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5. État de la recherche

5.3 Recours à l’assistance sociale

George Simmel (1998 [1908]) a effectué une recherche pionnière sur les personnes dans le besoin et leur lien à l’assistance, il est l’auteur de la sociologie de la pauvreté. Selon lui, un individu a des droits, mais également des obligations envers ceux qui l’entourent, ainsi il est un être social (Simmel 1998 : 39). Dès lors, il décrit l’assistance aux pauvres comme le respect de leurs droits. « Le droit à la charité appartient à la même catégorie que le droit au travail ou le droit à la vie. » (Simmel 1998 : 43) En outre, il distingue la pauvreté individuelle de la pauvreté sociale. Selon lui, lorsque la pauvreté devient sociale, c’est quand les « pauvres » acceptent un soutien financier. Alors que d’autres approches plus récentes appréhendent le besoin d’assistance comme la conséquence d’un écart face aux normes. Comme présenté plus haut, les normes sociales s’imposent aux individus, et ceux qui ne s’y conforment pas sont mis à l’écart. C’est le cas des individus qui ne sont pas autonomes et ont recours à l’assistance, ils se voient apposer un stigmate de non-conformité à cette norme valorisée par la majorité. « Ce processus [de prise en charge par l’assistance] assigne les "pauvres" à une carrière spécifique, altère leur identité préalable, et devient un stigmate marquant leurs rapports avec autrui. » (Paugam 2013 : 102) Ainsi, l’assistance aux personnes dans le besoin n’est pas une situation d’exclusion, car elle est produite par la société, en revanche, c’est un état qui disqualifie. La stigmatisation découlant du recours à l’assistance est l’un des critères de la disqualification sociale.

Michel Messu, dans son article Apprendre à être soi lorsqu’on est un assisté social (2008) continue de développer l’idée que le stigmatisé ne vit pas passivement le processus de mise à l’assistance sociale. Il explique qu’en acceptant l’assistance sociale, l’individu doit affronter le stigmate, c’est-à-dire cette nouvelle désignation sociale d’« assisté », comme étant une sorte de déni identitaire (Messu 2008 : 106). Tout comme Croizet et Leyens (2003), il découvre lors de son étude l’existence de plusieurs attitudes face au stigmate. Ce stigmate est l’objet de stratégies de contournement et de retournement (Messu 2008 : 109).

« Si le stigmate, le stéréotype, reçoit des réponses variables c’est parce qu’il doit composer avec d’autres valeurs, d’autres normes, d’autres stéréotypes sociaux. Par exemple, l’"assisté honteux" est celui qui adhère au stéréotype du travailleur qui doit s’en sortir par lui-même, donc il ne peut accepter cette nouvelle position sociale d’assisté. » (Messu 2008 : 107)

Ainsi, la gestion du stigmate participe pleinement au processus de reconstruction de l’identité individuelle ayant cours dans la situation d’assistance.

Le sociologue Nicolas Duvoux a également écrit deux articles sur l’assistance sociale (2010, 2012). Au sein de ses études, il s’interroge sur l’expérience vécue par les publics des politiques d’insertion et en particulier celle des bénéficiaires d’un contrat d’insertion. Ces dernières années, les représentations face au contrat d’insertion se sont transformées. En effet, en 1988 ce contrat était considéré comme un devoir de la société envers les personnes en difficultés, afin de les aider à se responsabiliser. Aujourd’hui, la réinsertion est plutôt appréhendée comme une forme de remboursement de l’allocation sociale. Ces changements « ont ainsi renforcé le stigmate qui est attaché au statut d’assisté (Duvoux 2012 : 109) ». Le but de ces recherches est de comprendre l’impact de la norme institutionnelle d’autonomie sur le public à l’aide sociale. Dans son étude, il analyse des bases de données regroupant des entretiens faits auprès d’allocataires du revenu minimum d’insertion (RMI) et il y constate des résistances face au stigmate apposé par le statut d’« assisté » (Duvoux 2010 : 389). Cette étude est la première dans le contexte français à aborder les différentes perceptions des personnes assistés envers « la norme institutionnelle d’autonomie et l’incitation au travail qu’elle contient (Duvoux 2010 : 391) ».

Les résultats de la recherche de Duvoux lui permettent de classer les différents rapports à l’assistance en trois types. Le premier type est l’« autonomie intériorisée », au sein de cette catégorie, les allocataires de l’aide sociale se considèrent autonomes et appréhendent le RMI

comme une aide ponctuelle. En intériorisant cette norme d’autonomie, ils se prouvent à eux-même et aux autres qu’ils ont suffisamment de ressources pour résister au stigmate de l’assisté. Ainsi, selon ces bénéficiaires, une fois les difficultés passées ils n’auront plus besoin d’avoir recourt à une aide, c’est la raison pour laquelle ils mettent une distance entre le statut d’assisté et leur situation (Duvoux 2010 : 396). Le deuxième type consiste à l’« autonomie contrariée » correspondant au moment où les individus acceptent la norme d’autonomie, mais reconnaissent qu’ils ne peuvent pas la suivre pour le moment. Ils cherchent à justifier leur besoin d’aide sociale tout en gardant comme norme l’autonomie qui guide leur but principal, trouver un emploi. En outre, afin d’attester leur bonne volonté, ils détournent le stigmate contre d’autres individus, qu’ils dénoncent comme étant des « assistés », dans le sens qu’ils ne cherchent pas ou plus à être autonomes, contrairement à eux (Duvoux 2010 : 400). Le dernier type est le « refus de la dépendance » au sein duquel les personnes retournent le stigmate en se basant sur le refus de cette norme d’autonomie proposée par les institutions. Ils critiquent ainsi les contradictions internes du dispositif d’insertion qui ne leur donne pas réellement la possibilité de devenir autonomes. Par conséquent, le stigmate de l’assisté ne devrait pas leur être apposé, puisque le problème ne vient pas de leur situation, mais de l’impossibilité de la société de leur fournir du travail ou les difficultés des institutions pour favoriser leur réinsertion (Duvoux 2010 : 403). Cet article permet de réaliser l’importance de la perception des individus face au travail pour comprendre la signification qu’ils donnent à la situation d’assistance (Duvoux 2010 : 406).

En 2015, est publié l’article de Acklin et Reynaud Les jeunes adultes à l’aide sociale : spécificités

et modes d’intervention à leur égard. Ces auteures se basent sur une recherche menée en Suisse

francophone pour appréhender « la manière dont les services sociaux définissent ce public [les jeunes bénéficiaires de l’aide sociale] et légitiment les interventions à son égard (Acklin & Reynaud 2015 : 77) ». Ainsi, cette article ne s’intéresse pas au vécu des personnes à l’assistance, mais aux représentations que les professionnels des services sociaux se font de ces jeunes assistés de 18 à 25 ans. Suite à l’analyse de leurs données, ces chercheuses constatent que le discours de ces professionnels est marqué par un refus de la stigmatisation envers ce public pour certains et à une stigmatisation pour d’autres. Selon les premiers : « C’est pas parce qu’on est à l’aide sociale qu’on a des problèmes (...) relationnels (...) (Acklin & Reynaud 2015 : 80) ». De plus, ces professionnels insistent sur l’hétérogénéité des situations et cherchent à éviter toute généralisation. Alors que les seconds « soulignent l’ampleur des problématiques qui touchent ces jeunes adultes : "Ce sont les pires situations qui arrivent chez nous (...)" (Acklin & Reynaud 2015 : 81) ». Ce type de discours semble provenir d’une double stigmatisation, celle des représentations négatives liées au statut

d’assisté et celle associée parfois au fait d’être jeune. Par conséquent, la catégorie d’assisté peut influencer la perception statutaire de l’identité sociale de l’individu, cet à priori pouvant entrainer leur disqualification sociale (Acklin & Reynaud 2015 : 81). Afin de résister à cette stigmatisation, ces jeunes bénéficiaires adoptent parfois des attitudes d’opposition et de revendications qui gagneraient à être interprétées comme une manière de garder un espace d’affirmation de soi et non comme un désir de rendre la collaboration difficile avec les guichets sociaux (Acklin & Reynaud 2015 : 81). Maintenant que les recherches concernant ma thématique ont été présentées, je vais exposer le cadre théorique que j’ai sélectionné pour interroger mes données.