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Avant d’être reconnu mineur : la condition d’étranger prime sur la minorité

B. Comment les personnes s’impliquent ?

II. Dimension politique du bénévolat

1. Avant d’être reconnu mineur : la condition d’étranger prime sur la minorité

comme MNA est abondamment soulignée dans les entretiens. Les bénévoles et professionnels qui connaissent ce public depuis plusieurs années rapportent un allongement important et une complexification des procédures destinées à reconnaître la minorité des jeunes. Ils constatent un changement dans les modalités de premier accueil, non seulement les juges pour enfants délivraient auparavant beaucoup plus rapidement les ordonnances de placement provisoire, mais une importante méfiance s’installe à propos de l’authenticité des documents d’identité présentés. A l’heure actuelle, des expertises documentaires à la Police aux Frontières sont pratiquées automatiquement, voire des demandes de tests osseux en cas de doute.

A partir de 2008, l’Aide Sociale à l’Enfance du Nord avait à l’époque réfléchi en concertation avec les différentes instances étatiques concernées et les associations œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance et dans la défense du droit des étrangers à la procédure de premier accueil des jeunes MNA. Ils ont ensemble élaboré un parcours d’accueil, l’ASE finançant trois foyers d’accueil d’urgence destinés au premier accueil, à l’évaluation sociale des jeunes et à la construction d’un projet socio-éducatif. A l’issue de cette période de quatre mois de premier accueil, le jeune était alors orienté dans un foyer ordinaire de la protection de l’enfance. Ces trois foyers d’urgence spécialisés dans le premier accueil des MNA ont été fermés en 2016, pour faire des économies selon un des bénévoles.

P4. « Je perçois la situation sur Lille dégradée, très dégradée, en 10 ans il y a un désengagement totale de l’A.S.E envers les MIE. Avant, on ne voyait pas de gamins dans la rue, avant le gamin il arrivait, 8 jours après il voyait le juge et en attendant la police l’emmenait au foyer et il était hébergé. »

B4. « A l’époque on n’avait pas trop de problème, le Juge des enfants, on lui envoyait un fax le matin, on avait la réponse le soir, avec un placement provisoire. On est passé d’une journée où il y avait une prise en charge par un des foyers d’accueil d’urgence à… on a vu ça se dégrader petit à petit… après la prise en charge, le juge ne répondait plus dans la journée mais mettait une semaine et puis pour arriver à la situation actuelle… depuis la circulaire Taubira, qui n’est pas respectée, puisque la détermination de la minorité dans les 5 jours + 11 en cas d’urgence est loin d’être le cas, c’est beaucoup plus long… voilà où on en est ! »

Tel que l’exprime le bénévole cité au-dessus, la loi prévoit un accueil provisoire de 5 jours, auxquels peuvent s’ajouter 11 jours en cas de besoin. Les personnes rencontrées rapportent cependant une absence de mise à l’abri des jeunes pendant cette période d’évaluation qui finalement dure bien plus longtemps que ce que la loi prévoit. En 2016, elle aboutissait dans au moins 60 % des cas à un refus de reconnaissance de minorité au niveau national, et le taux de refus montait à 85 % dans certains départements46. Beaucoup de jeunes sont alors amenés à introduire des recours en justice. Les professionnels et les bénévoles rapportent une judiciarisation systématique de la procédure de reconnaissance de minorité. Cela provoque de nombreuses préoccupations chez les jeunes et les maintient dans des situations très précaires, 46 DOINEAU Elisabeth, GODEFROY Jean-Pierre, Rapport d’information n°598 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la prise en charge sociale des mineurs non-accompagnés, Rapport du Sénat, 28 juin 2017, consulté sur

puisque pendant cette période d’entre-deux administratif, ils ne sont pris en charge ni par les structures pour enfants, ni par les structures pour adultes. A plusieurs reprises dans les entretiens, les personnes soupçonnent une lenteur administrative intentionnelle pour le traitement des dossiers afin de retarder le début de la prise en charge d’un jeune et de compliquer sciemment ses démarches de régularisation à la majorité.

P2. « Actuellement les procédures sont extrêmement longues, on bat des records de durée sur les jeunes en recours, on est sur du minimum trois mois. Il y a maintenant obligatoirement une analyse à la PAF des documents, même par le juge et même par la cour d’appel, ce qui n’était pas le cas avant, les juges ne demandaient pas systématiquement une expertise maintenant c’est fait… et ce qui fait que c’est ça qui bloque, ça prend énormément de temps et c’est une impression ou un a priori peut-être que ils ont aussi la commande d’aller plus lentement...ben oui, comme on attend cela obligatoirement, moins on prend en charge les gens et il y a l’enjeu aussi sur les titres de séjour car s’ils sont pris avant leurs 16 ans ou après leurs 16 ans par l’ASE, cela change tout, donc si on peut gagner du temps par rapport à cela, c’est ça de gagné… sauf que c’est d’une débilité profonde mais on n’a pas les mêmes, le même point de vue et c’est encore léger comme terme… »

Bien que les professionnels et bénévoles soient conscients que certains jeunes majeurs essaient de bénéficier de la prise en charge dédiée aux mineurs, ils déplorent et critiquent l’accroissement des attitudes suspicieuses de la part de l’administration, un climat de méfiance généralisée et des mises en doute continuelles du discours du jeune et de l’authenticité de ses documents.

P4. « Les discours, c’est pas du tout des discours de protection de l’enfance ! On fait une chasse à l’homme, on chasse le mensonge, on traque le mensonge mais on n’est pas du tout dans la bienveillance, pas du tout ! C’est même de la maltraitance institutionnelle ! »

Par ailleurs, les personnes rencontrées portent un regard très critique sur les discours des hommes politiques à propos du nombre croissant de personnes étrangères en France et les inquiétudes qu’ils entretiennent dans la population. Elles déconstruisent la notion d’appel d’air et sa manipulation insidieuse, reflet des politiques actuelles de régulation des flux d’immigrés. Selon elles, ce discours, largement véhiculé dans les médias, permet de justifier des politiques migratoires restrictives et de maintenir une préoccupation latente de la population devant les arrivées de personnes étrangères. A contrario de ce discours inquiétant,

elles rappellent les raisons qui peuvent pousser les jeunes à prendre la lourde décision de partir de chez eux et elles démontrent une empathie certaine à leur égard.

B2. « Ce mot appel d’air, il revient tout le temps, alors que moi je ne pense pas qu’il y ait un appel d’air ! Les gens ne quittent pas leur pays parce qu’il y a un appel d’air ! Ils quittent leur pays parce qu’ils ne peuvent plus y rester ou parce qu’ils ont un projet. »

B3. « Si, à un moment, ils se barrent de chez eux, qu’ils traversent tout ce qu’ils traversent pour en arriver là, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond ! Il y a le discours « plus tu les aides, plus ils vont venir » qu’on veut faire croire aussi donc toujours ce truc de l’appel d’air, qu’il ne faut pas trop aider, car sinon tu les fais venir, alors qu’à un moment, les gens ils sont dans la merde. »

P4. «Dans l’opinion publique c’est pas très clair, c’est pas facile pour un gamin de se dire « moi j’abandonne ma famille, j’abandonne tout », le temps d’arriver ici, déjà c’est la merde, quand il arrive ici, c’est encore plus la merde et en plus c’est son point de destination, l’arrivée sur son parcours c’est la seule chose qui a permis qu’il survive intellectuellement pour pas s’effondrer, il arrive ici et puis il est traité comme un moins que rien, même à un chien on donne à bouffer ! »

Les bénévoles rapportent une modification des pratiques judiciaires et institutionnelles qui traduit selon elles une absence de volonté d’accueil des jeunes MNA par l’État : allongement, complexification, judiciarisation des procédures, fermeture des lieux d’accueil spécifiques aux jeunes MNA et diffusion large de la notion d’appel d’air et des inquiétudes afférentes.