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5.1.2 « Plus on est formé, plus on se forme »

5.3 La reconnaissance des acquis

Les travailleurs migrants se trouvent donc souvent dans une situation où leur diplôme, obtenu à l’étranger, n’est pas reconnu en Suisse. De plus, leur expérience professionnelle et donc les compétences acquises au cours de leur vie professionnelle (pré- et post-migratoire) ne sont le plus souvent pas reconnues non plus, sur le plan du statut et sur le plan du salaire par exemple.

Nous avons rencontré un certain nombre de cas dans lesquels l’employeur reconnaît ces compétences de manière informelle puisqu’il offre aux collaborateurs non qualifiés mais travaillant dans l’entreprise depuis de nombreuses années, le même salaire que s’ils possédaient un diplôme. Cette

reconnaissance n’est cependant pas officialisée, ce qui signifie pour ces employés qu’elle n’a plus aucune valeur en dehors du cadre de l’entreprise pour laquelle il travaille. Cela entraîne non seulement une grande dépendance envers l’employeur actuel (puisqu’un changement de poste impliquerait la perte de cette reconnaissance informelle), mais également un moindre accès à une série d’avantages, notamment au niveau des possibilités de formation continue (qui exigent très souvent un CFC) ou, dans la plupart des cas, des promotions.

Autrement dit, « pour être mobile professionnellement, il est nécessaire que l’expérience de travail soit reconnue. Dans ce domaine, le niveau de formation initial est souvent déterminant pour faciliter cette reconnaissance. Pour les non qualifiés, l’expérience est trop liée à l’entreprise ou insuffisamment formalisée pour être valorisée ailleurs » (Boulianne 1999:24).

Une reconnaissance officielle des acquis est, par conséquent, indispensable pour qu'un parcours professionnel puisse s’ouvrir sur un certain nombre de choix : elle peut passer par différents chemins, dont les principaux font l’objet de cette partie.

5.3.1 L’article 41

L’article 41, alinéa 1, de la Loi fédérale sur la formation professionnelle, prévoit que « les personnes majeures n’ayant pas appris la profession selon la présente loi sont admises à l’examen de fin d’apprentissage à condition qu’elles l’aient exercée pendant une période au moins une fois et demie supérieure à celle prescrite pour l’apprentissage. Elles doivent en outre prouver avoir suivi l’enseignement professionnel ou acquis les connaissances professionnelles d’une autre manière. »

Cette possibilité, qui n’est pas une formation en soi, mais sanctionne plutôt des connaissances ou une formation (par un Certificat fédéral de capacité), est apparue dans nos discussions comme une mesure centrale permettant la reconnaissance des acquis, c’est pourquoi elle fait l’objet d’un chapitre de ce rapport. Il ne nous est cependant pas possible d’entrer dans les détails de cet article de loi et de sa mise en œuvre et nous n’en aborderons ici que certains éléments, ceux qui nous paraissent les plus importants en relation avec notre thématique. De plus, ce domaine est actuellement en chantier puisque l’article 41 n’existera plus tel quel dans la nouvelle loi sur la formation professionnelle qui entrera en vigueur en 2004. Il a en effet été constaté que la direction qui a été prise avec cet article était la bonne, mais que le système mis en place n’était pas suffisant : s’il est prévu qu’il soit abandonné, ce n’est donc pas à cause de

son inefficacité, mais bien pour qu’il soit remplacé par un système plus complet et plus adéquat de validation de l’expérience professionnelle de chacun, migrants y compris.

Ce chapitre est donc fondé sur un certain nombre d’informations sur cet article et sur la loi qui le remplacera prochainement, mais n’est pas le fruit d’une enquête approfondie et exhaustive de ce champ. Il se construit, par conséquent, en grande partie sur les données issues de nos discussions et ne peut donc prétendre à une représentativité globale.

De manière générale, il est possible de dire que l’article 41 fait l’objet de différences d’application très grandes selon les contextes, et surtout entre les différents cantons. Dans le focus group des cadres alémaniques du secteur mixte, il apparaît comme étant une possibilité rarement utilisée et très peu encouragée par des mesures spécifiques, alors que, nous le verrons plus loin, d’autres cantons ont mis en place certaines mesures spécifiques propres à faciliter l’accès à cette possibilité au plus grand nombre de personnes. Ce qui nous importe par conséquent ici est moins l’article 41 en soi que les mesures à même d’en promouvoir l’accès.

Certaines mesures, dont nous avons déjà parlé, concernent également l’accès à l’article 41, par exemple l’encouragement par les employeurs, la libération au niveau du temps de travail, la participation financière. Ces mesures sont, encore une fois, plus aisément applicables dans les grandes entreprises, tel ce grand hôpital romand :

L’entreprise favorise les gens qui veulent se former par le biais de l’article 41. Ils ont des jours pour étudier, on leur donne congé pour les examens.

Nous avons vu que la marge de manœuvre laissée aux autorités cantonales dans la mise en place de mesures destinées à favoriser l’article 41 était importante. Deux expériences valent la peine d’être mentionnées ici, qui montrent l’importance du rôle des pouvoirs publics : dans les deux cas, en effet, c’est l’acteur étatique cantonal qui prend la responsabilité de mettre en commun toutes les forces nécessaires en créant un réseau des différents partenaires ayant un rôle à jouer dans cette question.

Au Tessin, une « offensiva del perfezionamento professionale » a été mise en place au début des années 90 par le Département de la formation professionnelle afin de pallier le manque de personnel qualifié qui se faisait sentir à ce moment, notamment sur les grands chantiers. Un centre de formation

pour maçons a été créé, qui a permis à un très grand nombre de personnes d’obtenir un CFC par le biais de l’article 41. Cette expérience est relatée par un représentant du département en question :

Au début, il s’agissait de dix ou quinze personnes formées mais maintenant, après une dizaine d’années, on est arrivé à environ 500 maçons formés selon le contrat collectif du secteur qui prévoit une formation intermédiaire, qualifiée A, et une formation finale, selon l’article 41, définie B. (…) Ces initiatives ont un grand potentiel. En effet, si on analyse les données récemment publiées par la « paritetica » (Commission paritaire) du bâtiment, il y a des centaines de personnes qui pourraient être mieux intégrées par le biais de la formation professionnelle (dans le gros oeuvre, il y a 648 personnes sans expérience et 3150 maçons avec une partielle expérience mais sans formation).

La deuxième initiative est genevoise : il s’agit de la mise en place par l’Office d’orientation et de formation professionnelle d’un Centre de compétence et de coordination en matière d’Article 41, appelé

« Qualification’41 ». L’avantage d’un tel centre réside certes dans le suivi individualisé qu’il offre aux candidats à un tel parcours, mais surtout dans la gratuité de ce suivi, du bilan de compétences proposé et des cours donnés dans les écoles ou centres de formation. Dans le cadre genevois, ce centre travaille en étroite collaboration avec les partenaires suivants : les écoles professionnelles, les institutions de formation pour adultes, l’Office cantonal de l’emploi et le Service du Revenu minimum cantonal d’aide sociale (RMCAS).45

5.3.2 Un système national de validation des acquis

Comme cela a été mentionné, il est prévu que la nouvelle loi sur la formation professionnelle entre en vigueur en 2004. Celle-ci devrait correspondre aux évolutions récentes de la société et de l’économie et viser la flexibilité de l’aménagement des conditions de formation. Encore une fois, cette nouvelle loi et les différents changements qu’elle implique ne peuvent être approfondis ici et nous n’en retiendrons que quelques éléments centraux dans le cadre de notre problématique.

Mentionnons encore que cette mesure (car nous considérons ici ce système de validation des acquis comme une mesure) n’a pratiquement pas été abordée

45 Brochure « Qualification’41 : de nouvelles perspectives pour les adultes sans diplôme » publiée par l’Office d’orientation et de formation professionnelle du Canton de Genève.

dans le cadre de nos focus groups ; c’est d’ailleurs également le cas des différents systèmes de validation des acquis déjà mis en place et qui sont abordés plus loin. S’il ne nous paraît pas envisageable de laisser cette thématique de côté (elle est centrale dans la question de l’intégration des travailleurs migrants), il ne nous semble pas non plus opportun (ni possible) de nous y arrêter plus lontemps.

De manière concrète pour notre problématique, cette nouvelle loi prévoit, entre autres nouveautés, un article sur la prise en compte et la reconnaissance des acquis46. Il s’agit là d’une réponse à la constatation faite que les parcours de formation linéaires sont de moins en moins une norme, que ce soit pour les personnes d'origine suisse ou migrante. De fait, « un système de formation professionnelle axé sur l’acquisition de qualifications permet de découpler les voies de formation de leurs attestations finales. Autrement dit, c’est un système qui admet divers chemins pour un même but » (Barmettler 2001:7).

Un des buts principaux concerne la mise en réseau de différents partenaires actifs dans la formation professionnelle (entreprises, associations professionnelles, organismes de formation, cantons, Confédération, etc.) et une prise en compte individualisée de chaque situation.

En attendant cette nouvelle loi, différents systèmes sont mis en place et soutenus par la Confédération, dont le principal est le système VALIDA qui définit comme suit la validation des acquis : « la validation des acquis est un acte officiel qui atteste que les acquis non formels sont conformes aux exigences liées à des certifications (CFC ou autre diplôme). La validation des acquis non formels est sous la responsabilité des instances qui délivrent les diplômes (Confédération, cantons, associations professionnelles). Elle aboutit à l’obtention de tout ou partie du diplôme » (Stocco 2002:3).

Diverses expériences concrètes sont déjà tentées en Suisse dans ce domaine.

Plutôt que de décrire chacune de ces expériences de manière détaillée ici, nous préférons nous arrêter sur les éléments principaux qui font de ce type de mesure un excellent instrument d’intégration sociale sur le lieu de travail pour les migrants dont la formation n’est pas reconnue, ou dont les compétences ne sont pas validées par une reconnaissance officielle.

46 Il s’agit de l’article 4, cf. Révision de l’ordonnance sur la formation professionnelle.

Rapport explicatif en vue de la procédure de consultation. Berne : avril 2003.

Plusieurs étapes composent cette procédure (voir entre autres Ruedin 2000;

Winkler 2003), dont les principales sont :

- Un bilan de compétences : il prend généralement la forme d’un

« portfolio » (aussi appelé portefeuille de compétences) et correspond au collationnement des divers documents attestant des activités de la personne, et donc à un inventaire organisé des compétences acquises jusque là.

- L’apport des preuves de l’existence de ces compétences par le candidat (par exemple par le biais d’attestations d’employeurs) et/ou une évaluation par des professionnels (service de l’emploi, service de la formation, association professionnelle, etc.) : elle permet de confirmer que les compétences décrites dans le portfolio correspondent à la réalité.

- La validation par une commission est l’acte officiel par lequel il est prouvé que les conditions pour avoir un diplôme officiel sont bien remplies et que les compétences nécessaires existent réellement.

Les méthodes servant à évaluer et à tester les compétences non formelles sont diverses. On trouve par exemple, en plus du portfolio, l’observation directe sur le lieu de travail qui peut être accompagnée de questions orales servant à tester les connaissances. Les études de cas ou les jeux de rôles sont d’autres méthodes possibles (Stocco 2002).

Une mesure intéressante (envisagée par le Canton de Genève par exemple) consiste à mettre sur pied des procédures de validation des acquis dans la langue maternelle du candidat (Ruedin 2000), ce qui faciliterait la démarche pour les personnes ne maîtrisant pas parfaitement la langue locale et pour qui cette difficulté supplémentaire pourrait ainsi être levée.

5.3.3 La reconnaissance de compétences spécifiques non-sanctionnées par un diplôme

Au-delà des compétences purement techniques et professionnelles, d’autres types de compétences sont souvent minimisés, alors que s’ils étaient mis en valeur, ils pourraient constituer un atout certain pour l’entreprise.

Berset et al. (2000) répertorient quatre types de compétences spécifiques non sanctionnées par un diplôme qui peuvent être valorisées dans le cadre professionnel: la mobilité, l’expérience, les langues et la culture. Ces

compétences, telles qu’elles sont appréhendées par les auteurs, sont surtout valorisées quand il s’agit de travailleurs (hautement) qualifiés. Il nous semble cependant que cette perspective revêt un certain intérêt dans le cadre de notre recherche, du moins pour certains de ces types de compétences.

Nous ne développerons pas ce thème, qui est en grande partie traité dans le chapitre sur la communication, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des ressources de la langue et des compétences transculturelles des collaborateurs migrants par l’entreprise. La partie traitant de la gestion de la diversité aborde également cette question.

La mobilité et l’expérience concernent quant à elles des compétences liées à une certaine flexibilité ou à une motivation vis-à-vis de l’innovation : ce qui peut être considéré comme une bonne capacité d’adaptation est clairement une ressource dont sont souvent pourvus les travailleurs migrants, mais qui semble relativement peu reconnue en tant que telle. Le thème n’a, par ailleurs, pas été directement abordé dans les discussions qui ont eu lieu.

5.4 Conclusion : la nécessité d’une collaboration étroite