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II. Plaques amyloïdes et neurofibrilles

II.2. e Relation entre Aβ et tau

Bien que les deux caractéristiques de la MA, les plaques amyloïdes et les neurofibrilles, aient été identifiées depuis maintenant plus de cent ans, les relations existant entre Aβ et tau sont encore mal définies. Actuellement, les dernières recherches tendent à montrer qu’Aβ pourrait directement ou indirectement interagir avec tau pour accélérer la formation de neurofibrilles (Gotz et al. 2001; Lewis et al. 2001; Oddo et al. 2003), confirmant ainsi l’hypothèse de la cascade amyloïde. A titre d’exemple, l’accumulation de plaques amyloïdes précède de quelques mois le dévelopement de neurofibrilles chez des souris triplement mutées (sur l’APP, tau et PS1) (Oddo et al. 2003). Il semble donc qu’Aβ, via des mécanismes cellulaires et moléculaires distincts, facilite la phosphorylation, l’agrégation, une mauvaise localisation et l’accumulation de tau, aboutissant sur l’apparition de neurofibrilles (Blurton-Jones and Laferla 2006).

Il a été montré qu’un grand nombre de kinases, en particulier GSK3β et CDK5 (impliquées dans la phosphorylation de tau et donc indirectement dans la formation de neurofibrilles) (Cruz et al. 2003; Necula and Kuret 2004; Necula and Kuret 2005), voient leur expression augmentée dans la MA (Pei et al. 2001; Ferrer et al. 2002; Swatton et al. 2004; Derkinderen et al. 2005; Griffin et al. 2005; Ho et al. 2005; Stoothoff and Johnson 2005). Or des expériences in vitro ont montré que la présence d’Aβ dans les cultures cellulaires entraîne une activation de GSK3β et une augmentation de la phosphorylation de tau (Takashima et al. 1993; Busciglio et al. 1995; Alvarez et al. 1999). De plus, certaines études semblent indiquer que la toxicité induite par Aβ est dépendante de tau. Par exemple, le blocage in vitro de GSK3β et CDK5 protège les neurones contre Aβ (Michaelis et al. 1998; Rapoport et al. 2002). De même, in vivo, des souris transgéniques porteuses du gène muté de l’APP exhibent une augmentation de l’activation de kinases de tau (Hwang et al. 2004; Puig et al. 2004). Plus récemment, une réduction in vivo de la quantité d’oligomères solubles d’Aβ (mais pas des insolubles) a été corrélée avec une réduction de l’activité de GSK3β et de la phosphorylation de tau (Ma et al. 2006). Il faut cependant rappeler que les souris transgéniques porteuses du gène muté de

l’APP ne développent pas la pathologie correspondante à l’hyperphosphorylation de tau et à la formation de neurofibrilles (excepté une très faible quantité au niveau des plaques neuritiques extracellulaires). En dehors de l’espérance de vie limitée des rongeurs, il est possible que la différence d’espèce implique l’absence d’une kinase nécessaire au lien entre Aβ et tau.

Il est établi que les cerveaux atteints de la MA sont particulièrement sujets à des réactions inflammatoires (celles-ci étant à la fois bénéfiques – phagocytose d’Aβ - et préjudiciables - activation des cytokines proinflammatoires) (Duffy et al. 1980; Sheng et al. 1995; Akiyama et al. 2000; Wyss-Coray and Mucke 2002; Koenigsknecht-Talboo and Landreth 2005). De plus, des études in vitro ont également montré qu’Aβ était capable d’induire directement une réponse inflammatoire (Galimberti et al. 1999; Tan et al. 2000; Combs et al. 2001). Or certaines cytokines proinflammatoires induisent, in vitro et parfois in vivo, une accélération de l’hyper phosphorylation de tau et de la formation de neurofibrilles (Sheng et al. 2000; Li et al. 2003; Quintanilla et al. 2004). Ce dernier mécanisme semble impliquer CDK5 (Cruz et al. 2003; Kitazawa et al. 2005).

Plusieurs études ont également montré que la voie ubiquitine-protéasome, mécanisme principal de dégradation des protéines, était déficient chez les patients atteints de la MA (réduction de 48 % de l’activité du protéasome dans l’hippocampe) (Keller et al. 2000) et que cette déficience pourrait contribuer à la formation d’agrégats de tau. En effet de récentes études semblent indiquer qu’Aβ est impliqué directement ou indirectement dans le dysfonctionnement du protéasome (Gregori et al. 1997; Lopez Salon et al. 2003; Oh et al. 2005), tandis qu’il existe de nombreux indices attestant d’un lien fort entre la déficience du protéasome et l’accumulation de tau, même s’il n’est pas encore bien établi si le phénomène est en aval ou en amont dans la cascade moléculaire et cellulaire (Mori et al. 1987; Perry et al. 1987; Keller et al. 2000; Shimura et al. 2004; Sahara et al. 2005; Qian et al. 2006).

Enfin, une déficience dans le transport neuronal pourrait aussi jouer un rôle important dans la MA, ainsi que d’autres maladies neurodégénératives (Roy et al. 2005). En effet, des études montrent une interaction entre l’APP, Aβ et le transport axonal, mais ces interactions sont complexes et il n’est pas encore clair à partir duquel, du dysfonctionnement du transport axonal ou de l’augmentation de la production d’Aβ, le mécanisme débute (Koo et al. 1990; Kamal et al. 2000; Kamal et al. 2001; Pigino et al. 2003; Lazarov et al. 2005; Stokin et al.

2005). Parallèlement, certaines données indiquent que l’augmentation de la production ou la diminution de la dégradation de tau conduirait à une déficience du transport axonal (Ebneth et al. 1998; Stamer et al. 2002; Mandelkow et al. 2004). De plus, la protéine tau et son ARNm sont eux-mêmes transportés le long des axones, ainsi un déficit du transport axonal (du fait par exemple d’une phosphorylation des kinésines, protéines motrices des microtubules, induit par Aβ) pourrait conduire à une localisation erronée de tau et de son ARNm (cf. revue (Blurton-Jones et al. 2006)).

L’ensemble de ces données bibliographiques met clairement en évidence une interaction plus ou moins directe, via des mécanismes distincts, entre Aβ et tau. Il est à noter que la majorité des ces données pointe plutôt en faveur de l’hypothèse de la cascade amyloïde : la pathologie amyloïde induirait la formation de neurofibrilles et serait ainsi la cause première de la MA.

II.2.f. Hypothèse de la cascade amyloïde –Toxicité liée à Aβ

L’hypothèse de la cascade amyloïde (Figure 1.12) considère l’agrégation d’Aβ comme l’initiateur de la MA, plaçant les pathologies associées à tau, ainsi que d’autres modifications dégénératives, en aval (Hardy and Higgins 1992; Hardy and Selkoe 2002). Cette hypothèse provient de l’observation des plaques amyloïdes dans le cerveau des patients atteints de la MA qui est caractéristique de la pathologie, ce qui n’est pas le cas des dégénérescences neurofibrillaires (cf le tableau 1.3 des tauopathies) ; mais elle a surtout été renforcée par la découverte des mutations génétiques responsables de la forme familiale autosomale dominante de la MA sur les gènes codant pour l’APP, PS1 ou PS2 (Hardy et al. 2002). Ainsi, d’après cette hypothèse, l’agrégation anormale d’Aβ entraînerait une série de déséquilibres et de processus neurotoxiques débouchant sur la mort neuronale et la démence.

Cependant, l’hypothèse de la cascade amyloïde, même si elle est considérée par une grande partie de la communauté scientifique comme une base pour la compréhension du processus de développement de la MA, est en constante évolution. En effet, la corrélation entre plaques séniles et pertes cognitives n’était pas satisfaisante (« [plaques appear] at the wrong time and in the wrong places » (Naslund et al. 2000)). Depuis, un grand nombre d’articles ont attesté d’une meilleure corrélation et d’une toxicité comparativement bien plus importante pour les oligomères de faible poids moléculaire (protofilaments, petits oligomères, monomères, agrégats sphériques…mais la difficulté d’isoler ces différents types d’agrégats n’a pas permis

d’apporter une réponse définitive à ce jour) (Lambert et al. 1998; Haass and Steiner 2001; Walsh et al. 2002; Kayed et al. 2003; Stefani and Dobson 2003; Klein et al. 2004).

Figure 1.12. Hypothèse classique de la cascade amyloïde pour les formes familiales de la maladie d’Alzheimer (d’après (Hardy et al. 2002)). Pour les formes sporadiques, les causes

de l’augmentation de la production et de l’accumulation d’Aβ sont moins bien définies.

D’un point de vue de la toxicité, ces espèces de faibles poids moléculaire auraient la capacité d’induire une dépolarisation et une perméabilisation des membranes (celles-ci facilitant probablement l’étape de nucléation), altérant ainsi l’activité neuronale et débouchant finalement sur la mort cellulaire (Hartley et al. 1999; Stefani 2006). Plus précisément, un déséquilibre au niveau du calcium intracellulaire a été plusieurs fois observé (voir revue (Stefani et al. 2003)), ce déséquilibre pourrait affecter le bon fonctionnement des mitochondries (perméabilité, libération de cytochrome C) et/ou directement activer les caspases, conduisant ainsi à l’apoptose (Orrenius et al. 2003). D’autres voies de toxicité ont également été avancées : déséquilibre dans l’homéostasie des lipides (Janciauskiene and Ahren 2000), interactions avec des récepteurs membranaires en quantité croissante (du fait de

l’accumulation de produits terminaux de glycation avancée) (Mruthinti et al. 2003; Mruthinti et al. 2006), liaisons à des intégrines (protéines d’adhésion) activant des voies de signalisation intracellulaires (Caltagarone et al. 2007), formation de pores au niveau des membranes (Arispe et al. 1993; Yip and McLaurin 2001; Ji et al. 2002; Quist et al. 2005) (cf. chapitre 5), accumulation d’Aβ dans les mitochondries couplée à des interactions enzymatiques perturbant son fonctionnement (Chen and Yan 2006).

Les premiers symptômes de la maladie, comme les défauts de stockage mnésique, pourraient s’expliquer par une localisation préférentiellement synaptique des oligomères d’Aβ (en particulier au niveau des clusters de protéines PSD-95) (Allison et al. 2000), associée à la surexpression de protéines Arc (activity-regulated cytoskeletal-associated protein) inhibitrices du processus de mémorisation à long terme (Guzowski 2002).

La formation d’un complexe entre Aβ et l’hème pourrait également être source de production d’espèces oxydantes par les mitochondries, le complexe se comportant comme une peroxydase (Atamna 2006).

La toxicité liée à l’interaction avec les métaux sera abordée dans la section II.4. de ce chapitre.

Cependant, en marge des courants tauistes (qui place les neurofibrilles à l’origine du développement de la MA) et βAPPtistes (soutenant l’hypothèse de la cascade amyloïde), une partie de la communauté scientifique s’interroge encore sur le bien-fondé de ces deux axes de recherche, argumentant que les deux types de lésions observés chez les patients atteints de la MA sont pathognomoniques (caractéristiques de la maladie) mais pas forcément pathologiques, pointant le manque de corrélation entre neurofibrilles / dépôts amyloïdes et pertes cognitives / mort neuronale (Knowles et al. 1998; Andorfer et al. 2005; Santacruz et al. 2005; Nunomura et al. 2006). En se basant sur (1) l’observation d’une diminution des lésions représentatives de stress oxydant au voisinage des dépôts amyloïdes (Nunomura et al. 1999; Nunomura et al. 2000; Nunomura et al. 2004), (2) sur le fait que l’apparition de stress oxydant semble précéder les dépôts amyloïdes (Misonou et al. 2000; Nunomura et al. 2000; Paola et al. 2000; Pratico et al. 2001; Bayer et al. 2003; Drake et al. 2003; Li et al. 2004; Sung et al. 2004), (3) un effet protecteur d’Aβ40 et 42 sur le stress oxydant induit par le fer et le cuivre (Zou et al. 2002; Bishop and Robinson 2003) (probablement par chélation des ions métalliques), ils suggèrent que la production d’Aβ serait une voie de défense contre le stress oxydant, faisant ainsi de la conséquence (dans l’hypothèse de la cascade amyloïde), la cause. De même, en attribuant à tau des propriétés anti-oxydantes, la formation de neurofibrilles peut

être vu comme une conséquence du stress oxydant (Nunomura et al. 2001; Wataya et al. 2002; Gomez-Ramos et al. 2003; Nakashima et al. 2004). Dans le cas où cette théorie s’avèrerait exacte, il faudra alors rechercher les causes de ce stress oxydant, décrit comme relativement faible (insuffisant pour entraîner une mort cellulaire rapide) mais chronique (Keyse and Tyrrell 1989; Rushmore et al. 1990; Davies et al. 1995; Wiese et al. 1995) et débouchant sur des modifications compensatoires, réversibles dans un premier temps, puis permanentes (incluant entre autre la formation de neurofilaments, de plaques séniles et, en parallèle, une dérégulation mitotique) (Zhu et al. 2007).

Ainsi, malgré d’intenses recherches menées en ce sens, l’étiologie de la MA est encore loin d’être élucidée, retardant d’autant la découverte de traitements curatifs, faute d’axes de stratégie thérapeutique clairs.

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