• Aucun résultat trouvé

Les difficultés liées à la gestion de classe

Chapitre 5 : Présentation et analyse des résultats

5.2 Facteurs de l’attrition identifiés au sein de l’échantillon

5.2.1 Les difficultés liées à la gestion de classe

Plusieurs études l’ont souligné, les difficultés reliées à la gestion de classe constituent un facteur prédominant de l’attrition du personnel enseignant (Karsenti, &

14.20% 10.90% 10.70% 9.10% 8.80% 7.90% 6.10% 5.50% 5% 4.40% 4.10% 4% 1.60% 1.40% 1.40% 1.40% 1.20% 1.10% 0.60% 0.50% Gestion de classe Précarité Soutien direction Contexte social Relation avec les collègues Charge de travail Contexte administratif Valorisation Manque de ressources Soutien parents Formation initiale Contexte de réforme Caractéristiques des écoles Ratio Salaire Choix de carrière Processus décisionnel Épuisement Opportunité Caractéristiques personnelles

al., 2008; Kirsch, 2006). Ainsi, les participants de notre échantillon confirment les résultats des recherches antérieures en ce qui a trait à la prédominance du facteur Gestion de classe. Tous les participants ont témoigné de l’influence de ce facteur et les propos le concernant totalisent la part la plus importante de toutes les discussions (14,2 % des codes).

D’abord, nous tenons à souligner que nous n’utilisons le concept de gestion de classe que par souci de cohérence avec le vocabulaire propre au milieu de l’enseignement puisque nous estimons par ailleurs qu’il est un peu flou. En ce sens, les propos que nous avons regroupés au sein du facteur gestion de classe concernent les multiples dimensions du travail enseignant qu’il cherche à définir : la différenciation des stratégies d’apprentissage, l’intervention éducative, la conciliation de l’hétérogénéité des besoins d’apprentissage et le maintien de la discipline. La part occupée par chacune de ces dimensions dans le contenu des discussions est résumée à la figure 5. Il est nécessaire de préciser que les propos relatifs à la dimension du maintien de la discipline étaient nettement plus importants en nombre.

Figure 5 : Composantes du facteur Gestion de classe

Les participants ont affirmé qu’en dépit de leurs efforts, il leur était très difficile de maintenir un climat propice à l’apprentissage en classe en raison des nombreux problèmes de discipline. Ces problèmes ne sont pas nécessairement le fait d’élèves reconnus comme présentant des troubles spécifiques, mais plutôt d’attitudes généralisées manifestant un manque de respect pour les autres et pour la forme scolaire en général. En adoptant toute une panoplie de comportements dérangeants, les élèves

Discipline, 53.3 % Hétérogénéité, 23.3 % Intervention, 16.7 % Apprentissage, 6.7 %

monopoliseraient l’action éducative de l’enseignant, l’empêchant ainsi de réaliser l’essentiel de sa tâche de travail, c’est-à-dire; enseigner.

« Il n'y a pas juste un ou deux élèves turbulents dans la classe, souvent c'est sept ou huit. Tu vois des fois, on ne sait pas quoi faire, on passe plus de temps à faire de la discipline que de passer la matière. » (P206)

« Puis je n'avais pas envie de me battre, j'avais de l'amour pour le français. Je n'avais pas l'énergie, je n'avais pas envie de forcer les gens à rester assis, puis là taisez-vous, la cloche, la discipline, la discipline. Non ce n'était pas, je n'avais pas envie de faire ça. » (P109)

« Le problème ce n'est pas l'argent, c'est la discipline. Si on ne peut pas communiquer, transmettre la connaissance, si l'élève refuse de travailler, il dérape à plaisanter, à niaiser, vous avez beau avoir les meilleurs enseignants du monde, on ferait rien du tout. » (P207)

Il est évident que ces difficultés au niveau du maintien de la discipline ne permettent pas aux enseignants d’exercer leur métier proprement et incidemment de se sentir compétent dans l’exercice de leur fonction. Les participants rencontrés partageaient une passion pour la transmission des connaissances et ils trouvaient déplorable de ne pas être en mesure de la réaliser en raison de l’attitude et/ou des comportements de certains élèves qui privaient ainsi tous les autres des apprentissages nécessaires à leur développement. On pourrait arguer que le maintien de la discipline fait partie des compétences attendues des enseignants et que certains avaient peut-être des lacunes à ce niveau, mais les propos recueillis font état de tellement de désarroi qu’on ne peut que soulever l’interrogation suivante : n’y a-t-il pas une limite à ce qu’il est humainement possible de supporter en matière de manque de civisme et d’irrespect ?

À défaut de pouvoir affronter seuls un tel climat de désorganisation en classe, plusieurs ont affirmé s’être tournés vers les collègues et la direction pour être soutenus dans leurs interventions. Lorsqu’ils ont cherché de l’aide, ils ont dit s’être trouvés souvent confrontés à eux-mêmes. On ne peut que déplorer une telle situation, car si les enseignants ont déjà des difficultés, qu’ils n’ont pas peur de souligner, en leur reprochant ainsi ce qu’ils font ou ne font pas, on ne fait que confirmer le sentiment

d’incompétence qui se développe déjà en eux, indépendamment de la véritable part de responsabilité qui leur incombe. De plus, ce type de situation ne fait que déteriorer le climat relationnel du milieu scolaire qui semble déjà problématique comme nous le verrons plus loin.

« Si tu vas commencer à poser des questions un peu et que tu as l'air de quelqu'un qui a des problèmes, qui n'arrive pas, la phrase qui tue c'est : avez- vous de la misère avec votre gestion de classe ? Qui n'a pas de misère avec la gestion de classe aujourd'hui ? » (P116)

« L'enfant est roi, tu ne peux pas punir un élève sans te faire blâmer par après, sans te faire dire que c'est de ta faute, soit par la direction ou par les parents. Moi c'est vraiment ça que j'ai vu, puis il y a plusieurs professeurs qui me disaient la même chose. » (P225)

Il convient de rappeler qu’en raison des transformations sociales récentes au Québec, la clientèle scolaire s’est grandement diversifiée. La diversification socio- économique et socioculturelle des populations scolarisées aurait transformé le rapport enseignant-enseigné, engendrant des problématiques nouvelles ou diverses formes d’irrespect pour la fonction enseignante, sinon pour l’adulte qui la remplit (Lessard & Tardif, 2001). Cette situation étant plus courante dans les milieux fortement urbanisés où ont enseigné les participants à notre étude, il est fort probable qu’une partie des difficultés qu’ils ont rencontrées soit le fait de cette nouvelle réalité scolaire.

Par ailleurs, la diversification des clientèles scolaires a entrainé des écarts grandissant entre les élèves pour ce qui est des acquis et des besoins d’apprentissage.

« Le matériel on l'adapte quasiment à chaque élève. Chaque élève a des besoins différents. » (P123)

La politique d’intégration systématique en classe régulière des élèves handicapés et/ou présentant des difficultés d’adaptation et d’apprentissage a aussi eu des impacts sur le travail des enseignants. Ces derniers disent se sentir souvent démunis puisqu’ils ne sont pas formés pour intervenir auprès d’élèves présentant de graves problèmes d’apprentissage ou de comportement.

« Au primaire, tu te retrouves avec des troubles de comportement dans ta classe, des élèves qui devraient être dans des écoles spécialisées. Ensuite, des élèves avec des troubles envahissant du développement qui sont intégrés dans les classes régulières, des élèves handicapés qui sont intégrés dans les classes. Puis, souvent ce que j'ai remarqué, c'est que cela se faisait sans aucun soutien, ça je l'ai vu. » (P227)

« Moi j'ai un bac en adaptation scolaire, fait que je suis formée pour les jeunes en difficultés, mais vous en avez autant! Les enseignants réguliers en ont autant dans leur classe. » (P114)

« Pourquoi ne pas intégrer les cours d’adaptation dans nos cours de pédagogie au régulier? » (P112)

Il devient difficile pour l’individu de satisfaire son besoin de compétence lorsque les exigences de la tâche dépassent son profil de compétence. Bien qu’il soit légitime de questionner les moyens entrepris par les enseignants pour tenter de combler ces lacunes de leur formation initiale, il faut cependant souligner qu’au niveau des entraves à la satisfaction du besoin de compétence, une importance cruciale réside dans la perception qu’a l’individu de la faisabilité de la tâche (Deci & Ryan, 2000).

« On est dans une journée pédagogique, puis aujourd'hui c'est sur la différenciation pédagogique. Bon ça va être quoi ton plan cette année pour faire de la différenciation pédagogique ? Puis tout le monde sait qu'on a de la misère juste à faire de l'enseignement de base. » (P119)

« Avec des élèves en difficulté ça n'a pas aidé, je leur apprends quoi, leurs tables ? Ils recommencent l'année d'après, ils ne le savent pas plus. À un moment donné, tu te dis je sers à quoi ? Ordre croissant, décroissant à 12 ans on sait c'est quoi. Des fois il y a des affaires que mon enfant sait, puis je me dis mes élèves ne le savent même pas, puis ils ont 12 ans, il y a un problème. Je comprends que tu peux avoir des difficultés, mais ce n'était quand même pas des élèves avec des déficiences ! » (P102)

Au niveau de la gestion de classe, ce qui apparaît donc le plus déterminant est le sentiment de bénéficier d’un climat de classe qui permette de faire correctement son travail. Les récits entendus ont fait ressortir qu’on ne parvient à l’obtenir qu’au bout d’un processus épuisant et constamment à recommencer.

« Pour moi la relation avec les élèves c'est très confus. Autant j'ai eu des élèves très attachants, autant j'en ai eu qui ont éveillé en moi des sentiments d'agressivité très intense disons, pour être poli. » (P228)

« À la fin de constater que 60 % de mon temps n'a été que de la discipline. Ah aujourd'hui j'ai enseigné quinze minutes! C'était ça. Je regardais les autres profs qui avaient 20 ans, 25 ans d'expérience, tout le monde revenait à ce point-là. » (P101)

Il nous semble opportun de terminer en formulant un commentaire sur le concept de gestion de classe. Bien que ce concept ait entraîné la disparition du mot discipline du vocabulaire scolaire, il n’en demeure pas moins qu’en tentant d’identifier les principales difficultés qu’ont les enseignants en gestion de classe, on y revient toujours.

5.2.2 La précarité d’emploi et les difficultés liées à l’insertion professionnelle