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Relation génération de ROS, synthèse d’ATP

3 La mitochondrie, centrale énergétique cellulaire & source de stress oxydatif

3.4 Relation génération de ROS, synthèse d’ATP

Comme il vient d’être décrit, de nombreux facteurs affectent la production de ROS et d’ATP ; certains facteurs sont communs (disponibilité en oxygène ou potentiel de membrane), d’autres non, tout au moins, pas directement. En effet, dans un système aussi complexe et dynamique que la bioénergétique mitochondriale, la plupart des paramètres sont interconnectés avec de nombreuses boucles de rétroaction, et il n’est donc pas judicieux d’exposer une relation production d’ATP – génération de ROS comme un rapport linéaire et figé. Je vais donc exposer différentes approches de la fonction mitochondriale, en réintégrant3 les mécanismes dans la biologie de l’organisme, principalement au niveau de la balance énergétique. Cette partie est une synthèse réalisée à partir de Kadenbach, 2003 ; Brand, 2005 ; Hinkle, 2005 ; Barja, 2007.

3.4.1 État basal versus état phosphorylant

Le graphique issu de Kadenbach (2003) permet de visualiser l’interaction de nombreuses variables impliquées dans le fonctionnement mitochondrial (figure 10). Les états fonctionnels de la mitochondrie qui sont fréquemment mesurés sont des capacités oxydatives nommées état 3 (phosphorylant) et état 4 (non – phosphorylant).

3 La majorité des connaissances actuelles résultent de mesures d’activité mitochondriale in vitro, c'est-à-dire sur des mitochondries isolées, mises dans des conditions artificielles de mesures. Les extrapolations de la mitochondrie à l’organisme sont donc hypothétiques. Néanmoins, tout comme l’ambition d’appréhender des

Figure 10 : Relation entre potentiel de membrane (mV), le taux respiratoire, la production de ROS et la synthèse d’ATP mitochondriale.

Ces deux états sont en réalité les extrémités d’un continuum entre :

- une respiration mitochondriale qui se déroule en l’absence de synthèse d’ATP (partie droite du graphique). La respiration mitochondriale permet de compenser la fuite de proton à travers la membrane interne. Expérimentalement, l’état 4 est atteint par une inactivation de l’ATP synthétase, soit parce qu’il n’y a plus d’ADP, son substrat, soit par l’action d’un inhibiteur spécifique de l’enzyme (l’oligomycine). Physiologiquement, les mitochondries approchent l’état 4 lorsque le ratio ATP/ADP est élevé. Cela signifie que la cellule n’a pas besoin d’énergie chimique. D’un point de vue mécanistique, le ratio ATP/ADP inhibe la respiration par une action directe sur la cytochrome c oxydase (enzyme terminale de la chaîne respiratoire, permettant la réaction entre les électrons et l’oxygène). Ce système de rétrocontrôle permet de réguler la respiration en fonction de la consommation d’ATP de la cellule. Dans ces conditions, le potentiel de membrane est maximal, ce qui freine les pompes à protons et ralentit les consommations d’oxygène et de substrats. Il y a alors une forte pression partielle en oxygène au niveau de la mitochondrie, ainsi qu’une accumulation des

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électrons. Les transporteurs d’électrons sont donc dans un état fortement réduit. Toutes ces conditions expliquent qu’à l’état 4 la production de radicaux libres est très forte.

- une respiration mitochondriale associée à la synthèse d’ATP (État 3, partie gauche du graphique en figure 10). L’activité de l’ATP synthétase est favorisée par une diminution du ratio ATP/ADP, signifiant des besoins cellulaires en ATP. L’apport en ADP dans la mitochondrie va stimuler l’ATP synthétase, ce qui sera accompagné par une baisse du potentiel de membrane, qui, en conséquence, stimulera les pompes à protons et donc la respiration mitochondriale. Dans ce cas là, deux phénomènes interviennent dans la faible production de ROS. Premièrement, les transporteurs d’électrons se trouvent dans un état oxydé car le flux d’électron est canalisé vers le complexe IV pour réduire l’oxygène en eau et permettre le maintien d’un potentiel de membrane compatible avec la synthèse d’ATP et les besoins énergétiques de la cellule. Cette canalisation des électrons évite leur accumulation dans la chaîne respiratoire. Deuxièmement, la diminution locale de la pression partielle en oxygène induite par la consommation mitochondriale va permettre une diminution de la production radicalaire. Ce mécanisme apparaît comme étant une des principales raisons de la diminution de la production de ROS à l’état 3 (Ludwig et al, 2001). L’affinité de l’oxygène est beaucoup plus élevée pour la cytochrome c oxydase qu’avec les transporteurs d’électrons, qui sont générateurs de ROS, ce qui favorise la réaction d’oxydoréduction avec le cytochrome c oxydase. Cela explique aussi la corrélation positive entre la synthèse de ROS et la pression partielle en oxygène (Barja, 2007).

In vivo, la mitochondrie oscille entre ces deux états, répondant aux besoins de la

cellule. A l’échelle d’une mitochondrie, la production d’ATP est effectivement corrélée positivement à la consommation en oxygène de la mitochondrie, et inversement proportionnel à la production de ROS. Toute chose étant égale par ailleurs, un organisme dont les mitochondries tendent à rester à l’état 3 produirait très peu de ROS et beaucoup d’énergie comparé à un organisme tendant à rester à l’état 4.

Cependant, les relations entre consommation d’oxygène, production de ROS et synthèse d’ATP ne s’arrêtent pas à une régulation de l’activité mitochondriale. D’autres paramètres peuvent affecter la structure même de la mitochondrie, ou encore au niveau de l’organisme entier.

3.4.2 Fuites de protons

Comme il a été expliqué précédemment, la plasticité du couplage énergétique (ratio P/O) de la mitochondries s’explique par les variations de la fuite de protons et de la stœchiométrie des pompes à protons. Les deux phénomènes sont dépendants du potentiel de membrane et donc confondus dans les processus qui viennent d’être exposés. Au delà de l’effet du potentiel de membrane, la plasticité des fuites4 de protons est une caractéristique primordiale dans les processus de conversion énergétique et de production de ROS. Une augmentation de la perméabilité membranaire engendre une chute de potentiel qui stimule les oxydations et diminue à la fois la production d’ATP et la génération de ROS.

En effet, il a été observé dans de nombreuses situations des différences de fuite de protons liées à des changements de la structure de la membrane interne mitochondriale. Par exemple, les oiseaux possèdent une perméabilité membranaire supérieure aux mammifères (revue dans Hulbert et al., 2007). Ainsi, la théorie radicalaire du vieillissement fournirait une base mécanistique à la théorie de Rubner : les organismes qui consommeraient plus d’oxygène comme les oiseaux, mais présentant une longévité supérieure, posséderaient des mitochondries avec une plus forte fuite de protons et donc une moindre production de ROS (Speakman, 2005). Cette dissociation entre les oxydations et les phosphorylations causées par la fuite de proton est appelé découplage mitochondriale. De nombreux cas ont montré la mise en place de ce découplage, par exemple face à une exposition au froid chez des endothermes (Cannon et Nedergaard, 2004). En condition physiopathologique, une hyperthyroïdie est à l’origine d’un découplage mitochondriale (Cannon et Nedergaard, 2004). In vivo, ce découplage n’est jamais total puisqu’il engendrerait la mort de l’organisme.

Au niveau de l’organisme, en condition physiologique, avoir des mitochondries légèrement découplées permet certes de produire moins de ROS, mais aussi moins d’ATP. Il apparait ici un compromis physiologique entre produire de l’énergie en proportion importante mais générer beaucoup de ROS. De ce principe a découlé des théories en physiologie, comme celle de Brand (2000) sur la longévité qui stipule qu’ « être découplé permet de survivre plus longtemps ». D’un point de vue ultime, affecter la perméabilité membranaire peut avoir divers fonctions : chez les endothermes, lors d’exposition au froid, un découplage mitochondrial

4 A ma connaissance, il n’y a pas eu d’études de menées pour comparer les changements de stœchiométrie entre mitochondries.

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permet l’activation du métabolisme et une production de chaleur (Cannon et Nedergaard, 2004). De plus, il a été montré qu’un découplage mitochondrial pourrait jouer un rôle protecteur face à un stress pro-oxydatif (Rey et al., 2010)

3.4.3 Fonctionnement mitochondrial, le compromis physiologique à la base du compromis évolutif ?

Une autre hypothèse, jusqu’alors abordée par l’étude des causes ultimes, suggère une relation entre « vivre vite (croissance rapide, fécondité élevée), mourir jeûne » (Promislow et al., 1990). En terme de cause ultime, cette stratégie se mettrait en place dans les milieux à fort risque de mortalité extrinsèque, alors qu’un milieu stable favoriserait des stratégies du type « vivre lentement, mourir vieux » (Promislow et al., 1990 ; Stearns, 1992 ; Kraus et al., 2005).

Æ Æ Æ

ÆAu regard des informations développées dans ce chapitre au sujet des

mécanismes mitochondriaux, la relation entre investissement dans la croissance / reproduction et mortalité pourrait s’expliquer par une forte production d’énergie permettant une croissance / reproduction rapides, au détriment d’une forte génération de ROS et donc d’une durée de vie plus courte. Dans ce cas, la cause proximale des compromis évolutifs entre les traits d’histoire de vie pourrait être le fonctionnement mitochondrial, où la base mécanistique serait la perméabilité membranaire.