face à cette situation et ça crée un énorme stress. En tout cas c'est un des facteurs qui m'a amené à abandonner l'enseignement. » (P207) Il est évidemment concevable que tous ne puissent pas s’entendre avec tout le monde, qu’inévitablement il y a aussi des affinités naturelles, mais on peut s’imaginer que les enseignants agissent tout de même entre eux avec le civisme et la décence que requiert nécessairement toute relation professionnelle. Sauf que selon plusieurs participants, il semble que ce ne soit pas toujours le cas. Dans certains cas, les situations vécues par les participants s’apparentaient même à du harcèlement psychologique.

« J'ai été dans une classe de cinquième où il y en avait deux autres qui se sont dit : on ne va pas la mettre dans nos sorties éducatives. Elles ont tout fait à leur façon et quand elles voyaient que ma classe était un peu turbulente, elles venaient me voir en me disant : ta classe nous dérange. » (P112)

« Mais je ne comprends pas comment il y a ça dans le milieu de l'enseignement, des conflits de personnalité ? On est supposé d'être là avec des valeurs humaines de base, minimales, puis il y en a plusieurs qui ne l'ont pas. Puis ça se bitch entre eux, il y a des profs qui se bitchent carrément entre eux. » (P225)

« C'était tellement fermé les mentalités des gens, le jugement était très fort entre collègues et […], des fois ça me décevait. Parce ce qu'il y avait des gens qui était spotés, eux-autres sont comme ci, eux-autres sont comme ça. Le jugement était très fort et tu ne pouvais pas endurer ça. » (P116)

Une autre dimension importante des relations entre collègues est le soutien que les enseignants plus expérimentés peuvent apporter aux débutants en termes de transfert des connaissances et d’aide à l’intégration. Or, à l’analyse du discours des participants rencontrés, on remarque que ces derniers ont eu très peu d’échanges de ce type avec leurs collègues plus expérimentés.

« Tes collègues! Bien tu ne sais pas c'est qui tes collègues. Avec les 30 % de tâche qui ne sont jamais là et change tout le temps, les plus vieux qui te voient arriver se disent que c'est un autre qui s'en va à l'abattoir. » (P102)

« J’ai essayé de chercher du soutien puis je n’en ai pas eu pantoute dans l’équipe de professeur. Il n’y avait pas de mentorat, il n’y avait rien pour avoir du feedback. » (P109)

Cela dit, les participants ont affirmé comprendre pourquoi ce type d’échange est difficilement réalisable dans le contexte actuel. Les enseignants sont tous débordés et ils n’obtiennent pas de reconnaissance pour le soutien donné. Malgré tout, les participants indiquent que ce type d’échange aurait pu favoriser leur rétention dans la profession.

Un dernier élément est ressorti des discussion relativement aux relations entre les collègues. Plusieurs participants ont perçu que les relations entre collègues enseignants étaient souvent empreintes de jugement et de méfiance envers les autres. Cela affectait la qualité des relations qu’ils pouvaient espérer entretenir avec leurs collègues et pour beaucoup d’entre eux, ce climat de méfiance a influencé leur décision de quitter l’enseignement.

« Le manque de solidarité entre profs vient de ça. Les profs, en tout cas de ce que j'ai pu observer, ont toujours peur de se faire critiquer. » (P111)

« Je trouve que, le côté individualiste, j'ai l'impression qu'on voit souvent ça dans les écoles, qu'il y a une espèce de compétition entre les profs. Qu'il y a souvent des cliques qui se forment et que là c'est les profs entre eux qui se mettent des bâtons dans les roues. » (P121)

Pour conclure, il semble que les participants aient connu très peu de relations significatives avec leurs collègues enseignants. Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer si de telles situations sont courantes ou si les individus rencontrés ont travaillé dans des milieux particulièrement conflictuels. Cependant, à l’analyse des propos des participants, il est évident que les comportements que les enseignants adoptent envers eux-mêmes ont une incidence sur la persévérance en enseignement.