• Aucun résultat trouvé

B. Comment les personnes s’impliquent ?

II. Dimension politique du bénévolat

2. Reconnu mineur, la suite de la galère

Beaucoup de jeunes et de bénévoles expriment un rapide désenchantement suite à la reconnaissance de minorité, pourtant activement recherchée. En effet, bien qu’ils soient reconnus enfants en danger et qu’une mesure de placement à l’Aide Sociale à l’Enfance ait été prononcée par le juge des enfants, les embûches continuent à se dresser sur leur chemin. La principale difficulté est l’absence de prise en charge immédiate dans une structure. Même si la mesure de placement a été ordonnée, l’accueil effectif peut prendre en réalité plusieurs mois avant d’être réalisé. La raison avancée par l’ASE est le manque de places libres dans les

structures. Le réseau bénévole continue donc à être sollicité pour l’hébergement alors même qu’officiellement la responsabilité de la prise en charge a été déléguée à une administration d’État. Les personnes rencontrées déplorent largement cette absence de solution pour les jeunes et ont des difficultés à la comprendre et l’admettre.

B1. «On accueillait tous ceux qui venaient, donc à cette époque là il y en avait 20-25 avec à chaque fois la moitié de ces jeunes-là qui dépendaient du département, soit parce qu’ils étaient en évaluation, donc théoriquement ils auraient dû être mis à l’abri, soit ils étaient déjà reconnus mineurs mais ils n’étaient pas encore pris en charge par l’ASE. »

B3. « J’ai l’impression que depuis l’année dernière c’est un peu pareil, là il y a une centaine de jeunes qui n’ont pas de solution, qui sont dans les parcours, qu’ils soient en évaluation, confirmés ou que ce soient en recours, y’a une centaine de jeunes qui sont dehors… » P4. « Pendant des semaines, voire des mois, le département n’assumait plus son rôle et sa mission prétextant qu’il y avait un manque de places et de structures. »

Des recours en justice ont lieu régulièrement pour exiger le placement effectif des jeunes et rappeler au département ses responsabilités. Depuis le début de l’année 2017, à plusieurs reprises le tribunal administratif de Lille a condamné le département à verser des indemnités d’astreinte par jour de retard du placement des jeunes.

Malgré cette décision, comme les placements tardent à être mis en place, une des familles d’accueil se demande si le département ne s’est pas lancé dans des calculs financiers sordides pour évaluer ce qui coûtait le moins cher : l’accueil en foyer ou la sanction financière. Un réel désaveu de l’administration est perceptible dans la parole des personnes rencontrées.

F5. « Je ne sais pas comment le département va pouvoir faire face à cette décision-là ! Est-ce qu’ils ont ces moyens-là ? Pour permettre l’accueil de ces jeunes ? Et qu’est-ce qui revient le plus cher ? Y’a sûrement quelqu’un qui doit penser sur le plan financier : est ce qu’il vaut mieux les indemniser ou est ce qu’il vaut mieux ouvrir des places ? C’est terrible. »

Dans la continuité du questionnement de cette famille, plusieurs personnes critiquent le traitement différentiel qu’elles remarquent entre les jeunes MNA placés et les autres jeunes placés. En effet, elles énumèrent plusieurs éléments pour soutenir ce constat : l’absence de

mise à l’abri des jeunes tolérée par les pouvoirs publics, le placement en containers de jeunes MNA à cause du manque de places en structures, un accompagnement socio-éducatif supposé inexistant pour les jeunes approchant de la majorité et le manque de formation et d’intérêt de certains référents ASE pour les problématiques de ce nouveau public.

P5. à propos de l’installation dans le parc public des jeunes : « l’installation des tentes, c’était par dépit : il faisait deux degrés dehors et puis voilà… j’aurai jamais cru que ça allait passer l’hiver et encore moins l’année. Pour moi les pouvoirs publics, la mairie, qui que ce soit, allait faire un truc pour l’hiver, ce n’était pas possible de les laisser là ! »

B2. « Y a un espèce no-man’s-land, y a un espèce de sas entre 16 et 18 ans où l’État ne les prend pas en charge ou en tout cas fait tout pour ne pas les prendre en charge, en ne les reconnaissant pas, enfin en mettant des trucs pas possibles, de toute façon dès qu’ils ont 17 ans ou 17 ans et demi, on ne s’en occupe pas, on attend qu’ils aient 18 ans, et à 18 ans qu’est ce qu’ils se passent ? Il y a quelque chose de mal-ficelé, une vraie démission de l’État je trouve ça absolument scandaleux, par rapport aux droits élémentaires ! »

P6. « Des référents ASE qui partent un peu du principe que bah les mineurs isolés sont des mineurs perdus et que bah ils arrivent pas, ils arrivent pas quoi, on va pas chercher après. On va pas chercher après, on a plein de travail, on va pas chercher à faire des ordonnances recherche conduite [ ...] Même si j’ai beaucoup entendu, ils seront jamais autant en danger que de là d’où ils viennent, oui mais c’est pas parce que ils étaient plus en danger y a deux ans, qu’il ne faut pas les protéger aujourd’hui. C’est à un moment donné il faut que le danger il s’arrête et si on met jamais la limite, ça va pas. »

Plusieurs professionnels s’inquiètent de la prise en charge au rabais des jeunes MNA comparé à celle des jeunes Français placés. L’une évoque aussi bien le placement en containers de jeunes à défaut d’une chambre dans un bâtiment que la baisse des prix de journée pour les structures accueillant des MNA. Une autre redoute le placement dans des structures différenciées pour les jeunes MNA et pour les jeunes Français, alors que non seulement elle observe une richesse des échanges et de la vie quotidienne commune entre eux, mais qu’aussi cela signifierait une prise en charge spécifique pour les jeunes étrangers, à l’antipode de la conception universaliste de la protection de l’enfance.

P4. « Ils viennent de passer un marché publique disant que pour les MIE aujourd’hui on va payer, je sais pas 50 ou 53€ par jour, mais ce tarif là n’a pas changé pour les Français ! Pour les Français, c’est toujours 180, à peu près et pour les MIE, par contre c’est 50 balles, moins de 60 ! Donc déjà c’est très discriminant ! Au-delà de la qualité de la prise en charge qu’on peut faire avec 50 balles il y a un principe de discrimination qui est derrière tout ça et qui est un peu gênant. Qu’est-ce qui justifie qu’un Français soit mieux pris en charge qu’un étranger ? Rien. C’est discriminatoire surtout concernant des enfants. »

P4. « Je trouve ça absurde qu’on les ait mis dans des containers à Wormhout, c’est des containers… comme à Calais ! Ça c’est hyper inquiétant… donc là y a des containers à Wormhout gérés par l’A., pour des gamins confiés à l’ASE, c’est sûr que c’est pas les Français qu’on va mettre dans des containers, donc là tu vois la discrimination elle est réelle ! »

P5. « A chaque fois le département, expliquait qu’à terme, il n’y aurait plus de MIE dans les foyers classiques, c’est peut-être la prochaine étape à craindre ! mais pour le moment y a rien qui est sorti, y a rien d’officiel, c’est juste des rumeurs. Ils seraient dans des trucs spécifiques avec des prix de journée moins importants, et moins de places aussi. »

Dans la même veine, une professionnelle s’indigne de l’orientation en Centre d’Accueil et d’Orientation pour majeurs d’un jeune reconnu mineur, contraire à la protection des enfants.

P6. « Ils ont même accueilli des mineurs au CAO, S. il était mineur, alors que c’était pas réglementaire. Là j’étais en colère contre Mme X., parce que, en gros il fallait une place donc elle l’a mis là. L’ASE n’en voulait pas, il était reconnu mineur par EMA, et l’ASE n’en a pas voulu parce qu’il ne s’est pas présenté à l’audience. Donc moi j’avais refait une note au juge des enfants, pour expliquer la situation et que ce n’était pas parce qu’il ne s’était pas présenté à l’audience qu’il n’en était pas moins en danger, puis il avait 16,5 ans, il n’avait pas 18 ans. »

Même lorsque le jeune est reconnu mineur et qu’un placement a été prononcé, le répit espéré et les projets solides tardent à pouvoir se concrétiser. La prise en charge peut en effet mettre plusieurs mois à être effective. Il est de plus possible qu’elle soit de moins bonne qualité que pour des mineurs français : prix de journée revus à la baisse et hébergement dans des containers au lieu de chambres en bâtiment. Les personnes rencontrées critiquent fermement cette différenciation, que certains qualifient de discrimination. La délimitation des

compétences entre le département chargé de la protection de l’enfance et l’État chargé des politiques migratoires freine, selon eux, la possibilité d’une prise en charge sensée des jeunes et donne des prétextes à chaque institution pour ne pas s’engager.