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A. CADRE THEORIQUE

2. L’apprentissage d’une langue au carrefour des

2.2. Analyse d’erreurs

Dans son développement, l’analyse d’erreurs connaît deux orientations : l’une, initiale, qui est caractérisée surtout par la finalité pédagogique et l’autre, se développant un peu plus tard, qui propose une démarche psycholinguistique et qui contribuera à tracer de nouvelles directions pour la recherche sur l’acquisition/ apprentissage d’une langue. Cette première orientation de l’analyse d’erreurs appelée par R. Porquier (1977 : 34) analyse « didactique » d’erreurs prévoit un certain nombre d’étapes à suivre afin d’analyser une erreur, à savoir

1. Obtention des données 2. Identification des erreurs 3. Classification des erreurs 4. Quantification des erreurs 5. Analyse de la source

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6. Remédiation (Gass et Selinker, 2008 : 103)

Cette version aide à l’élaboration, la modification ou la complétion du matériel didactique. Elle est issue de l’enseignement pour servir l’enseignement et a, selon R. Porquier (1977 : 24) une double visée : d’une part elle se propose de diagnostiquer, de mieux connaître les difficultés rencontrés par tel public dans le processus d’apprentissage de telle langue par le biais de l’analyse d’erreurs, et d’autre part elle veut prévoir les difficultés des futurs apprenants, toujours à partir des erreurs.

À la différence de l’analyse contrastive dans ses deux versions (a priori et a posteriori) l’analyse d’erreurs ne compare plus la langue maternelle avec la langue étrangère, mais la production de l’apprenant en langue étrangère et la langue étrangère elle-même, car la langue maternelle ne constitue plus un élément clé dans l’explication des formes erronées que l’on trouve dans les productions des apprenants (voir Dulay et Burt, 1974).

De plus, si jusqu’alors, l'apprentissage d'une langue étrangère était réduit à l’acquisition d’habitudes et si l’erreur était par conséquent un élément banni, l’analyse d’erreurs change de perspective et confère à l’erreur un statut beaucoup plus positif, voire en la considérant voire comme un élément nécessaire au processus d'apprentissage. « Les erreurs ne sont plus des fautes condamnables ni des bogues regrettables, mais des symptômes d'obstacles auxquels la pensée des élèves est affrontée » (Astolfi, 1997 : 15). Selon Gass et Selinker (2008 : 102), cette position prise face aux erreurs est celle qui ouvre le domaine de l’apprentissage d’une langue étrangère comme espace d’intérêt non pas seulement pour les recherches pédagogiques, mais aussi pour la psychologie et de la linguistique.

La parution de l’article de Pit Corder The significance of learners’ errors, en 1967, a constitué le point tournant dans la perception et la conceptualisation de l’erreur. P. Corder part de l’hypothèse de l’existence du mécanisme mental inné qui permet l’acquisition et l’apprentissage d’une langue et il suppose qu’au moins certaines stratégies adoptées par un apprenant de langue étrangère sont identiques à celles qui permettent l’acquisition de la langue maternelle sans que cela implique aussi l’identité des déroulements de l’apprentissage (Corder, 1980a : 11). À la lumière de cette supposition, P. Corder trouve qu’il faudrait regarder de la même façon les productions d’un enfant de deux ans dans sa langue maternelle et les productions d’un apprenant de langue étrangère. Si l’énoncé « ça chaise maman » produit par un enfant n’est pas considéré comme une forme déviante ou incorrecte, mais plutôt comme un indice du stade de

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développement verbal de l’enfant à ce moment-là, il est recommandable de regarder les productions « erronées » des apprenants d’une langue étrangère comme étant des indices de leurs processus d’apprentissage (ibid.).

On ne peut pas appeler « déviants », « incorrects » ou « agrammaticaux » les énoncés d'un enfant qui apprend sa langue maternelle car il n'est pas encore le locuteur d'un dialecte social (Corder, 1980b : 21). De même, on ne peut pas appeler « déviantes » ou «erronées » les productions idiosyncrasiques d'un apprenant de langue étrangère, car ces appellations impliquent l’idée de non-respect des règles du dialecte cible, tandis que l’apprenant produit des phrases idiosyncrasiques précisément parce qu’il n’a pas encore connu ou assimilé cette règle (ibid.).

Ces productions idiosyncrasiques qui sont parfaitement normales, dans la perspective de l’apprenant qui a construit son dialecte et qui, appartenant à ce dialecte, ne peuvent pas être regardées comme étant erronées, représentent toutefois des erreurs si on les regarde par rapport à la norme de la langue cible (Gass et Selinker, 2008 : 103). Mais, même si on les appelle erreurs, ces productions qui ne correspondent pas à la norme de la langue cible sont dédramatisées, regardées comme utiles dans le processus d'apprentissage.

Notre position, on l'a bien compris, est que la connaissance de sa L1 par l'apprenant joue un rôle facilitant et que ses erreurs sont à considérer non pas comme un indice d'inhibition, mais comme la manifestation des stratégies d'apprentissage. (Corder, 1980a : 15)

Quelques-unes de ces erreurs sont systématiques (c’est-à-dire qu’elles reviennent dans les productions d’un apprenant). Elles deviennent ainsi des preuves du fait que l’apprenant essaie d’imposer la régularité dans la langue à laquelle il est exposé (ibid.).

L’existence des erreurs systématiques impose la nécessité de distinguer aussi les erreurs qui ne sont pas systématiques ou plutôt les erreurs dont la nature systématique est difficilement saisissable. La distinction faite par Pit Corder (1980a : 13) entre erreur systématique et nonsystématique renvoie à la distinction performance / compétence de N. Chomsky, à savoir que l'erreur relève de la compétence, tandis que la faute relève de la performance. L'erreur nonsystématique est une erreur de performance linguistique qui est représentée par des lapsus, erreurs aléatoires, perturbations dans l'application d'une règle pourtant connue, à cause de l'émotion, de la fatigue ou du stress. Ces erreurs ne reflètent pas les lacunes dans la connaissance

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de la langue. Le locuteur s'en rend compte au moment où il les produit et il est capable de les corriger. Par contre, les erreurs systématiques sont des erreurs de compétence qui révèlent une activité intellectuelle de l'apprenant et que celui-ci est incapable de corriger. Corder propose d'appeler « fautes » les erreurs de performance et que le terme « erreur » soit employé seulement pour désigner les erreurs systématiques qui reflètent la compétence transitoire de l’apprenant à un moment donné (ibid.).

À la différence des « fautes » qui ne sont pas significatives pour le processus d'apprentissage d'une langue, parce qu'elles ne reflètent pas le degré de connaissance de celle-ci, les erreurs ont une triple signification (Corder, 1980a : 13). Pour l'enseignant, elles sont les preuves de l’état de connaissance de l’apprenant. Pour les chercheurs, les « erreurs » qui permettent d’explorer le processus d’apprentissage / acquisition d’une langue en donnant des indices concernant les stratégies utilisées par l'apprenant dans sa découverte progressive de la langue. Elles représentent ainsi des éléments indispensables à l'apprenant, puisque l’erreur est le signe de l’activité mentale de l’apprenant essayant de s’approprier le système de la lange cible (ibid.).

L’analyse d’erreurs offre plus de possibilités d’explication des erreurs que l’analyse contrastive qui prenait en considération seulement la langue maternelle comme source d’interférence. On a déjà vu qu’une des critiques apportées à cette approche est liée strictement à cet aspect (voir Dulay et Burt). L’analyse d’erreurs fait la distinction entre deux types principaux d’erreur, à savoir l’erreur intralinguale (dont la source est la langue cible) et erreur interlinguale (dont la source est la langue maternelle ou les autres langues étrangères connues par l’apprenant). Malgré ses apports au domaine de l’étude de l’acquisition/apprentissage d’une langue, l’analyse d’erreurs a eu ses insuffisances. On a beaucoup critiqué son intérêt pour l’erreur et l’omission de ce qui est non-erreur, élément indispensable à l’obtention d’une image véritable du comportement linguistique de l’apprentissage d’une langue. De nombreuses études ont démontré qu’il est beaucoup plus révélateur d’observer aussi les non-erreurs à côté des erreurs dans la description de la langue de l’apprenant (Gass et Selinker, 2008 : 104).

Une seconde insuffisance de cette approche est représentée par les critères d’identification des erreurs qui sont très nombreux et divers, et souvent imprécis. La grille d’identification des erreurs présente les catégories suivantes : phonétique, lexique, morphologie, syntaxe et les sous-catégories : omission, addition, déplacement, substitution. Dans la pratique, il

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est difficile de placer à coup sûr une erreur dans une typologie. De plus, même si l’analyse d’erreurs dépasse parfois l’étape du simple classement typologique, elle ne cherche pas d’explications pour l’erreur, mais elle est plutôt descriptive (Porquier, 1977 : 25).

Strictement liée à cette dernière critique, on a ajouté la difficulté de préciser à coup sûr la source de l’erreur. Il s’est avéré souvent difficile d’établir si une telle erreur est causée par l’interférence avec la langue maternelle ou si elle est le résultat de la grammaire étrangère intériorisée qui partage des règles avec la langue cible. Les études ont démontré qu’un nombre important d’erreurs ne cadre pas avec l’une de ces catégories ou, qu’au contraire, parfois elles le font avec les deux à la fois (Besse et Porquier, 1991 : 210).

Gilles Bibeau (1983 : 44) observe que « dans bien des cas, plusieurs explications sont possibles et il est difficile de dire laquelle est psychologiquement réelle ». Il donne l’exemple de quelques études menées par Dulay et Burt (1974) et d’autres menées par Terrel, Gomez et Mariscal (1980) dont les résultats se trouvent dans une « contradiction profonde ». En effet, les premiers ont décidé que 87% des erreurs sont de type développementale, tandis que les autres chercheurs ont trouvé que 89% des erreurs sont dues à la langue maternelle (ibid.). Afin de mieux refléter la réalité des erreurs, Dulay et Burt (1974a) proposent une grille plus développée des erreurs qui contient aussi une catégorie appelée « erreurs ambiguës »1. Y entrent les erreurs qui ne peuvent être classifiées comme intralinguales ou interlinguales.

Une autre inadéquation de l’analyse d’erreurs est le fait de supposer que si une forme est correcte, la règle qui se trouve derrière cette forme est correcte aussi. Si lors de deux premières étapes, les productions d’un apprenant en langue cible ont été correctes, l’analyse d’erreurs décide que l’apprenant maîtrise bien les règles qui soutiennent ces productions. Par contre, une troisième analyse, effectuée à un moment ultérieur de l’apprentissage, pourrait faire découvrir que les règles ne sont pas aussi bien maîtrisées que l’on croyait (Gass et Selinker, 2008 : 107).

Les corpus utilisés par l’analyse d’erreurs ont été aussi une cible pour les critiques. Ces corpus sont trop hétérogènes et mélangent les productions orales avec les productions écrites réalisées par des populations trop restreintes qui ne permettent pas la généralisation hors du cadre de l’enquête. Les échantillons de production sont souvent si restreints qu’on ne peut pas identifier

1 Dulay et Burt utilisent le terme “goof” pour désigner l’erreur, terme qui ne serait pas chargé d’un sens aussi négatif que le terme erreur.

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ou analyser des erreurs qui dépassent le cadre de la phrase. De plus, l’analyse d’erreurs ne tient pas compte des spécificités de l’écrit ou de l’oral (Porquier, 1977 : 25).

Comme cette première version de l’analyse d’erreurs ne s’éloigne pas trop de la version a posteriori de l’analyse contrastive avec sa finalité pédagogique, qui a reçu beaucoup de critiques, l’approche subit une réorientation sous le signe de la psycholinguistique. La nouvelle version de l’analyse d’erreurs est plus appréciée car elle débouche vers d’autres voies de compréhension et d’analyse du processus d’apprentissage d’une langue étrangère. Cette orientation ne vise plus le rôle des erreurs dans le processus d’apprentissage d’une langue étrangère, mais elle met plutôt l’accent sur le sujet parlant, constituant de cette manière l’une des prémisses de l’hypothèse de l’interlangue.

Vu que notre étude est réalisée sur territoire roumain, il est judicieux de nommer quelques ouvrages qui ont marqué à cette-époque-là, en Roumanie, le domaine des études contrastives français-roumain, en particulier, et le domaine de la didactique du FLE, en général :

Éléments de grammaire contrastive – domaine français-roumain (Cristea, 1977), Études contrastives - les modalités (Cristea et alii, 1981), De la linguistique à la didactique (Cristea et alii, 1982), Dix concepts fondamentaux de la didactique du français langue étrangère (Cristea et alii, 1984).