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5.1.2 « Plus on est formé, plus on se forme »

6. Discrimination : l’émergence d’une problématique

6.1 Le concept de discrimination

La discrimination est un traitement inégal fondé sur un critère illégitime ; ce traitement s'appuye sur l’appartenance à une catégorie sans qu’il soit tenu compte des caractéristiques individuelles (Levy 1998). Le qualificatif de

« racial »47 qui accompagne souvent la notion de discrimination renvoie à cette nature « ascriptive » des critères de différenciation. Il s’agit d’une action représentant un « désavantage » pour une personne ou un groupe de personnes en raison de critères non pertinents dans la poursuite de l’objectif sous-jacent à l’interaction, frappés du sceau de l’illégitimité, donc moralement et socialement non acceptables.

L’on distingue habituellement racisme-préjugé, racisme-idéologie et racisme-comportement (Wieviorka 1998) . La première forme élémentaire du racisme est le préjugé : la représentation de l’Autre valorise le groupe d’appartenance au détriment de l’exogroupe, amplifiant les différences et aboutissant à des stéréotypes susceptibles de nourrir ou de justifier des attitudes discriminatoires. La deuxième forme, celle de l’idéologie raciste est l’attribution déterministe de signification sociale à la différence phénotypique et/ou génétique ainsi que de caractéristiques négatives réelles ou supposées à un groupe particulier.

C’est la troisième forme qui intéresse notre propos : le racisme-comportement peut se concrétiser en ségrégation, violence et discrimination. La ségrégation correspond à une logique de différenciation ; la violence peut prendre une forme physique ou symbolique, lorsqu’elle touche à l’intégrité morale de la personne visée. La discrimination quant à elle correspond à une logique de hiérarchisation : elle vise non pas à exclure, mais à traiter différemment.

La qualité discriminatoire d’un acte ne tient pas nécessairement à son intentionnalité, mais bien plus aux effets qu’il produit ; dès lors, la notion de discrimination a été élargie pour comprendre tous les actes de traitement inégal fondés directement (dans les intentions) ou indirectement (dans les effets) sur certaines caractéristiques des individus ou de groupes d’individus (discrimination directe versus indirecte).

47 Dépourvu de tout fondement scientifique, le concept de « race » continue d’être utilisé dans le sens d’un fait relevant d’une perception et non pas d’un fait scientifiquement défini.

Ce terme souligne le caractère ascriptif des attributs sur lesquels se fondent les comportements de traitement différentiel, attributs qui sont de nature biologique (par exemple la couleur de la peau) ou de nature sociale (par exemple l’appartenance culturelle, linguistique ou historique).

Une pratique discriminatoire est le fait d’acteurs se situant en position de plus ou moins grand pouvoir par rapport aux membres d’un groupe particulier.

Bien souvent elle découle de décisions prises par des particuliers dans l’exercice de leurs activités professionnelles ou sociales quotidiennes. Elle peut également provenir d’instances publiques, dont les individus attendent pourtant un respect sans faille des normes d’égalité de traitement qui caractérisent l’Etat de droit.

Elle est dans ce cas encore plus choquante et porte davantage atteinte à la coexistence pacifique des groupes dans la société. A ce propos, il convient de faire la différence entre une discrimination inscrite dans le cadre juridique de l’Etat et un traitement défavorable qui ne peut se prévaloir d’une telle base légale (de jure versus de facto), susceptible de le légitimer.

Dans ce texte, nous allons retenir un concept assez large de discrimination, c’est-à-dire d’un traitement défavorable exercé tant par une personne en position d’autorité que par des personnes en position semblable à celle de l’immigré48. De plus, nous l’avons vu, un élément constitutif de la discrimination est l’illégitimité du traitement défavorable : comment apprécier cet élément ? Il est théoriquement possible de l’examiner en droit ou dans le mérite de la situation : cela s’avère manifestement impossible dans le cadre de la présente étude. Dès lors nous ne pouvons que nous fier ici à la perception des personnes directement concernées : elles ont relaté dans les focus groups des comportements qu’elles ressentent comme étant injustes à leurs dépens. Il est donc possible que tous les épisodes référés par les personnes concernées ne soient pas nécessairement des traitements injustifiés, mais le sentiment d’injustice ou d’humiliation dont nos interlocuteurs font état appelle, en tous les cas, une réflexion approfondie de la part de tous les acteurs sur les dynamiques en place.

L’approche directe au niveau des victimes que nous avons utilisée constitue une des manières possibles d’étudier la discrimination. Il convient de la confronter aux autres méthodes visant à cerner le phénomène, afin d’en apprécier les avantages et les inconvénients. Il y a quatre manières différentes d’approcher la discrimination : la méthode indirecte, la méthode directe au niveau de l’opinion publique ou des employeurs, la méthode directe au niveau

48 Notons que dans les pays qui connaissent une législation anti-discriminations, on parle de discrimination lorsque un groupe est surreprésenté dans des positions défavorisées et sous-représenté dans des positions favorisées.

des victimes et finalement la méthode des pratiques effectives de discrimination (Piguet 2000).

La méthode indirecte vise à tester simultanément les deux hypothèses de l’effet du niveau de la qualification et de l’effet de la discrimination. Elle est employée pour l’analyse des disparités salariales (c’est justement l’approche de la contribution de Dina Pomeranz dans notre étude) ou encore pour les probabilités de chômage.

La méthode directe au niveau de l’opinion publique49 permet d’estimer la propension à la discrimination au sein de la population ou des employeurs potentiels. Cette méthode est généralement utilisée pour approcher la question de la discrimination à l’embauche ; elle apparaît de ce fait moins pertinente pour notre propos. Signalons néanmoins les toutes récentes données de l’étude Univox Kultur 2002 qui permettent de saisir le climat général dans le pays à l’égard des immigrés (Raymann 2003).

Une question de cette étude porte sur l’enracinement de la logique de la préférence nationale auprès de l’ensemble de la population. Or, une majorité de Suisses adhèrent à cette idée : 33% y souscrivent entièrement et 27% se déclarent partiellement d’accord avec le principe selon lequel, à qualification égale, le candidat suisse devrait être privilégié dans l’accès à un emploi. Il n’y a que 12% des personnes interrogées pour se montrer en profond désaccord avec cette idée (Raymann 2003). De plus, l’étude comporte une série d’appréciations exprimées par les Suisses à l’égard des plus importants groupes immigrés, que nous reproduisons ici sous forme tabellaire (Tableau 13); afin de donner un aperçu de l’éventail des positions, nous avons inséré, à côté des groupes d’immigration plus récente, les Italiens, qui constituent le groupe immigré le plus positivement considéré en Suisse.

La méthode qui passe par l’étude des pratiques effectives (practice testing) est également utilisée pour cerner les difficultés d’accès à l’emploi. Elle est actuellement utilisée dans une étude qui mesure l’ampleur des barrières à

49 Cette méthode peut également concerner les seuls employeurs : à notre connaissance elle n’a été employée en Suisse que dans l’étude sur l'insertion des réfugiés sur le marché du travail qui a comporté une série d'entretiens avec des chefs du personnel d'entreprises employant des requérants d'asile (Froidevaux 1997; Wimmer und Piguet 1998).

l’embauche pour les jeunes issus de la migration de diverses nationalités (Fibbi, et al. (2003)).

Tableau 13: Opinions à l’égard des étrangers en Suisse (en %) Pas à sa place (en

Suisse)

Parfois source de préoccupation

Pas de problème Un enrichissement

« Albanie » 34 41 13 2

Serbie 25 47 17 2 Bosnie 25 46 17 2

Turquie 15 46 25 6

Portugal 1 7 61 21

Italie 0 3 58 34 Source : Univox 200250

Les focus groups que nous avons menés nous ont permis de recueillir les opinions et les faits tels que rapportés essentiellement par les personnes qui s’estiment la cible d’un traitement défavorable ou d’attitudes négatives à leur égard : c’est donc la méthode directe au niveau des victimes. Cette approche présente la faiblesse de se baser sur des affirmations largement déterminées par la manière subjective dont la victime a ressenti le phénomène de la discrimination. Il est à noter que là où les résultats de ces études ont été confrontés à des données objectives, on a pu constater que les approches de victimisation tendaient à sous-estimer l’ampleur du phénomène.

Si cette méthode n’est pas des plus fiables en ce qui concerne l’estimation de l’ampleur du phénomène de discrimination, elle est, par contre, fort utile pour cerner les multiples formes que prend le traitement inégal dans la vie quotidienne (Eckmann, et al. 2001) et plus spécifiquement au travail.

Avant de donner la parole aux cadres et aux collaborateurs que nous avons interrogés dans nos focus groups, il est utile de rappeler que le thème de la discrimination était abordé en creux par rapport à celui de l’intégration.

50 Dans l’étude en question sont regroupés sous le label « Albanie » tous les albanophones, qu’ils viennent du Kosovo (comme c’est le cas pour la majorité d’entre eux), de Macédoine ou d’Albanie même.

Autrement dit, en cernant les bonnes pratiques existantes et potentielles, nos interlocuteurs dévoilent leurs difficultés et leur amertume. Il convient de souligner que le terme discrimination n’a pas été fréquent dans le récit des employés qui décrivent leurs difficultés davantage comme des griefs et ne les articulent pas comme des problèmes et des revendications. Cela tient en partie à la composition des groupes de discussion qui réunissaient le plus souvent des travailleurs de base.

6.2 Les lignes de tensions dans l’entreprise : cadres et