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B. MÉTHODOLOGIE

5. Techniques d’enquête. Description du corpus

5.2. Le recueil du corpus pour l’analyse du transfert positif

Constituer le corpus nécessaire à l’analyse du transfert positif exige une méthodologie plus complexe que l’organisation des ateliers d’écriture pour l’obtention de textes exploitables en vue de l’analyse du transfert négatif. Envisager et appliquer une méthode qui permette d’atteindre notre but a été, au moins au début, un défi, car cette démarche suppose l’acceptation de l’incertitude. Nous nous sommes posé de nombreuses questions : « Comme on vérifie d'habitude le transfert positif avec des sujets qui ne connaissent pas la langue du document présenté ou la connaissent très peu (voir la méthode de l'intercompréhension), le niveau A2-B1 de nos sujets nous permettra-t-il encore d’observer ce côté positif du transfert ? », « Comment pourrions-nous faire la différence, dans les productions des sujets, entre les connaissances déjà acquises en langue cible et les résultats du transfert positif immédiat à l’étape de la production sous l’influence des déclencheurs proposés ? » À l’incitation de toutes ces questions, nous avons constitué une méthode en trois étapes que nous avons appliquée en octobre 2011, lors de la première enquête.

Dans une première étape, nous proposons aux sujets d’écouter un enregistrement (la voix d’un natif) et d’essayer de traduire en roumain ce qu'ils comprennent. Nous partons de l'hypothèse qu'ils ne réussiront pas à comprendre le texte entier, parce qu'ils ne sont habitués ni au rythme rapide de la parole des natifs, ni à l'accent des natifs. À l'école, ils n’entendent que le français parlé par leurs professeurs qui sont d'origine roumaine et, par conséquent, ils ont assez peu d'interaction avec le français des natifs.

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L’étape suivante consiste dans l'écoute des mêmes textes mais, cette fois-ci, lus par nous-même. Les sujets essaieront de comprendre davantage. Notre hypothèse est que cette fois-ci les sujets comprendront mieux le texte puisque nous sommes roumaine tout comme les sujets, donc que nous n’avons pas l'accent d'un natif et que notre rythme sera naturellement plus lent.

Enfin, pour la troisième étape, les sujets reçoivent des fiches avec le texte de l'enregistrement. Cette fois-ci, notre hypothèse est que ce qui reste vide de sens lors d'une activité de compréhension orale peut devenir clair à l'aide une activité de compréhension écrite, grâce à la graphie des mots qui peut ressembler à des mots d'une autre langue romane connue et, par conséquent, faciliter le transfert positif. Afin que les sujets focalisent leur attention sur les mots cibles, nous les avons mis en évidence avec des lettres en gras.

Le texte utilisé est assez facile, sans termes spécialisés, ce qui permet que l'intercompréhension fonctionne. Seulement deux des sept paragraphes du texte sont d’authentiques productions de natifs, tandis que cinq d’entre eux ont été créés par nous afin de servir notre objectif. Comme nous l’avons signalé plus haut, les sujets ont déjà des connaissances de la langue française et, par conséquent, nous risquions que la démarche s'arrête après la seconde étape. Supposons que les sujets ne comprennent pas l'enregistrement du natif à cause du débit. Toutefois, comme le texte est facile, ils devraient bien le comprendront lorsque nous le leur lirions. Alors, si les sujets réussissaient à traduire le texte après la seconde étape, les signes de l'influence positive ne seraient pas tellement évidents. Si nous observions quand même une différence entre la traduction du texte enregistré par un natif et celle du même texte lu par nous-même, nous pourrions dire, à la limite, que la langue roumaine a influencé la compréhension du texte, puisque nous sommes roumaine et donc notre accent en français, influencé par le roumain, aurait aussi un impact sur la compréhension des sujets. Mais, cette preuve ne serait pas tellement pertinente, car la compréhension pendant la seconde étape pourrait être influencée plutôt par le rythme plus lent, que par le fait que c'est un Roumain qui a lu le texte.

Par conséquent, pour que notre démarche réussisse, nous avons trouvé utile d’utiliser des mots voisins français-roumains, qui ont la même graphie, mais dont la prononciation peut les rendre méconnaissables à l'oral (voir le tableau 2), ou des mots dont nous supposons que les sujets ne les connaissent pas, mais dont ils pourraient deviner le sens grâce à leur graphie qui ressemble à celle de leurs équivalents roumains, espagnols ou italiens (voir le tableau 2). Tous ces mots devraient faciliter le transfert positif dans les productions de nos sujets.

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Mots voisins français-roumain Mots à graphie semblable

Hypothèse : les sujetsréussiront à traduire les mots cibles après avoir reçu le texte écrit et fait la liaison entre la graphie de mots appartenant aux langues différentes.

fr. autiste [ɔtist] /ro. autist [autist] fr. poumons/ es. pulmones/ ro. plămâni/ it.

polmoni

fr. club [klœb] / ro. club [klub] fr. manteau / ro. manta

fr. aurore [ɔ(o)RɔR] / ro. auroră [auRORə] fr. archange / ro. arhanghel

fr. gel / it. gelo

fr. ailes / it. alas / es. alas

fr. bourse / es. bolsa / ro. borsetă

fr. maudit / es. maldito / it. maledeto

fr. quitter / es. quitar

fr. archipel / ro. arhipelag

Tableau 2 – Mots cibles pour la première enquête

Si notre supposition que les sujets ne connaissent pas ces mots s’avère être vraie, alors, ils réussiront à les traduire seulement après avoir reçu le texte écrit et fait la liaison entre la graphie des mots appartenant à des langues différentes. Dans ce cas, la première et la seconde étape filtreront les situations propices à la manifestation du transfert positif et, dans la troisième étape, nous viserons seulement les contextes où les sujets n’ont pas encore réalisé la traduction.

Il faut mentionner aussi qu’après chaque étape nous ramassions leurs fiches, afin qu’ils ne se laissent pas influencer dans l’étape actuelle par les réponses données lors de l’étape précédente et pour qu’ils n’aient pas la possibilité de faire des changements sur la fiche précédente.

Pour la deuxième et la troisième enquête, nous avons changé de méthode afin de ne plus passer d’un type d’activité à un autre (écoute-écrit), mais de garder le même type au cours des étapes différentes. Cette fois-ci, nous avons construit un texte roumain contenant des mots cibles que les sujets devront traduire en français. Nous supposons qu’ils ne réussiront pas à tout traduire, dès la première étape. Ce qui reste sans traduction devient matériel pour la seconde étape, en générant le contexte où l’influence positive pourrait se manifester.

Lors de la seconde étape, les sujets reçoivent le même texte qui, cette fois-ci, contient des déclencheurs pour l’influence positive, à savoir des équivalents espagnols et/ou italiens. Étant donné que ces mots espagnols et/ou italiens ressemblent du point de vue graphique aux

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correspondants français, nous supposons qu’ils traduiront ce qu’ils n’ont pas réussi pendant la première étape. Alors, nous nous concentrerons seulement sur les contextes dans lesquels la traduction est absente ou mauvaise à la première étape. Il nous reste à décider si le transfert positif s’est réalisé dans ces contextes.

A priori, cette méthode est assez opaque en ce qui concerne les résultats. Nous savons ce que nous voulons obtenir, mais le contexte semble cacher des éléments de surprise qui pourraient intervenir ou pas. En effet, comme la langue source des sujets est le roumain (ils ont donc appris le français par l’intermédiaire du roumain), il est assez probable qu’ils réussissent la traduction soit dès le premier essai, soit jamais. Dans ce cas-là, le transfert positif restera inconnu. Nous voudrions vérifier si, parmi les savoirs linguistiques des sujets en langue cible, certains éléments ont été appris à un moment donné, mais sont inactifs dans leur esprit au moment de la production et peuvent être activés à l’aide des ressemblances avec les autres langues romanes. Voici les mots cibles et les déclencheurs utilisés dans la deuxième enquête. Les mots roumains à traduire se trouvent dans les rubriques mises en évidence en gris.

Même Etymologie - Evolution différente

Roumain Espagnol Italien Français

discuţie discusion discussione discussion

înger angel angelo ange

(a) descoperi descubrir - découvrir

Etymologie différente Ro / Es, It, Fr

Roumain Espagnol Italien Français

(a) înlocui reemplazar rimpiazzare remplacer război guerra guerra guerre (a) părăsi quitar - quitter răbdare paciencia pazienza patience tăcere silencio silenzo silence

urmă - traccia trace

oboseală fatiga fatica fatigue (a) număra contar contare compter străin extrangero - étranger

(a) pluti flotar fluitare flotter

(a) zbura volar volare voler

(a) păstra guardar - garder proaspăt fresco fresco frais

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Synonyme roumain d’autre origine que latine ressemblant à l’équivalent français, italien et espagnol Mot roumain d’origine latine Synonyme roumain d’autre origine

Espagnol Italien Français

surâs zâmbet sonrisa sonriso sourire (a) promite (a) făgădui prometer - promettre

voce glas voz voce voix

Tableau 3 – Mots cible et déclencheurs - deuxième enquête

Voici les mots cibles accompagnés des déclencheurs, pour la troisième enquête :

Etymologie différente Ro / Es, It, Fr

Roumain Espagnol Italien Français

(a) arăta mostrar Mostra montrer

(a) învăţa (pe cineva) enseñar insegnare enseigner (quelqu’un) (a) se odihni reposar riposare reposer

brânză - fromaggio fromage

orez - riso riz

(a) alerga correr correre courrir

nevoie - bisogno besoin

zid muro muro mur

hârtie papel - papier

răzbunare venganza vendetta vengeance sărac pobre povero povre

bătrân viejo - vieil

adevăr verdad verità vérité măsline oliva oliva olive

fistic pistacho pistacchio pistache

(a) străluci brillar brillare briller

ceai té tè thé

Synonyme roumain d’autre origine que latine ressemblant à l’équivalent français, italien et espagnol Mot roumain d’origine latine Synonyme roumain d’autre origine

Espagnol Italien Français

Frontieră hotar frontera - frontière

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dubiu îndoială duda dubbio doute

Tableau 4 – Mots cibles et déclencheurs – troisième enquête

Nous utilisons dans cette méthodologie, le gradient de similitude dont on a parlé dans la partie théorique (voir sous-chapitre 1.2.) afin d’obtenir le résultat inverse de l’interférence, c’est-à-dire le transfert positif.

On a vu queles stimuli, qui présentent des degrés de généralisation variables par rapport à un stimulus standard donné, représentent un gradient de similitude et créent le contexte où la tendance à généraliser se manifeste fortement. Cette tendance à généraliser finit d’habitude par une interférence lorsqu’on ne connaît pas la réponse correcte. Nous voulons produire une réaction inverse, en misant sur le fait que le sujet connaît la réponse, mais qu’elle est dans un état inactif dans son esprit et que la création d’un contexte où la tendance à généraliser est forte aidera à la réactivation de la bonne réponse. Notre méthodologie propose une sorte de système d’équations avec une inconnue :

Sitalien = Ritalien Similitude Sespagnol = Respagnol

Sfrançais = x

On connaît également les stimuli (les contextes d’utilisation de telle ou telle langue), qui forment le gradient de similitude (voir la proximité des langues romanes) et les réponses adéquates représentées dans notre méthode par les déclencheurs proposés. C’est au sujet de trouver la bonne réponse pour le stimulus-contexte d’utilisation du français, en s’appuyant sur les autres réponses.

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