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1 Synthèse et discussion des résultats

1.2 Balance oxydative et croissance

1.2.1 Production de ROS et croissance

La théorie du stress oxydatif en écologie est fondée sur le fait qu’investir dans une performance requiert un apport énergétique. Cela signifie qu’une augmentation du métabolisme nécessaire pour alimenter la croissance élevée pourrait générer des pro-oxydant de manière accrue (Metcalfe et Monaghan, 2003). Pourtant, au vu de nos résultats, les grenouilles rousses à croissance élevée présentent des consommations d’oxygène au niveau de l’organisme et au niveau des mitochondries identiques aux grenouilles rousses à croissance lente. Cela s’accompagne d’une production de radicaux libres et d’un potentiel de membrane similaires. Ces résultats mettent en évidence l’absence de relation de cause à effet entre métabolisme de l’organisme et taux de croissance, de même qu’une absence de relation entre génération de ROS et investissement dans la croissance. En revanche, les têtards traités au 2,4-dinitrophénol présentent un ralentissement de croissance associé à une plus faible production de ROS en comparaison aux têtards témoins. Paradoxalement, les têtards à croissance lente montrent une augmentation de leur consommation d’oxygène, qui est donc inversement proportionnelle à la production de ROS. Cette relation est due à l’action découplante du dNP qui induit une augmentation de la perméabilité membranaire (Wallace et Starkov, 2000). Dans ces conditions, la dissipation de la force protonmotrice stimule l’activité oxydative de la chaîne respiratoire et induit une diminution de la production de ROS (Brand, 2000).

Æ Dans les populations sauvages, la croissance ne semble donc pas être associée à une production accrue de radicaux libres. Au niveau expérimental, une diminution induite de la génération de pro-oxydants chez les têtards traités au dNP n’améliore pas leur taux de croissance. Ces deux études montrent qu’il n’existe pas de liens forts entre production de radicaux libres et croissance. Par ailleurs, l’étude avec les têtards met également en évidence le fait qu’une augmentation de consommation d’oxygène au niveau de l’organisme entier et des mitochondries n’est pas toujours associée à une augmentation de la production de ROS

1.2.2 Défenses anti-oxydantes et croissance

Concernant les défenses anti-oxydantes, dans l’étude décrivant les populations de grenouilles à croissance variable, l’activité de la SOD et de la GPx donnent des résultats contradictoires. Alors que la GPx présente une activité équivalente entre les deux populations de grenouilles, la SOD a une activité plus faible chez les grenouilles de grande taille. Contrairement à l’étude comparative, l’étude expérimentale montre que les capacités de défenses anti-oxydantes totales (enzymatiques et non enzymatiques) des organismes à croissance ralentie étaient moins fortes. Considérant que le dNP réduit la production de ROS mitochondriale, ces résultats suggèrent un ajustement de la balance oxydative en réponse à un faible niveau de production de pro-oxydants.

ÆDans le cas de la comparaison d’animaux disposant naturellement de taux de croissance différents, nous pourrions interpréter qu’une faible capacité de défenses anti-oxydantes, associée à une croissance élevée, pourrait résulter d’un compromis d’allocation des ressources dans la croissance plutôt que dans les défenses (Alonso-Alvarez et al. 2007 ; Isaksson et al., 2011 ; Kim et al., 2011). Dans ce cas de figure, le coût d’une croissance rapide impliquerait des dégâts oxydatifs, comme cela a été observé dans des populations sauvages de moutons par Nussey (2009). Au contraire, la diminution du taux de croissance induite chez les têtards ne semble pas être associée à une augmentation de l’investissement des ressources dans les défenses.

1.2.3 Dégâts oxydatifs et croissance

La mesure des dégâts oxydatifs dans le cadre des populations naturelles de grenouilles soulèvent de nombreuses questions. En effet, deux paramètres ont été pris en compte, sur deux tissus différents, amenant des conclusions divergentes. Les biomarqueurs de génotoxicité des globules rouges révèlent que les taux de dégâts de l’ADN sont identiques entre les deux populations de grenouilles. Le dosage de teneur hépatique en lipides peroxydés montre qu’il y a plus de dégâts oxydatifs chez les grenouilles à croissance lente que chez les

Discussion et Perspectives

grenouilles à croissance rapide, et ce, indépendamment de l’âge des individus. Ces divergences pourraient s’expliquer par des statuts oxydatifs tissu-spécifiques comme il a déjà été observé dans d’autres études (Andersen et al., 2009). Il serait alors nécessaire de mesurer les autres paramètres de la balance oxydative des hématies (production de ROS et/ou les enzymes anti-oxydantes) pour arriver à des conclusions sur le lien croissance – stress oxydant. Contrairement à l’hypothèse émise ci-dessus, la diminution des défenses oxydatives chez les individus à croissance élevée ne s’accompagne pas d’une augmentation du taux de dégâts oxydatifs, alors que la production de pro-oxydant était équivalente entre les deux populations. Concernant les têtards, les animaux présentant une croissance ralentie montrent un niveau de peroxydation lipidique plus faible, en accord avec une production de pro-oxydants moins forte. En résumé, estimer un taux de dégâts oxydatif en milieu naturel nécessite probablement le dosage de multiples variables des dommages. En effet, l’ampleur des dégâts oxydatifs portés à l’ADN, aux protéines ou aux lipides, n’est pas équivalente puisque cela dépend du tissu considéré mais aussi de l’efficacité des systèmes de réparations pour chaque type de macromolécules.

1.2.4 Bilan interaction balance oxydative et croissance

L’image générale qui émerge de notre jeu de donnée apparaît complexe. Nos résultats montrent deux niveaux de contraintes qui peuvent altérer l’estimation de la balance oxydative, en fonction :

1- du nombre de variables mesurées au sein des paramètres de la balance oxydative ; 2- du nombre de paramètres estimés.

Dans cette partie de la discussion, les pro-oxydants, anti-oxydants et dégâts oxydatifs seront considérées comme des paramètres de la balance oxydatives, chacun d’entre eux étant estimés par le dosage de macromolécules et d’enzymes (SOD, GPx, lipides peroxydés, H2O2,…), constituant les variables de la balance oxydative.

1.2.4.1 Nombre de variables mesurées

Comme dans notre travail, Robert et Bronikowski (2010) ont étudié l’ensemble des paramètres de la balance oxydative chez des populations sauvages de serpents jarretières

Thamnophis elegans présentant des patrons d’histoire de vie différents. Les données montrent

que les nouveau-nés issus de populations de petits serpents, à durée de vie longue, ont une croissance plus faible, consomment la même quantité d’oxygène et présentent le même taux de dégâts au niveau de l’ADN pour un système de réparation plus efficace et une production de ROS équivalente aux nouveau-nés issus de populations de serpents à durée de vie courte. Dans cette étude, les auteurs concluent qu’une croissance rapide chez les nouveaux nés induit un stress oxydatif à l’origine de la sénescence des organismes en milieu naturel. Cependant, cette étude ne considère qu’une seule variable pour chaque paramètre de la balance oxydative (contenu en H2O2, dégâts de l’ADN par la technique des comètes, et l’efficacité des systèmes de réparation de l’ADN suite à un stress UV mesurés sur des hématies). Notre étude, en revanche, montre que les différences observées entre deux populations sauvages pour chaque paramètre de la balance oxydative dépendent du tissu et de la variable considérés. Par exemple, comme Robert et Bronikowsi, nous ne trouvons pas de différences de dégâts de l’ADN érythrocytaire alors que le foie présente une teneur en lipides peroxydés variable en fonction des taux de croissance des grenouilles rousses. Même au sein d’un tissu, nos résultats montrent également une discordance des variables pour un paramètre : dans le foie des grenouilles rousses, les activités enzymatiques de la SOD sont différentes alors que celles de la GPx sont équivalentes. L’ambiguïté de nos résultats permet de mettre en évidence que le fait de ne considérer qu’une seule variable d’un paramètre n’est pas suffisant pour émettre une conclusion sur l’état de ce paramètre.

1.2.4.2 Nombre de paramètres estimés

Nos résultats confortent notre choix a priori d’estimer la complexité de la balance oxydative en tenant compte de tous les paramètres de cette balance (défenses anti-oxydantes, production de pro-oxydants et dégâts oxydatifs). Dans notre étude descriptive, les grenouilles à croissance lente avaient au niveau hépatique, pour une même production de ROS, plus de dégâts oxydatifs en dépit d’une activité SOD (défense anti-oxydante) plus élevée. Ainsi l’analyse du triptyque pro-oxydants / défenses anti-oxydantes / dégâts oxydatifs dans le foie, nous montre que la considération d’un seul paramètre ne fournit aucune information sur la

Discussion et Perspectives

tendance des autres paramètres. Si on avait considéré un seul ou même deux des trois paramètres nous serions parvenus à des conclusions radicalement opposées. Par exemple avec une même production de pro-oxydants, une augmentation des dégâts oxydatifs conduit à l’hypothèse d’une diminution des défenses anti-oxydantes. A l’inverse, avec une même production de pro-oxydant, une augmentation des défenses (SOD) conduit à l’hypothèse d’un moindre niveau de dégât. Il apparait très clairement, que la considération d’un seul paramètre de la balance oxydative ne permet pas de conclure sur les autres paramètres et encore moins sur l’impact du stress oxydatif sur l’organisme.

De plus nos résultats montrent très clairement que pour comprendre la relation entre les variables des différents paramètres, il faut replacer les variables dans leur rôle physiologique. Pour expliquer pourquoi les « petites » grenouilles accumulent des dégâts oxydatifs alors que l’activité de la SOD augmente, il faut comprendre que les enzymes anti-oxydantes fonctionnent de manières coordonnées (Finkel et Holbrook, 2000 ; Dröge, 2002 ; Balaban, 2005). Au niveau de la mitochondrie, la détoxification du superoxyde produit par la chaîne respiratoire dépend des activités coordonnées de la SOD et de la GPx (Figure 27 a). Dans notre étude descriptive, les activités des deux enzymes semblent dissociées (augmentation de la SOD sans changement de l’activité GPx) ce qui conduirait à réorienter une partie de la production de H2O2 vers une attaque des macromolécules de la mitochondrie, et finalement à une accumulation plus importante de dégâts oxydatifs (Figure 27 b). La validation de cette hypothèse nécessiterait des mesures de la réaction de Fenton, qui permet la production du radical hydroxyle à partir de peroxyde d’hydrogène, en présence de Fer.

Figure 27 : Voies de détoxification des ROS, pouvant aboutir à des dégâts oxydatifs via la réaction de Fenton (production du radical hydroxyle à partir de peroxyde d’hydrogène, en présence de Fer).

Finalement, analyser la globalité de la balance oxydative apparaît assez complexe. La meilleure solution serait d’analyser l’ensemble des variables impliquées dans les paramètres (pro-oxydants, les anti-oxydants et les dégâts oxydatifs) de la balance oxydative. Cependant, l’importance relative de chaque variable entre elles est aussi une question non négligeable et pourtant jamais abordée.

En conclusion, si notre étude descriptive ne nous permet pas d’interpréter de façon définitive l’impact de la balance oxydative sur la croissance dans notre modèle adulte, l’étude expérimentale montre que le stress oxydatif diminué chez les têtards à croissance lente n’est