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B. Comment les personnes s’impliquent ?

II. Dimension politique du bénévolat

2. Limites et freins du réseau

Les bénévoles et professionnels reconnaissent la portée et les effets de certaines actions défendues par les organisations plus revendicatives. Bien qu’admettant l’impact au final positif de ces actions, certains n’adhèrent pas aux méthodes de luttes employées. Ils craignent aussi une culture de la colère et de la rage des jeunes MNA qui ne soit pas porteuse et bénéfique pour eux.

B1. « Le collectif a été un veilleur, c’est lui qui a suivi les jeunes, qui a suivi en préfecture ce qui se passait après, du coup je pense qu’il y a des choses qui se sont faites qui ne se seraient pas faites s’il n’y avait pas eu ce collectif là… » ; « Avec le collectif des O. se développe une revendication, une colère, voire peut-être une amertume par rapport à ce qu’ils vivent, parce qu’ils se rendent compte que leurs droits ne sont pas respectés. Je trouve que c’est normal qu’on soit en colère en quelque sorte parce qu’on trouve que les droits ne sont pas respectés, par contre, on fait reposer sur des très jeunes quelque chose dont je ne sais pas s’ils ont la capacité pour le gérer. »

B4. « Je trouve qu’ils font un sacré boulot, je trouve ça vraiment très bien et je trouve qu’il faut leur donner un coup de main, mais c’est aussi très difficile parce que… on risque de se mettre à dos les pouvoirs publics qui ont effectivement cette responsabilité là mais on ne peut pas non plus rester passif, donc faut trouver l’équilibre entre les deux … Parce qu’on a des choses à dire qui sont normales ! faut pas le dire sur un ton trop violent, c’est pas possible parce qu’après on aura du mal à travailler avec eux, faut trouver l’équilibre c’est pas évident. »

Sur les actions de lutte (manifestations devant le tribunal, devant la cellule ASE en charge des MNA etc.), les professionnels ont moins de marge de manœuvre, ils restent à distance pour ne pas se mettre en porte à faux ou en difficultés au niveau professionnel. Contrairement aux bénévoles, du moins ceux qui ne travaillent pas dans les services publics contestés (ASE,

justice), les professionnels essaient de préserver des relations correctes avec ces services pour continuer à travailler.

F5. « Quand c’est trop anti-département, je ne suis pas très présente parce que je ne peux pas ! Les manifestations devant le département, je ne pouvais pas ; même si je peux comprendre, je comprends qu’au bout d’un moment les gens râlent. »

P5. « Faut pas que je mélange les genres ! Faut pas que mon côté militant mette en péril les jeunes de mon travail, si à un moment je vais faire une manif et que la référente je la vois le lendemain en rdv, je perds toute crédibilité clairement ! »

B3. « On s’est mis en lien, après tu vois vite les limites parce qu’eux ils ne peuvent pas se mouiller non plus sur des actions, par exemple quand on a squatté la maison cet hiver, eux ils ne pouvaient pas… »

Par ailleurs, un des acteurs, un peu extérieur au réseau d’action envers les jeunes MNA, plutôt actif dans les accueils de personnes ou familles étrangères, conteste la méthode employée pour recruter des familles d’accueil, qui selon lui, vise à les apitoyer sur la situation des jeunes plutôt qu’à avoir une vue d’ensemble sur les difficultés des personnes migrantes en général à leur arrivée en France. Il déplore par ailleurs les stratégies de mise à l’abri développées à très court-terme par le réseau d’églises et le fonctionnement individualiste des groupes paroisses qui prennent soin de la personne migrante accueillie sans envisager d’action collective plus engagée. Il regrette un manque de positionnement politique de l’ensemble du réseau, au sens d’une absence de construction collective et concertée de réponses à des besoins repérés dans la société.

B2. «J’ai participé à plusieurs rencontres et je vais pas dire qu’il y a des moments on a la larme à l’œil mais c’est un petit peu ça, il tire sur la corde sensible et y a des gens que ça émeut les mineurs ; tout le monde s’imagine que c’est son enfant. Mais est ce que c’est juste d’être plus sensible à cette question là qu’à la question plus générale des migrants ou des mamans avec enfants qui sont dans la rue ? »

B2. « Toutes ces petites associations qui travaillent avec des migrants, on a envie de rencontrer notre migrant, et c’est vraiment ça, on va le bichonner, on va bichonner les quelques-uns mais on ne s’inscrit pas dans une action collective qui pourrait avoir un sens.

En gros quand ils ont des choses à demander, ils les demandent mais ce n‘est pas ce que j’appelle un travail d’ensemble. »

B2. « Je regrette que sur cette question de l’accueil des mineurs, on ne fasse que répondre sur de l’urgence et donc solliciter des paroisses ; alors que ce serait intéressant de se regrouper et de se dire, bon ben voilà, les paroisses qui font quelque chose, le Secours Catholique, le responsable de la situation, de dire bah cette situation qu’est ce qu’on en fait quoi ! A mon avis la question elle est politique, au sens noble du terme. »

Quelques personnes rencontrées font aussi état des méfiances existantes vis-à-vis du domaine religieux : un éducateur ne s’est pas mis en lien avec les associations chrétiennes, ayant un a

priori de possible prosélytisme de ces dernières et des groupes chrétiens manifestent aussi des

craintes à accueillir des personnes musulmanes. Ces inquiétudes religieuses sont par ailleurs balayées par d’autres personnes qui se reconnaissent d’abord des valeurs humaines communes.

P3. « S’il y a un truc trop religieux derrière, j’ai toujours une petite inquiétude… »

P4. « Je trouve ça génial que des riverains travaillent avec l’Église, alors qu’ils n’ont pas du tout la même religion ! Les gamins sont la plupart musulmans, je trouve ça beau, personne dans tout le tissu local ne s’est jamais marché dessus, personne ne s’est jamais engueulé depuis des années, je trouve ça beau ! »

Malgré les bienfaits soulignés en premier lieu de la mise en réseau des organisations, les personnes rencontrées évoquent aussi des limites et des désaccords sur les façons de travailler d’une autre organisation ou d’un groupe de personnes : certaines revendications ne sont par exemple pas admises par tous ou ne peuvent pas être défendues publiquement par tous, en particulier pour les professionnels, ou encore l’absence de positionnement politique clair et de réflexion sur le long terme est critiquée. Cependant, trois organisations ont développé des initiatives de mise à l’abri et ont mutualisé leurs pratiques à ce sujet.