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Red Dead Revolver, l’ébauche d’une conception plus cinématographique

Chapitre I : Les débuts du studio Rockstar : le masque de la subversion ?

3. Red Dead Revolver, l’ébauche d’une conception plus cinématographique

Nous pouvons considérer Red Dead Revolver comme le jeu venant confirmer le nouveau tournant éditorial du studio ; là ou Manhunt use plus d’une esthétique et du caractère controversé du snuff movie, Red Dead Revolver travaille bien plus l’essence du western et vient puiser dans ses codes les plus connus pour faire écho aux représentations que les joueurs peuvent s’en faire. C’est le studio Rockstar San Diego qui est en charge de poursuivre le développement du jeu, et leurs intentions sont claires, comme l’exprime le Président du studio, Diego Angel :

83 Si Rockstar n’avait pas repris ce projet, le jeu n’aurai jamais été commercialisé.

With this game, we have pushed ourselves technically, stylistically and gameplay wise further than ever before. We are aiming to make a western experience that sparks memories of the past as well as looks forward with an inventive new approach.84

L’objectif est donc de jouer sur la nostalgie de ces « souvenirs du passé » en y combinant une approche moderne. La plupart des mécaniques de jeu étant déjà en place85, plus proche des

codes d’arcades nippons que du savoir-faire occidental86, les concepteurs n’étaient donc pas

entièrement libres dans leur travail et durent composer avec ce qui était déjà prêt. Ayant été abandonné au cours du processus de création, la plus grande difficulté était de parvenir à donner une âme à ce jeu :

For the time it looked visually spectacular, but also speaking to the management guys there it was a complete mess. It didn't really exist as a game.87

Comme l’explique Jamie King dans IGN88, beaucoup d’éléments avaient déjà été pensés et

crées, mais Rockstar avait son propre style et ses standards à apporter. Ainsi, visuellement beaucoup de choses sont restées les mêmes, mais le jeu a grandement évolué notamment du point de vue du script, du gameplay89 et de nombreuses cinématiques, lignes de dialogues et

musiques ont été ajoutées. Pour King, l’objectif était avant tout de recréer une atmosphère correspondant à la fin du 19e siècle et au Mythe de la frontière90 en intégrant certains codes

majeurs du genre westernien :

We wanted to make sure and remain true to the idealized western traditions, so our initial concerns were implementing a dueling system for outlaws to square off, changing the

84 « Avec ce jeu, nous nous sommes surpassés sur les plans techniques, stylistiques et sur le gameplay, comme

jamais auparavant. Notre objectif est de créer une expérience de western qui ravive ces souvenirs du passé tout en proposant une approche nouvelle. », Andrew Burnes, « Rockstar announces Red Dead Revolver », IGN, 18 décembre 2003, http://www.ign.com/articles/2003/12/18/rockstar-announces-red-dead-revolver, consulté le 26/09/2018.

85 Capcom a abandonné le projet du jeu après l’avoir présenté dans plusieurs salons, par peur d’un échec

commercial au Japon, étant donné que le western correspond plutôt à la culture occidentale.

86 Andrew Burnes, « Rockstar announces Red Dead Revolver », art. cit.

87 « Pour l’époque, il était visuellement spectaculaire, mais pour les managers c’était un bordel sans nom. Il

n’existait pas encore en tant que jeu. », Dan Houser in Martin Robinson, « The Revolution of Red Dead », IGN, 22 février 2002, https://www.ign.com/articles/2010/02/22/the-revolution-of-red-dead, consulté le 26/09/2018.

88 Douglass C. Perry, « Red Dead Interview », IGN, 30 mars 2004, http://www.ign.com/articles/2004/03/31/red- dead-interview, consulté le 26/09/2018.

89 Par exemple le Dead Eye Targeting ou Dead eye, qui permet au joueur de déclencher une phase de slow motion,

lui donnant le temps nécessaire de viser avec précision son ou ses ennemis. Une fois le ou les tirs effectués, le temps revient à la normale. C’est une mécanique qui a été reprise et perfectionnée par la suite dans Red Dead

Redemption.

90 La Frontière correspond à la délimitation séparant les terres où se sont implantés les peuples européens des

character art to reflect the time period, and provide an overall package and interface that brings players back to the days in the untamed frontier.91

De cette manière, le joueur doit pouvoir se sentir totalement immergé dans cet univers et avoir l’impression de prendre part à une période emblématique de l’histoire du pays, mais aussi de l’histoire du cinéma. Selon le journaliste Martin Robinson, il y avait donc un réel potentiel à attendre du jeu :

What was there was rough, but Red Dead Revolver's promise was immense – especially given the potentially explosive pairing of the Old West's traditional ties to the silver screen with a company that had specialised in channelling its love for cinema into compelling games.92

Mark Robinson met ici en avant le parti pris du studio Rockstar de concevoir des jeux dont l’essence est faite de la cinéphilie de ses membres. Malgré le caractère imparfait de Red Dead

Revolver parfois relevé par la critique, cette capacité et cette volonté de travailler le cinéma dans le medium vidéoludique sont déjà bien présentes :

Les amateurs d'action et de western risquent donc de trouver un certain charme à ce Red Dead Revolver qui reprend à la perfection les ficelles des bons films d'époque tout en proposant des combats pleins d'adrénaline, mais aussi assez répétitifs sur la longueur. Le point culminant de l'exercice de style de Rockstar est sans conteste la présence de duels plus vrais que nature lors desquels il faudra dégainer, puis viser en quelques secondes un maximum des points vitaux de son adversaire pour l'étaler d'un coup. Malheureusement, ces séquences, bien que réussies au niveau de l'esthétique, sont aussi très hasardeuses sur le plan du gameplay puisque les points à viser varient d'un adversaire à l'autre.93

Avec cette critique de Gamekult, nous pouvons constater que le gameplay n’est pas spécialement bon, mais que ce n’est pas là que réside la réussite du jeu ; c’est la dimension cinéphile qui prend le pas sur le jeu vidéo. Par conséquent, avec Red Dead Revolver les concepteurs de chez Rockstar travaillent sur un projet qui allie leur passion pour le cinéma avec un thème peu exploré dans l’industrie vidéoludique. S’y développe une imagerie particulière

91 « Nous voulions nous assurer de rester fidèles aux traditions du western, aussi, notre souci principal était de

mettre en place un système de duel permettant aux hors-la-loi de s’affronter, d’adapter le style des personnages à la période représentée et de fournir un ensemble complet avec une interface qui ramènent le joueurs à cette époque. », Douglass C. Perry, « Red Dead Interview », art. cit.

92 « Ce qu’on avait là était grossier, mais Read Dead Revolver était particulièrement prometteur, étant donné le

potentiel explosif des liens entre le Vieil Ouest traditionnel et le grand écran, avec une société qui a fait de son amour du cinéma sa spécialité au sein de jeux convaincants. », Martin Robinson, « The revolution of Red Dead »,

art. cit.

93 TRUNKS (pseudonyme), « Red Dead Revolver dans la lumière », Gamekult, 11 juin 2004, https://www.gamekult.com/jeux/red-dead-revolver-3010001212/test.html, consulté le 01/10/2018.

(le grain d’image imite d’ailleurs celui des anciennes pellicules) où foisonnent des détails de l’époque : environnements, bâtiments, costumes, etc. (Ill. 4) Le design du héros lui-même étant fortement inspiré par les personnages de l’homme sans nom de Clint Eastwood. Le joueur peut donc facilement reconnaître ces détails, qu’il a pu observer dans des films tels que ceux de la trilogie du Dollar94. On remarque ainsi une utilisation arrangeante de certaines références : les

films de Sergio Leone ne correspondent pas à la même époque ni au même contexte que les films dits de « cow-boys et Indiens » de la fin du 19e siècle. En effet, le western spaghetti

correspond à une période plus tardive (années 1960) dans la tradition du western et à un traitement très différent de ces mêmes codes95. Il y a donc une reprise des codes majeurs et des

esthétiques les plus connues au sein du jeu, qui repose sur une période bien spécifique de l’Histoire des États-Unis.

Nous pouvons donc avancer que le jeu assume plutôt un rôle de divertissement avec une ambition spectaculaire plus que critique. Et si Dan Houser souligne les contraintes imposées par la première partie du développement de Capcom, il est malgré tout satisfait du résultat :

94 Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la Brute et le Truand

(1966), de Sergio Leone.

95 Au fur et à mesure, les westerns offrent une réflexion sur l’histoire du pays, notamment sur les massacres indiens.

Ainsi, si les premiers westerns offrent plutôt un divertissement spectaculaire, les westerns spaghettis, qui inspirent par la suite les westerns crépusculaires (sur laquelle nous reviendrons plus loin dans notre développement), font office de critique de ce monde, ils sont plus sombres et plus violents, notamment à travers leurs personnages.

Is it what we’d do from day one? No, but were we pleased with were we got it? Absolutely, and I think it was a cool game.96

Le jeu est notamment remarqué pour sa bande-son reprenant des musiques tirées de westerns spaghettis tels que Lo Chiamavano King de Luis Bacalov, Nevada de Stelvio Cipriani ou encore le morceau d’ouverture de Il Pistolero dell’Ave Maria de Roberto Pregadio :

Voilà une bande-son qui mérite amplement son 18/20. Riche en thèmes parfaitement orchestrés à la manière des meilleurs films de cow-boys, elle nous propose une sélection de musique où guitare, trompette et harmonica s'entremêlent cordialement. Les dialogues parlés nous laissent découvrir un bel accent de l'Ouest américain rendant dès lors la moindre cinématique on ne peut plus crédible.97

Le journaliste de Jeuxvideo.com insiste ici sur la pertinence des thèmes présents dans le jeu, qui laissent penser qu’il s’agit d’un authentique western. Il met également en avant le doublage des personnages qui offrent un gage de crédibilité supplémentaire au jeu. Tout ceci participe à la légitimité et à l’efficacité des cinématiques, ultime détail, mais non des moindres, de la mise en scène du western par les concepteurs. Enfin, un autre aspect important peut également être soulevé : la taille de la carte (ou map) et l’exploration qui en découle :

on se rend vite compte à quel point le jeu est scripté et les zones à explorer sont très limitées dans leur superficie.98

La notion de territoire, pourtant capitale lorsque l’on parle de western, est donc mal exploitée dans la création de Rockstar, ce qui porte finalement atteinte aux intentions premières des créateurs. Red Dead Revolver est donc un jeu doté de certaines faiblesses techniques, mais dont l’intérêt réside avant tout dans l’univers qu’il développe ; le soin apporté à son ambiance et à son esthétique western est souligné par la critique, qui félicite cette proposition originale. Ainsi, malgré la sortie du jeu, les membres de Rockstar gardent le concept en tête, persuadés qu’il reste des choses à exploiter par le biais du western :

Vers la fin du développement de Red Dead Revolver, nous avons pris conscience qu’avec ce matériau, on pouvait réaliser quelque chose d’inédit. Dans un film de western, il est difficile de trouver quelque chose de neuf à dire mais personne n’a vraiment créé de grand jeu sur le

96 « Est-ce que nous aurions fait les choses de cette manière au départ ? Non, mais est-ce que nous étions satisfait

de là où nous l’avons emmené ? Absolument, et je pense que c’était un jeu cool », Dan Houser in Martin Robinson, « The Revolution of Red Dead », art. cit.

97 Jihem (pseudonyme), « Test : Red Dead Revolver », jeuxvideo.com, 11 juin 2004, http://www.jeuxvideo.com/articles/0000/00004307_test.htm, consulté le 01/10/2018.

Far West. Nous en sommes donc venus à penser à celui qui méritait d’être fait et à nous dire qu’avec notre expertise acquise sur les GTA, c’était le sujet idéal pour un jeu à monde ouvert. Il y avait tant d’aspects intéressants dans les mythes sur l’Ouest et d’opportunités de gameplay. Vous pouviez faire du cheval, vous avez des diligences, des lassos… Tous ces éléments appellent l’interactivité.99

Il y aura effectivement une suite, Red Dead Redemption, qui aujourd’hui résume finalement le premier opus à une sorte d’esquisse, quelque peu tombée dans l’oubli.

Nous avons vu à travers cette seconde sous-partie une certaine évolution concernant les créations du studio Rockstar ; de plus en plus, les jeux semblent s’axer autour d’un point névralgique : l’imagerie cinématographique. Cela va même plus loin, puisqu’avec Manhunt nous avons pu constater que le cinéma devient un outil servant à véhiculer un propos critique sur la société américaine actuelle. Si Red Dead Revolver lui, est plus proche d’une dimension de divertissement, l’objectif étant avant tout de rendre hommage aux westerns d’antan, il constitue toutefois une base importante pour l’opus qui lui fera suite, Red Dead Redemption, dans lequel ces différents éléments sont réunis. Voyons à présent comment les dirigeants de

Rockstar expriment cet intérêt pour le cinéma et la manière dont ils l’utilisent et l’intègrent dans leurs jeux.

99 Erwan Higuinen, « Red Dead Redemption – Interview de Dan Houser », LesInrocks.com, 22 mai 2010, https://www.lesinrocks.com/2010/05/22/web/red-dead-redemption-interview-de-dan-houser-1130442/, consulté le 28/09/2018.

Chapitre II : Intégration du cinéma dans le