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La présence croissante d’éléments cinématographiques dans le domaine

Chapitre III : L’arrivée du cinéma au centre des préoccupations

2. La présence croissante d’éléments cinématographiques dans le domaine

parfois un mélange de genres : des éléments par exemple propres à la narration ou à la caractérisation d'un personnage peuvent ainsi trouver leurs places dans des films appartenant à des catégories différentes. Raphaëlle Moine pousse d'ailleurs sa réflexion encore au-delà :

beaucoup de genres du cinéma semblent prolonger ou recréer des genres qui préexistent dans un autre médium.135

Elle fait alors la distinction entre genres littéraires et genres cinématographiques. Ce qui n’est pas sans rappeler les passerelles présentes entre cinéma et jeu vidéo que nous évoquions précédemment. Selon Moine, il faut « décentrer la question générique », c'est-à-dire qu'il ne faut pas seulement considérer le genre comme une catégorie relative à des canons particuliers et à un ensemble de textes filmiques, mais qu'il est nécessaire d'élargir cette perspective :

les genres du cinéma ne sont pas uniquement les genres des films, ils sont aussi des catégories de production et d'interprétation.136

Le genre est donc à considérer dans sa globalité comme un ensemble regroupant type de récit (narration, atmosphère, ton de l’œuvre, etc.), type de production (budget et moyens mis à disposition pour la création de l’œuvre) qui vont en déterminer la place au sein de l’industrie (d’un point de vue économique : grosse ou petite production, ou encore le courant ou mouvement auquel une œuvre peut être rattachée). À cet instant, nous pouvons d’ores et déjà souligner le fait que les jeux Rockstar proposent un certain imaginaire des genres : ils en proposent une vision, une interprétation de la façon dont les concepteurs, selon leur propre cinéphilie, se représentent un genre. En revanche, ce n’est pas représentatif du reste de l’industrie vidéoludique.

2. La présence croissante d’éléments cinématographiques dans le domaine vidéoludique

Tout d’abord, notons que la classification dans le domaine vidéoludique a grandement évolué ces trente dernières années. Il est en fait relativement récent de rapprocher les genres vidéoludiques des genres cinématographiques. L'un des premiers ouvrages en France à proposer

135 Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, op. cit., p. 4. 136 Ibid., p. 5.

un classement des jeux selon des catégories précises est celui des frères Le Diberder137 en 1998, L'univers des jeux vidéo. Il s'agit d'une encyclopédie classant plus de 5000 jeux selon leur genre : réflexion, action ou simulation. Plusieurs constats s'offrent à nous. Tout d'abord, nous pouvons voir qu'à cette époque il n'y a pas encore de rapport établi avec le cinéma. Ces trois catégories reposent sur la façon dont le joueur va agir sur le jeu. De plus, il paraît évident que classer une quantité aussi importante de jeux en seulement trois catégories est à la fois très subjectif et peu représentatif. Une seconde limite se pose face à une telle proposition : sa rapide obsolescence face à des jeux qui vont mélanger plusieurs genres. Par exemple, la saga des Tomb

Raider mêle dès le 1er opus en 1996 à la fois l'action, la réflexion et l'aventure. Un jeu comme

Rocket League (Psyonix, 2015) va mélanger le sport, l'action voire la stratégie en mode multi- joueurs. Nous constatons qu’il est donc difficile dans le domaine vidéoludique de créer des catégories qui soient à la fois représentatives des mécaniques de jeu et à la fois de l’univers, de l’atmosphère dans lequel il se déroule.138

Nous pouvons donc nous interroger sur les liens qui sont établis entre cinéma et jeu vidéo dans les termes de classification employés, tant par la presse spécialisée que par les joueurs. À quel moment constate-t-on l’intégration d’un modèle cinématographique dans la question des genres vidéoludiques ? Dans le premier numéro de la revue Tilt sortie en 1982, il est fait mention de « jeux policiers139 ». Selon l’auteur de l’article Phillipe Adjutor, ce type de

jeux trouve ses sources dans divers domaines :

137 Il est intéressant de noter que « Frédéric Le Diberder [a été] chef de projet à Canal Plus Multimédia tandis que

Alain Le Diberder [était] directeur des nouveaux programmes de Canal Plus. Reconnus comme étant les spécialistes français du jeu vidéo, ils sont également acteurs du domaine puisqu'ils ont participé à la conception de deux jeux, Matignon et Le Deuxième Monde. », Sébastien Genvo, Introduction aux enjeux artistiques et culturels

des jeux vidéo, 2003, note de bas de page n° 15, p. 11.

138Nous pouvons toutefois noter un cas intéressant de mélange des genres entre les médiums cinématographique

et vidéoludique : celui du battle royale. Le terme est directement inspiré du film de Kinji Fukasaku sorti en 2000 (Le film est une adaptation du roman éponyme de Kōshun Takami paru en 1999. Dans cette œuvre, le gouvernement japonais, afin de lutter contre la délinquance, met en place un dispositif cruel : le Battle Royale. Chaque année, une classe de terminale du pays est ainsi envoyée en voyage scolaire dans un endroit isolé. Sur place, les élèves découvrent alors qu’ils doivent s’entretuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un unique survivant.). Mais c’est l’adaptation au cinéma de la saga littéraire Hunger Games entre 2012 et 2015 qui entraîne l’émergence massive du genre vidéoludique (Dans un futur dystopique, les derniers habitants des Etats-Unis sont réunis en districts. Le régime dictatorial qui s’est imposé a mis en place un système de jeu du cirque au sein de la population. Tous les ans, dans chacun des 12 districts restant, un garçon et une fille sont tirés au sort pour affronter durant un mois les autres concurrents au sein d’une arène dangereuse et meurtrière. Les jeux sont diffusés en direct et en permanence au reste de la population. Parmi tous ces enfants, un seul pourra en sortir vivant.). Reprenant l’idée développée dans ces œuvres cinématographiques d’un affrontement mortel en huis clos ne permettant la survie que d’une seule personne, le principe du battle royal est simple : les joueurs en lignes doivent se mesurer aux autres, seuls ou en équipe, jusqu’à ce qu’il y n’ait plus qu’un survivant ou groupe de survivant, dès lors la partie est terminée. Tout ceci nous montre à quel point la notion de genre est complexe et source d’intermédialité.

139 Philippe Adjutor, « Jeux policiers : poursuite dans un fauteuil », Tilt, n°1, septembre octobre 1982, p. 18-20.

Notre prime enfance est marquée par une foule de jeux de capture comme le chat perché (et toutes ses variantes), la délivrance (ou délo), ou de recherche : cache-cache, jeux de piste et même colin-maillard. Ces jeux possèdent tous des règles bien définies. Mais il en est un qui n’a que faire d’un règlement : quand on joue au gendarme et aux voleurs, l’unique souci des enfants est de reconstituer l’image mythique de la lutte du bien contre le mal, en l’illustrant des faits divers de l’actualité.140

Selon lui, cette image mythique que les enfants cherchent à copier puise dans la littérature, le cinéma, mais aussi dans des faits réels. Pour autant, les jeux qui sont présentés dans l’article ne sont pas définis en tant que policiers, mais plutôt comme des jeux d’enquêtes, des jeux qui s’inspirent d’œuvres policières. Mais ce ne sont pas des polars.

Dans un autre registre, le n°4 de la revue PlayStation Magazine de juillet-août 1996, présente le jeu Spot goes to Hollywood (Virgin), dans lequel ledit Spot est propulsé dans différents genres de films.141 Le jeu propose ainsi d’explorer plusieurs univers

cinématographiques :

Six thèmes hollywoodiens sont abordés dans cette version : aventure, western, pirate, horreur, jurassique et science-fiction. À travers ces différents mondes, votre mission sera de récupérer des étoiles de star (ou des stars d’étoiles !) et des « cools », bonus spéciaux pour gagner de la vie.142

Ces « thèmes hollywoodiens » sont désignés par les noms des genres auxquels ils appartiennent : aventure, western, horreur, etc., mais encore une fois, bien qu’ils en proposent une interprétation, le jeu ne se définit pas selon ces genres. En revanche, l’article souligne les performances de la console, qui permettent cette immersion dans des univers cinématographiques :

Les ennemis en 2D ou 3D pour certains, les Boss de fin de niveau, les puzzles (dalles, leviers, pièges, passages secrets) ainsi que les niveaux shoot’em up donnent à cette nouvelle mouture un renouveau qui n’est pas pour nous déplaire.143

140 Philippe Adjutor, « Jeux policiers : poursuite dans un fauteuil », op. cit., p. 19.

141 Morgan, « Spot goes to Hollywood. Le retour de la vengeance », PlayStation Magazine, n°4, juillet 1996, p. 10.,

la page de l’article est disponible en Annexe, p. 164.

142 Id. 143 Id.

Nous remarquons ainsi que l’usage de nouvelles technologies permet d’apporter une plus grande richesse dans le level design144, l’atmosphère du jeu et donc l’expérience du joueur.

Nous pouvons donc supposer que la puissance des machines (ordinateurs ou consoles) favorise le développement d’univers référencés, visuellement plus riches et plus travaillés qu’auparavant. Ce qui peut expliquer l’emploi de termes cinématographiques qui se systématise pour parler de ces jeux. Tout ceci nous amène à penser qu’une certaine forme de cinéphilie s’exprime, de différentes manières, dans le jeu vidéo. Nous l’avons vu précédemment, l’évolution technologique est un facteur clé dans la conception des jeux Rockstar. Et leur volonté de créer des jeux de gangsters, des westerns ou des polars est particulièrement révélatrice de cette synergie entre évolution des supports et modèle cinématocentré.

3. Rockstar Games : quand le genre vidéoludique fait place au genre