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Afin de clôturer ce dossier, je vais commencer par présenter les apports principaux de mon étude concernant la thématique de l’assurance-invalidité. Je vais également confronter ces résultats à mes hypothèses de recherche pour constater si celles-ci sont confirmées ou infirmées par l’analyse de mes données. Ensuite, je vais partager mon avis quant à l’utilisation des approches de Paugam et de Link et Phelan pour l’appréhension de mes données. Et finalement, je vais proposer, à l’attention des institutions politiques, des suggestions de changement concernant l’avenir du système AI, sur le court et sur le long terme. Concernant les apports empiriques principaux de ma recherche, j’ai décidé de sélectionner ceux qui me semblaient les plus pertinents et qui m’ont permis de combler certaines lacunes concernant la compréhension du vécu des bénéficiaires de l’assurance-invalidité en Suisse.

Comme je l’ai abordé en Introduction, j’ai constaté que plusieurs thématiques à propos des rentiers AI n’avaient pas encore été étudiées et ceci malgré le programme de recherche PRN45. Par conséquent, j’ai décidé de m’intéresser au rapport des bénéficiaires AI envers leur statut ; des différentes expériences qu’ils ont vécues et de leur représentations de la réinsertion sur le marché du travail. Ou encore, de la réception, par ces rentiers, des discriminations et des croyances stéréotypées à leur égard et de leur appréhension des autres bénéficiaires AI. Les résultats de mes analyses, présentés dans le chapitre précédant, m’ont permis de répondre à ces lacunes. Le rapport que les rentiers entretiennent avec leur statut est généralement en évolution constante, même si une sorte de honte perdure lorsque ce statut doit être évoqué en public. En outre, j’ai constaté que plusieurs bénéficiaires AI souhaitaient travailler, mais n’en avaient pas la possibilité, car ils ne répondaient pas aux attentes des employeurs ou de l’administration AI. Par ailleurs, les rentiers AI ont entendu des croyances stéréotypées à leur sujet concernant leur manque de motivation à travailler, leur passivité ou un déchargement de leurs responsabilités sur autrui ; parfois, eux-mêmes confirment ces jugements. De surcroît, presque la majorité des personnes interviewées considèrent

leur arrivée à l’AI comme une baisse de statut social. Finalement, selon les recherches dirigées par Gärtner et Flückiger (2006 : 87), le type de handicap dont souffre le rentier AI ne définit que partiellement sa situation existentielle. Les résultats de mon analyse confirment ces données, je n’ai pas constaté, concernant le type de handicap, de variations notoires dans le rapport à l’assistance et au vécu de la stigmatisation des rentiers AI.

Concernant mes hypothèses de recherche ; premièrement, celle basée sur l’approche de Link et Phelan : Plus les bénéficiaires AI expérimentent un processus de stigmatisation à leur égard et plus

ils ont le désir de se réinsérer sur le marché du travail. Il semble qu’elle est confirmée par mes

résultats. En effet, les personnes se sentant les plus dévalorisées par leur statut, sont celles cherchant le plus à se réinsérer professionnellement. J’ai trouvé le développement du concept de stigmatisation, par ces chercheurs, pertinent pour analyser mes données. En effet, leur cadre théorique proposant quatre composants à ce processus procure de la clarté à ce concept. Deuxièmement, quant à l’hypothèse en rapport avec l’approche de Paugam : Les représentations

des bénéficiaires AI évoluent dans le temps, influençant leurs expériences vécues face à leur situation de rentiers. Plus leur rente a été obtenue depuis longtemps et plus leur expérience de l’assistance est revendiquée. Elle est également confirmée par mes données, mais avec quelques

réserves. En réalité, les expériences de l’assistance ne paraissent pas dépendre uniquement de la durée d’obtention de la rente. Par exemple, c’est le cas pour François, qui n’acceptait pas sa situation, même après avoir reçu une rente durant quinze ans. Je fais donc l’hypothèse que le statut social précédant l’obtention de la rente a aussi une influence sur l’expérience de l’assistance. L’exemple inverse existe aussi, avec Mélanie, qui venant du service social a accepté aisément sa rente et qui se situait dans la catégorie théorique de l’expérience de l’assistance installée, alors qu’elle venait d’être acceptée à l’AI. En outre, le statut ne s’avère pas être le seul facteur à prendre en considération concernant l’expérience de l’assistance, la biographie de la personne concernée semble également avoir un impact sur cette situation. Lytta qui, tout comme Mélanie, venait de l’aide sociale, n’accepte pas sa rente AI ; j’émets l’hypothèse que cela est dû à son parcours de vie, durant lequel elle a toujours cherché à éviter d’être considérée comme une handicapée. Ainsi, malgré l’obtention de sa rente depuis plusieurs années, elle reste dans l’expérience de l’assistance

différée. Par conséquent, la carrière morale des assistés est une approche intéressante pour analyser

la situation des personnes à l’AI ; cependant d’autres logiques que le nombre d’années à l’assistance sont à considérer, car elles influencent les représentations des rentiers, telles que le statut social et/ou le parcours de vie.

À propos des institutions politiques, comme je l’ai mentionné au début de ce dossier, des résultats de recherche (Gärtner & Flückiger 2006) démontrent que certains employeurs sont peu enclins à engager des personnes handicapées ; et les expériences au sein des ateliers protégés ne favorisent pas toujours la réinsertion sur le marché du travail. Dès lors, des chercheurs encouragent la création d’emplois soutenus (« supported employment ») comme une alternative prometteuse, afin d’intégrer les personnes handicapées dans la société salariale. Par ailleurs, une étude quantitative de Burns et al. (2007) sur des personnes atteintes de troubles psychologiques ayant expérimentées ces emplois soutenus, a démontré des effets positifs sur la réinsertion de ces individus. Par conséquent, les nouvelles mesures d’accompagnement pour la réinsertion en faveur des rentiers AI, introduites dans la 6ème révision, pourraient se développer dans cette direction, en veillant à ce qu’elles n’aient pas d’effet inverse. En effet, certaines mesures faites en faveur des handicapées ont un caractère ambivalent et au lieu de diminuer le préjudice subi, elles augmentent parfois la marginalité des personnes handicapées (Gärtner & Flückiger 2006 : 88). En outre, une minorité d’entreprises connaissent les mesures de soutien auxquelles elles peuvent avoir recours, si elles engagent des personnes handicapées (Baumgartner, Greiwe & Schwarb 2004). Ainsi, il serait pertinent de continuer les campagnes d’information à ce sujet, afin que les rentiers AI souhaitant se réinsérer sur le marché du travail, puissent en avoir la possibilité.

Par ailleurs, le travail productif est uniquement une des possibilités de réinsertion. Il existe également de nombreux type de travail parallèle. Ces « emplois » pourraient être une manière de répondre au désir des rentiers AI qui souhaitent travailler, mais qui ne trouvent pas un cadre prêt à les accueillir. Le bénévolat, comme on l’a vu dans mon analyse, est un moyen pour certains rentiers de se réinsérer dans le monde social et de se sentir utiles. De plus, à long terme le travail productif salarié va diminuer, sans pour autant que cela soit le cas dans d’autres domaines tels que celui de la santé. Il pourrait être pertinent d’étudier les possibilités de travail parallèle pour les rentiers AI dans ces domaines là. En outre, la hausse des coûts liée aux risques d’invalidité a poussé les institutions de prévoyance à adapter leurs primes de risque en fonction de cette augmentation. Les entreprises sont donc incitées à éviter les cas d’invalidités et cela a pour aboutissement une sélection des risques (Gärtner & Flückiger 2006 : 88). Ainsi, le système de prévoyance professionnelle dans son fonctionnement ne favorise pas l’engagement des personnes ayant une invalidité. Par conséquent, il faudrait modifier ce système, afin que le cadre institutionnel soutienne l’engagement de rentiers AI au sein des entreprises.

Par ailleurs, selon Gärtner et Flückiger (2006 : 87), la situation des personnes handicapées varie fortement, alors que certaines sont intégrées au niveau social et économique, d’autres souffrent de précarité. L’état de santé en soi n’induit pas la discrimination, mais elle provient de la réaction inadéquate de la société. En effet, l’étude menée par Guggisberg, Moser et Spycher (2004), s’intéressant aux disparités cantonales quant au pourcentage de rentiers AI démontre qu’un tiers de ces différences est explicable par l’environnement structurel des offices AI ; à savoir, le taux de chômage, l’urbanisation, la couverture médicale, la pyramide des âges et la capacité financière du canton. Ces résultats attestent l’idée que le nombre de personnes à l’AI ne dépend pas uniquement des individus eux-mêmes et que le contexte a une influence sur l’évolution du pourcentage de rentiers. Par conséquent, pour une baisse des demandes AI, il serait pertinent de continuer à développer des améliorations en ce qui concerne, notamment, l’ampleur de la couverture médicale et la problématique du chômage, en plus de celles pour la réinsertion.