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IV. DISCUSSION GENERALE

IV.3 Recommandations et travaux à venir

successivement le statut face à l’emploi des parents (travailleur, au foyer, au chômage, sans activité professionnelle, au RMI, RMA etc., invalide, etc.), puis leur profession, le questionnement s’appuyant là toujours sur les catégories agrégées des groupes socioprofessionnels de l’Insee (INSEE, 2009) ; puis par l’introduction d’un instrument mesurant le statut socioéconomique subjectif des répondants, âgés de 17 ans, fondé sur les articles de Goodman (Goodman et al., 2001; Goodman et al., 2007) dont l’intérêt a été rappelé plus haut. Cette voie ne se substitue pas à la précédente qui offre une mesure objective du statut socioéconomique mais la complète. De la même façon, la confiance en soi et la projection dans l’avenir (notamment le désir d’entreprendre des études supérieures) ont été inclus dans le questionnaire de l’enquête parisienne et sont susceptibles de perdurer dans les enquêtes futures.

Si nous avons mis en évidence des effets contrastés du milieu social ou de l’éducation sur les usages de drogues et notamment les écarts de consommations entre les sexes, nos interprétations restent encore assez sommaires, faute notamment d’intégrer certaines caractéristiques individuelles, collectives et de contexte. Parmi les variables individuelles que nous n’avons pas considérées, on peut citer les motivations d’usage. Celles-ci sont difficiles à recueillir, notamment dans la reconstitution des trajectoires de consommation, mais des éléments figurent déjà dans le questionnaire Escapad 2008, où une dizaine de motifs possibles de consommer ou de ne pas consommer actuellement alcool, tabac et cannabis sont proposés aux participants (voire l’annexe 2).

Parmi les adultes, le questionnaire 2010 du Baromètre santé a introduit quelques questions d’une part sur la culture professionnelle de consommation d’alcool (pots, consommation le midi, dans des bars après le travail avec des collègues, etc.), d’autre part sur les variations de la consommation d’alcool au cours des années passées (5 ans et 1 an) et l’évolution des conditions de travail sur la même période, qui pourront se révéler utiles. Parmi les adolescents, le questionnaire de l’enquête Escapad Paris 2010 a intégré de nombreuses questions relatives à la perception des consommations d’alcool,

propositions concernant les différences d’image et de légitimité des filles et des garçons engagés dans ces comportements de consommations.

Nous n’avons également traité qu’un aspect des inégalités sociales de santé, celle concernant les comportements de consommation de produits psychoactifs et liées au milieu social décrit uniquement par des indicateurs individuels relatifs au capital économique et scolaire. D’autres éléments pourraient être inclus, qui sont largement connus pour retentir sur la santé, y compris les comportements de santé. Les conditions de logement (qualité de la construction, pollution atmosphérique, chimique, sonore, mais aussi densité d’occupation, etc.) pourraient aisément aussi être mobilisées.

Nous n’avons pas, dans nos travaux actuels, tâché de mettre en évidence le caractère universel, continu et relatif du gradient social mis en évidence par Charlton (Charlton et White, 1995) ni tenu compte de la structure des inégalités économiques comme facteur d’inégalités sociales de santé Wilkinson (Wilkinson, 1992; Wilkinson, 1997b; Wilkinson, 1997a). Une voie possible pour tester ces hypothèses serait d’abord de considérer des analyses stratifiées par milieu social, au sein duquel on peut tenter de mettre en évidence l’effet marginal d’un surplus de revenu. Cela est possible au sein du Baromètre santé, mais également d’Escapad. Dans le cas du Baromètre Santé, on peut envisager des analyses stratifiées par groupe socioprofessionnel et mesurer l’influence du diplôme ou du revenu, par exemple. Dans Escapad, il serait possible de mobiliser les revenus d’activité, les dons et l’argent de poche déclarés par les adolescents qui ont été collectés en 2008. Pour ce qui est plus généralement de l’influence de la structure des inégalités sur les usages de drogues, le recours à des analyses multi-niveaux à l’échelon départemental ou régional pourrait permettre d’offrir une première approche dans le cadre français. Mais les analyses comparatives internationales opérées dans le cadre de l’enquête ESPAD offrent également des possibilités séduisantes au niveau européen.

Il est difficile et coûteux (et parfois biaisé) de mener des études longitudinales prospectives en population adulte sur une période suffisamment longue qu’elle permette des résultats dignes

d’intérêt. A minima, des questionnaires rétrospectifs pourraient être intégrés dans les études existantes, comme celles menées par l’Inpes, le Baromètre santé au premier chef. L’exemple du tabac (âge à la première cigarette, à la transition vers l’usage quotidien, à l’arrêt définitif du tabagisme) a été facilement étendu au cas du cannabis. Le cas de l’alcool semble plus complexe à traiter dans la mesure où davantage de paramètres de consommation (fréquence mais aussi quantité, binge drinking et ivresse) devraient être considérés simultanément. Toutefois, il semble possible de développer un questionnement rétrospectif de qualité dans le cas de l’alcool, à l’instar de ce qui a été proposé et validé dans une enquête auprès de vétérans du Vietnam aux Etats-Unis (Koenig, Jacob et Haber, 2009). L’expérience de l’Ined dans la conduite de questionnaires biographiques (Lelièvre et Vivier, 2001; Vivier, 2006; Vivier, Issenhuth et Frechon, 2010) pourrait se révéler très utile à cet égard pour mettre en place de tels questionnaires69. Dans l’édition parisienne de l’enquête Escapad 2010 et dans son édition nationale 2011, les dates de divorce ou de décès des parents ont été recueillies, et dans l’édition nationale 2011, la datation d’un éventuel épisode de conflit avec les parents a été demandée. Enfin, relativement aux trajectoires de consommation de drogues, des questions rétrospectives ont été maintenues pour le tabac et le cannabis, et une autre a été ajoutée pour l’alcool (à propos de l’entrée dans un usage régulier, sachant que cette datation peut être assez difficile ou peu précise), qui jusqu’à présent ne pouvait faire l’objet d’aucune analyse de ce genre.

Ces éléments supplémentaires complémenteront également le parcours biographique des répondants et pourraient permettre de mieux comprendre les différentes étapes de progressions vers des usages intensifs de produits psychoactifs.

Le recours à des approches longitudinales prospectives ou rétrospectives permet en effet de répondre à certaines questions pertinentes et mal documentées sur la rapidité des transitions entre deux états (expérimentation et passage à l’usage quotidien d’alcool par exemple). Mais d’une autre manière, nous avons montré que la multiplication des indicateurs permet aussi de réduire les

contradictions entre études qui ne reposent pas sur les mêmes indicateurs et de mieux cerner les liens variables entre milieu social et intensité de consommation de produits psychoactifs. Toutefois, la volonté de reconstruction des trajectoires de consommation s’expose au risque d’interprétation de celles-ci en termes strictement épidémiologiques au détriment de la considération de la dimension proprement individuelle. Mettre en évidence un schéma univoque soulignant le poids de facteurs de risques dans une transition vers des usages intensifs pourrait en effet occulter la dimension proprement volontaire que comporte nécessairement la décision de consommer ou de ne pas consommer à chaque occasion qui se présente. Les diminutions et les cessations temporaires ou définitives de consommation doivent pour cela être décrites. Ce qui n’est pas le cas dans la plupart des analyses auxquelles nous avons participé (Mayet, Legleye, Chau et al., 2010; Legleye, Janssen, Beck et al., 2011a; Mayet, Legleye, Falissard et al., 2011), à l’exception notable de l’abandon du tabagisme (Legleye et al., 2011b). L’apport des modèles de Markov est à cet égard prometteur (Mayet et al., 2011). Ainsi, les enquêtes devraient également intégrer les dates des arrêts de consommations, qui sont trop peu considérées actuellement, l’attention étant focalisée sur les usages à propos desquels de nouvelles connaissances sont attendues qui sont censées améliorer leurs prises en charge et la prévention.

Signalons à cet égard la mise en place d’un panel représentatif de la population française au cours de l’année 201170, au sein duquel les individus seront suivis plusieurs années et interrogés huit fois par an, autorise des perspectives intéressantes à ce propos : opportunités de suivi effectif des consommations de tabac, d’alcool et de cannabis de sous-groupes de populations d’âges différents, mais également opportunités de tests de questionnaires rétrospectifs d’usages de produits psychoactifs.

Pour ce qui est des analyses, notre état des lieux souligne la quasi absence de prise en compte du milieu de vie sur les consommations de produits psychoactifs. Les recherches futures pourraient

70 Il s’agit d’un équipement d’excellence financé par l’Agence nationale pour la recherche, et coordonné par Sciences Po. Le Service des enquêtes et des sondages de l’Ined a en charge sa gestion statistique, méthodologique et logistique.

ainsi proposer une modélisation de l’usage d’alcool et de tabac des individus en prenant en compte leurs caractéristiques individuelles (âge, situation professionnelle et diplôme, statut matrimonial) mais aussi les caractéristiques de leur département de résidence (économiques telles le taux de chômage, mais PIB etc. grâce aux données de l’Insee mais aussi liées à la consommation d’alcool et de tabac : accidents de la route, vente de cigarette etc. disponibles sur le site Internet de l’OFDT).

L’analyse peut d’ailleurs s’effectuer par sexe, afin de tester l’hypothèse selon laquelle les usages des hommes et des femmes dépendent diversement de l’environnement. Les analyses multiniveaux en France sont en effet très réduites en nombre (Chaix et Chauvin, 2003; Chaix et al., 2004) et n’ont pas abordé la question du genre de façon centrale. Pourtant il existe d’importantes variations régionales des usages de drogues en France, qu’il semble pertinent de prendre en compte pour comprendre les usages individuels (Beck et al., 2008c). Comme en milieu adulte, les analyses régionales et départementales opérées sur les données à l’adolescence révèlent en effet d’importants écarts qui ont certainement une influence sur les usages individuels (Legleye, Spilka et Le Nézet, 2008e)71.

En termes de prévention, les enseignements de nos travaux ne renouvellent pas les approches ni les conclusions déjà connues. Néanmoins nous avons étendu les recherches à des populations ou des facteurs de risque souvent mal considérés et détaillé les descriptions d’un certain nombre de phénomènes, notamment ce qui ressort de l’âge et du sexe. En ce sens précis, nous avons permis de mieux comprendre les liens entre position sociale et comportements de santé. Pour l’action, la conclusion générale reste de concentrer les moyens sur les milieux sociaux modestes ou défavorisés, les travailleurs en situation précaire et de distinguer âge et sexe dans les stratégies de prévention.

Ensuite de continuer à préciser les déterminants de la susceptibilité de consommer des produits psychoactifs pour maximiser l’efficacité des mesures de préventions. En effet, le milieu modeste se révèle très hétérogène à l’adolescence puisque rassemblant des jeunes qui n’expérimentent pas et des

jeunes qui progressent très vite vers des usages intensifs. Les recherches devraient donc s’attacher à décrire au mieux les groupes d’usagers potentiels pour en prévenir les entrées dans les consommations. Ce qui passera par l’amélioration des connaissances sur les mécanismes freinant les transitions vers des usages intensifs qui semblent à l’œuvre au sein des milieux favorisés.

Cibler les populations à risque pour concentrer les moyens de prévention est une bonne initiative. Mais il est probable que la nature des discours et des dispositifs à mettre en place doive être adaptées aux différents types de publics. En effet, les arguments des fumeurs, des buveurs ou des consommateurs de cannabis pourraient ne pas être les mêmes parmi les personnes ayant effectué un grand nombre d’années d’études et parmi celles qui n’ont qu’un minimum de scolarité. Comme nous l’avons évoqué, la prévention universelle a montré ses limites et peut même concourir à creuser les inégalités sociales en ce qui concerne les comportements de santé. La recherche devrait ainsi intégrer les motivations des consommateurs, les rationalisations de leurs usages (Watel, 2005; Peretti-Watel, Constance, Guilbert et al., 2007; Peretti-Watel et Constance, 2009; Peretti-Peretti-Watel, Constance, Seror et al., 2009).

V ANNEXES