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Recommandations additionnelles

Dans le document Centre-ville, piétonnisation et modes de vie (Page 170-173)

7. Épilogue

7.2. Recommandations additionnelles

Au-delà des défis identifiés par le BSI-BCO dont nous venons de traiter brièvement, nous ajoutons ici deux recommandations supplémentaires. La première concerne des principes d’aménagement généraux (voir 7.2.1.), la seconde, renvoie à une réflexion plus générale que nous avons eue dans le cadre du projet de recherche mais également en relation à une brève recherche conduite en parallèle sur le thème de la marchabilité (voir 7.2.2.).

7.2.1. Principes généraux d’aménagements

À la lecture de documents relatifs à la piétonnisation ou à la mise en place de zone de rencontre dans différentes villes françaises (Martin 2012), nous avons isolé certaines remarques qui méritent d’être mentionnées ici dans la mesure où leur non-application au sein du projet de la piétonnisation du boulevard Anspach a occasionné de nombreux problèmes sur lesquels ce rapport a eu l’occasion de revenir à plusieurs reprises. Ces recommandations sont essentiellement liées à la conception de l’espace public. Étant entendu qu’un site n’est pas l’autre et qu’une zone de rencontre n’est pas une zone piétonne, il convient d’être prudent lorsqu’on envisage la transposabilité de mécaniques fonctionnelles d’un cas à l’autre132. Les quelques éléments que nous allons évoquer ici nous semblent cependant disposer d’une logique qui conserverait sa pertinence de manière assez homogène dans une grande variété de contextes.

En termes de conception, modifier ou apaiser une voirie classique – qu’on la transforme en zone de rencontre ou piétonne – implique souvent qu’il faille « inviter les piétons à prendre possession de tout l’espace » (Martin 2012 : 25). Cela implique un certain nombre d’éléments clés :

- Il faut veiller à ne pas contribuer, à travers l’aménagement, à un excès de signalisation. En effet, la forte présence de panneaux « introduit des éléments du registre routier alors que l’ambiance doit avant tout signifier le caractère piéton » (Martin 2012 : 24). Nous avons que, sur le piétonnier (voir 2.2.2.), le déluge de panneaux de signalisation était une source potentielle de confusion ;

- Comme l’évoque l’analyse du BSI-BCO (voir 7.1.), le parking au sein de la zone doit être identifié, limité et contrôlé (Martin 2012 : 24). L’importance de cette démarche est très clairement conscientisée par la brigade cycliste qui s’emploie à faire respecter la législation de manière stricte.

Nous avons également observé, à de nombreuses occasions, qu’une voiture mal stationnée peut entraver de nombreux problèmes (en termes de flux piéton, de sécurité, mais également en ce qui

132 Les villes françaises mentionnées dans le rapport en question (Dinan, Lorient et Rouillon) sont évidemment bien plus petites que Bruxelles.

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concerne le ressenti à l’égard de la zone). Au niveau de la RBC, il existe également une volonté claire de diminuer l’emprise de parkings sur l’espace public ;

- Il apparait également que l’accessibilité aux PMR et la présence de parkings vélo sont également des facteurs assez déterminants dans l’appropriation que les gens font du nouvel espace aménagé (Martin 2012 : 24). Nous avons vu qu’effectivement, ces deux questions occupent une place importante dans les attentes des usagers et doivent répondre à de bonnes pratiques afin de favoriser à la fois l’accessibilité mai également la mixité des zones converties ;

- Un facteur absolument crucial renvoie également aux intersections entre voies de nature différente. À ce titre, il convient de s’interroger sur la nature que doit avec l’intersection. En d’autres termes, doit-elle épouser celle de la voie ouverte à la circulation motorisée ou celle de la zone de rencontre ou piétonne ? À ce titre, le rapport susmentionné conclut « Chaque site reste bien sûr un cas particulier, mais il nous semble préférable de privilégier, lorsqu’il existe une continuité des déplacements piétons, la zone de rencontre en l’étendant de manière lisible sur la voie principale de part et d’autre de l’intersection » (Martin 2012 : 25). Comme nous l’avons clairement exposé, dans le cas du piétonnier, c’est à la voirie ouverte à la circulation motorisée que l’on a majoritairement donné la plus grande importance. Cela crée un grand nombre de problèmes liés à la fois à la sécurité mais également à l’indétermination de la zone (voir 5.1. et 2.1.5 respectivement).

Cet état de fait est particulièrement visible en ce qui concerne la rue de l’Évêque (AN2) et la rue du Fossé au Loups (entre AN2 et DB) où le revêtement de la voirie est celui d’une rue classique (de l’asphalte) et ou des potelets viennent sanctionner la séparation entre le piétonnier et la voirie classique133 ;

- Cette question des potelets est également importante car, au sein d’une zone de rencontre ou piétonne, le but devrait réellement être de « décloisonner l’espace pour que les piétons puissent profiter pleinement de l’ensemble de l’espace public » (Martin 2012 : 25). Or, nous avons vu qu’au sein du piétonnier, au sein de la « promenade verte » et de la « succession de placettes », l’aménagement repose précisément sur un cloisonnement longitudinal de l’espace public (voir 3.1.1.). Il convient cependant de garder à l’esprit que décloisonner n’équivaut pas nécessairement à aménager des espaces vides (« les grands terre-pleins sans vie », ou les « déserts minéraux » qu’évoquent certains de nos informants). Un équilibre subtil doit évidemment être maintenu entre les aménagements publics (bancs, éclairages, espaces plantés, etc.) et l’emprise qu’ils ont sur l’espace en termes de morcellement ;

- Finalement, en ce qui concerne la conception, il nous semble capital de garder à l’esprit que du point de vue de la sécurité, au même titre que la zone de rencontre, la zone piétonne « a ceci de paradoxal qu’elle ne doit pas systématiquement chercher à éliminer les conflits, mais plutôt viser à en faciliter la résolution » (Martin 2012 : 25). C’est, à notre sens, cette philosophie qui doit guider l’aménagement. Elle participera alors à augmenter la sécurité (clarté du statut réglementaire, conditions de covisibilité entre usagers, etc.) mais également à fédérer autour du projet par le biais

133 La traversée située en AS1 et AS2, la rue Riches-Claires et rue des Teinturiers, est, quant à elle, différente. Le revêtement s’y trouvant est celui du piétonnier (légèrement modulé cependant) et les potelets sont absents. Cette décision est certainement liée à la fréquentation présumée des différents axes et témoignent encore très clairement de l’importance de la ségrégation modale dans les esprits en Belgique (voir 4.2.3.).

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d’une compréhension des usages requis, des bonnes pratiques au sein de la zone. À nouveau, un savant équilibre entre contraindre et convaincre !

7.2.2. Prendre en considération le système sociotechnique de la marche

La dernière recommandation est, pour ainsi dire, encore à un état relativement embryonnaire mais, au cours de différentes projets de recherche auxquels nous avons été plus ou moins étroitement liés durant les deux dernières années et portant, de manière générale, sur la marchabilité, nous sommes arrivés à la conclusion qu’aborder la marche à pied en milieu urbain devait sans doute impliquer également un changement épistémologique134.

D’une part, réfléchir à la marchabilité urbaine revient aussi à adopter une posture qui prend en compte le fait que les injonctions à la marche – ou le désir de marchabilité – s’inscrivent dans un éventail complexe d’aspirations et d’enjeux. Autrement dit, la marche n’est pas qu’un mode de déplacement, qu’un moyen de circulation mais a le potentiel d’être une posture radicale – un mode de rapport à la vie et à la ville – qui, si elle est réfléchie et mise en œuvre de façon réflexive et critique peut mener à mettre en branle d’importants changements systémiques dont les répercussions pourraient redéfinir d’importants pans de nos modes de vie. De manière plus générale, il apparait également crucial d’aborder la marchabilité urbaine dans une logique de transition mobilitaire (Kaufmann et Mezoued 2019 : 303-304). C’est-à-dire en l’intégrant à une réflexion plus vaste sur un passage à des mobilités plus durables, ne dépendant plus du pétrole. On mesure désormais très bien qu’une telle transition ne se fera pas sans la prise en compte réflexive et critique du système sociotechnique qui a contribué à maintenir la domination de l’automobile (Markard et al. 2002 ; Urry 2013).

Si déconstruire les associations d’acteurs – compris au sens Latourien du terme (voir chapitre 3) – contribuant à pérenniser la mobilité automobile est certes nécessaire, penser la marche comme partie intégrante d’une alternative durable et souhaitable implique également – et peut-être même principalement – de se pencher sérieusement sur le cadre systémique qui pourra étayer, nourrir et offrir de la résilience à son déploiement. Cette attention, comme l’évoquent Kaufmann et Mezoued (2019 : 303) devra plus particulièrement porter « sur trois dimensions : (1) l’organisation spatiale des territoires en termes d’activités et d’échanges ; (2) l’innovation et la transition technologique en termes de transports en de communications ; (3) l’évolution et/ou la transformation des modes de vie ». De prime abord, cette posture peut évidemment se développer dans une visée diagnostique. Autrement dit, évaluer les processus en cours et les manières dont la métrique piétonne est actuellement mise en œuvre au sein des villes constitue un point de départ pertinent, pour peu que la dialectique entre l’espace et les modes de vie soit envisagée comme

« nécessairement multiscalaire […] et multi-niveaux » (Kaufmann et Mezoued 2019 : 304), en ce qu’elle s’intègre à des dynamiques déployées du niveau le plus local au niveau le plus global tout en convoquant des réalités d’ordres variés (politique, économique, culturel, etc.). Ce fut clairement l’une des visées de notre projet de recherche.

Cela étant, il faut également réfléchir de manière peut-être plus proactive à ce qui constitue réellement le système sociotechnique de la marche car ce mode de déplacement ne peut pas être défini qu’en creux, qu’en opposition à celui de l’automobile. Il doit être pensé en plein, c’est-à-dire en fonction des paramètres sociotechniques qui le caractérisent, même s’ils ne sont pas nécessairement encore aujourd’hui aussi sédimentés et établis que ceux liées à l’industrie automobile.

134 Les réflexions suivantes sont essentiellement tirées de Mezoued et al. à paraitre et découlent de longues discussions que l’un des auteurs de ce rapport a eues avec Aniss Mezoued – que nous remercions pour ces échanges stimulants – dans le cadre de plusieurs projets qu’ils co-pilotent ou de recherches pour lesquelles ils envisagent un développement futur.

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