• Aucun résultat trouvé

Chapitre 9 Bilan sur la mise en place du dispositif hybride

9.2. Regard critique sur le dispositif

Comme dans toute expérimentation, il convient maintenant de porter un regard critique sur le dispositif hybride, afin de mettre en évidence ce qui pourrait être modifié en vue d’une amélioration de celui-ci. Dans le cadre du dispositif mis en place, il s’agit ici de s’intéresser plus particulièrement à l’intégration des TIC dans une situation d’enseignement/apprentissage du français à l’Instituto Hispano Francés, puisque l’autoformation complémentaire correspondait à un auto-apprentissage guidé. Afin de porter

155

ce regard critique sur le projet et donc d’évaluer l’intégration des TIC, c’est la perspective systémique (Mangenot, 2000) qui sera employée, c’est-à-dire que je m’intéresserai à l’interaction de différentes variables, telles que l’institution, les enseignants, les apprenants, l’autoformation complémentaire, et le dispositif spatial et humain.

Parmi les exemples d’intégration insatisfaisante des TIC cités par Mangenot (2000), l’un d’entre eux semblerait correspondre à l’autoformation complémentaire et à son exploitation dans le cadre du projet : « L’outil informatique et les enseignants coexistent sans relation ». En effet, cet exemple d’intégration insatisfaisante des TIC peut s’appliquer dans une certaine mesure au groupe 3. En effet, les apprenants de ce groupe avaient été intégrés au projet et devaient participer à l’autoformation complémentaire. Dans le questionnaire de fin de projet, l’enseignant 2 a dit les avoir incité à prendre part au travail en ligne au tout début du lancement de l’autoformation. Toutefois, ce dernier ne savait pas ce qui était proposé en ligne sur la plateforme en dehors de ce que j’avais exposé aux apprenants de sa classe lors du tutorat de présentation de l’autoformation. C’est beaucoup plus tard, lors d’une petite formation aux enseignants à l’utilisation de Moodle, que j’ai dû effectuer suite à l’installation d’une plateforme sur le serveur de l’académie, que celui-ci a pris connaissance d’une partie du travail proposé en ligne. Il s’agit donc bien ici d’un des risques majeurs d’une mauvaise intégration des TIC. Assurément, les enseignants seraient tentés de donner simplement le lien vers la plateforme, sans pouvoir répondre à d’éventuelles questions des apprenants s’ils n’ont pas connaissance des contenus en ligne. Comme je l’ai fait remarquer lors de mes analyses, les apprenants utilisent souvent le présentiel pour poser des questions sur les ressources en ligne. J’ai d’ailleurs été amenée à répondre à bon nombre d’entre elles tout au long de l’expérimentation du dispositif.

D’autre part, je souhaite rappeler que l’utilisation d’une plateforme Moodle revêtait un caractère obligatoire dans le cadre de mon projet de stage. N’étant pas familiarisé avec cet outil, il m’est apparu difficile de savoir comment l’intégrer de la meilleure façon possible dans une situation d’enseignement/apprentissage traditionnelle. D’ailleurs, la difficulté que revêt l’intégration des TIC est soulignée par Mangenot (2000), citant Rabardel (1995) :

Il est difficile d’intégrer dans le programme l’utilisation d’un produit qui a sa logique propre. L’outil informatique, comme tout artefact, nécessite que ses utilisateurs se construisent des ‘schèmes d’utilisation’. Cela demande de la formation et de la pratique.

156

De plus, Haymore Sandholtz et al. (1997) distinguent cinq phases consécutives dans l’évolution pédagogique des enseignants confrontés aux TIC :

Notre modèle comprend cinq stades : l’entrée, l’adoption, l’adaptation, l’appropriation et l’invention. Selon ce modèle, l’utilisation des ressources technologiques sert d’abord à étayer l’approche fondée sur le manuel et caractérisée par la séquence leçon-récitation-exercices, puis à lui substituer graduellement des expériences d’apprentissage beaucoup plus dynamiques.

Pour ma part, il m’a semblé me situer au stade de l’adoption, en amont et pendant l’expérimentation du cours hybride. Ce ne sera que maintenant, après l’analyse critique du dispositif que je pourrai commencer à m’approprier leur utilisation, à développer des modèles pédagogiques, ainsi qu’à rechercher la manière de les intégrer au mieux. En effet, même si je n’ai pas travaillé seule sur le projet, j’ai néanmoins eu une certaine autonomie. De plus, aucun membre de l’équipe pédagogique de l’Instituto Hispano Francés n’avait d’expérience dans l’utilisation et l’intégration d’une plateforme Open Source, dans une situation d’apprentissage d’une langue étrangère. Il s’agissait donc d’une innovation dans le cadre de mon projet de stage.

Par ailleurs, en ce qui concerne la centration sur l’apprenant et donc l’apprenant en tant qu’acteur social de son apprentissage au sein du dispositif, il ne me semble pas que l’environnement d’apprentissage en ligne ait permis que celui-ci soit totalement actif.

Le travail en ligne étant centré sur la compréhension orale, j’ai eu des difficultés à trouver des tâches qui permettent les interactions en ligne entre apprenants, et entre les apprenants et moi-même, la tutrice. En effet, si le travail en ligne avait été centré sur l’expression écrite, je pense que les interactions auraient été plus faciles à provoquer. J’ai néanmoins tenté de créer des situations de communication entre apprenants grâce aux différents forums proposés sur la plateforme. Cependant, ils n’ont pas été beaucoup mis à profit par les apprenants. Par contre, les tâches ouvertes ont permis des échanges entre les apprenants et moi-même dans mon rôle de tutrice, ce qui a contribué au maintien du lien social. Toutefois, dans une tentative de remédiation à ce manque d’interactions en ligne, j’ai modifié une tâche proposée dans la nouvelle édition d’Alter Ego, nommée Alter Ego +, Méthode de français 1, afin de l’adapter en vue de la réalisation d’une tâche collaborative en ligne. Comme je l’ai déjà signalé, celle-ci n’a pas été réalisée par les apprenants (cf. supra, § 8.2.2., p. 132).

157

D’autre part, les contenus en ligne n’ont à mon avis pas donné la possibilité aux apprenants de réellement construire leurs connaissances par l’investissement actif, ainsi que de co-construire leurs connaissances par un engagement social.

Je voudrais également revenir ici sur le travail en ligne des apprenants et donc l’augmentation du volume d’activité de ces derniers. Comme je l’ai déjà dit lors de mes précédentes analyses, je ne crois pas que leur temps d’activité ait augmenté de manière suffisamment significative, à l’exception peut-être de quelques-uns. Cependant, j’ai pu constater qu’une très grande majorité des tâches fermées en ligne a été réalisées, ainsi que quelques tâches ouvertes. Mon raisonnement est donc le suivant : si une importante partie du travail en ligne a été effectué, je n’ai alors peut-être pas proposé suffisamment de tâches qui auraient permis d’augmenter de manière satisfaisante le volume d’activité des apprenants.

Comme j’évoque ici les tâches en ligne, je voudrais également porter un regard critique sur les tâches ouvertes, c’est-à-dire les questionnaires de compréhension orale des vidéos que j’ai moi-même créées. En effet, avec un peu de recul sur le projet et les analyses menées à bien, je me suis rendue compte que ces questionnaires n’étaient finalement pas très bien construits. Il me semble avoir fait preuve de peu d’imagination et de créativité lors de l’élaboration de ces tâches. Au lieu de poser de simples questions ouvertes, j’aurais pu varier les types de questions pour la compréhension, comme par exemple en demandant si certaines affirmations étaient vraies ou fausses, qu’elles soient corrigées ou justifiées, ou encore en alternant les questions ouvertes et les questions fermées, etc. Cela m’aurait permis d’éviter de créer des quiz autocorrectifs, utilisés parfois dans le but de vérifier la compréhension des vidéos. J’avais introduit les quiz afin de donner un caractère ludique aux tâches de compréhension orale à partir de vidéos qui, selon mes constatations, semblait faire défaut. Selon moi, il s’agissait ici d’une des raisons possibles pour laquelle peu d’apprenants réalisaient ces tâches. Les quiz n’ont d’ailleurs permis de résoudre ce problème que partiellement.

D’un autre côté, en proposant de nombreuses tâches autocorrectives, je pense avoir involontairement et indirectement encouragé les apprenants à utiliser des logiciels de type béhavioriste. En effet, lors de l’analyse des questionnaires de fin de projet, les apprenants ont majoritairement déclaré que les exercices grammaticaux et lexicaux (autocorrectifs) sont ceux qui les ont les plus aidés à renforcer et soutenir leur apprentissage du français, alors que ce type d’exercices n’avait pratiquement pas été demandé lors de l’analyse des besoins. Il se

158

pourrait donc que l’autoformation complémentaire ait contribué à l’émergence d’une mauvaise représentation des apprentissages chez les apprenants, ou bien à son renforcement si celle-ci existait déjà. Mangenot (2000) souligne d’ailleurs la problématique du croissement des variables « apprenant », « ressources » et « dispositif », en vue d’une amélioration de l’intégration des TIC :

Il est aujourd'hui fondamental que les apprenants apprennent à apprendre et acquièrent ainsi une certaine autonomie […]. Il faut aider les apprenants à remettre en cause certaines de leurs représentations, comme une conception des langues uniquement comme systèmes grammaticaux et lexicaux, ou encore la nécessité de comprendre un input complexe dans ses moindres détails.

Dans le cadre de l’autoformation complémentaire, il ne m’est pas apparu aussi évident que ça de faire évoluer les représentations et les préjugés des apprenants quant à l’apprentissage d’une langue. En ce qui concerne l’intégration des TIC, lors de l’analyse des besoins, je n’avais pas remarqué de représentations négatives ou de réticences chez les apprenants. C’est cependant dans la manière de concevoir l’apprentissage de la langue que certains ont une conception erronée, comme je l’ai décrit dans la sous-partie précédente. Je n’ai cependant pas réussi à amener les apprenants à remettre en cause ces représentations, afin de les amener par la suite à prendre plus de responsabilités vis-à-vis de leur apprentissage, même si ce n’était pas le cas de tous.

Tout au long du projet, j’ai pourtant essayé de réfléchir à l’apport des TIC à la situation d’apprentissage du français par des apprenants hispanophones débutants, afin de les intégrer au mieux à la structure pédagogique. Toutefois, cette mission s’est avérée relativement difficile et compliquée, puisqu’aucun membre de l’équipe pédagogique n’avait d’expérience dans ce domaine pour me guider.

L’institution encourage néanmoins l’intégration des TIC. Cependant, peu d’enseignants s’y investissement réellement puisque ce temps de travail d’intégration et de développement, mais aussi de conception doit être pris sur leur temps libre.