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Disneylandisation

Dans le document Centre-ville, piétonnisation et modes de vie (Page 102-105)

4. Imaginaires en tension

4.3. Le devenir du centre-ville

4.3.2. Disneylandisation

Le terme ‘disneylandisation’ peut être attribué à Brunel (2006). Ce terme désigne « une facette de la mondialisation touristique, laquelle transformerait le monde en un gigantesque parc d'attraction pour les touristes. La disneylandisation est la transformation des sociétés et des cultures locales, par la présence de touristes, et pour répondre à leurs attentes. Elle peut être aussi une muséification en ce qu'elle fige paysages et pratiques afin de correspondre aux représentations (ou aux clichés) attribués à un espace ou à une population »78. Dans notre traitement de la tension local-global dans la définition du centre-ville, cette facette oppose généralement cadre de vie local et tourisme. Il s’inscrit aussi dans le champ des débats relatifs à la gentrification et au cosmopolitisme (voir Genard et al. 2016 : 69-71) sur lesquels nous revenons très brièvement dans le point suivant (voir 4.3.3.).

Comme dans le cas de la nature du commerce, la présence de touristes sur le piétonnier et, en général, dans le centre-ville fait l’objet de prises de position pour le moins ambigües. Ainsi, dans un document qu’il a récemment transmis à la Ville de Bruxelles et qui synthétise ses attentes pour leur quartier et le centre-ville, le Comité Saint-Jacques stigmatise la présence massive d’appartements mis en location sur la plateforme AirBnB qu’il associe à un essor touristique débordant et à la dégradation de leur cadre de vie79. Parallèlement,

78 Pour la définition, voir http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/disneylandisation. Page consultée le 19 novembre 2019.

79 Ce document est particulièrement intéressant et est repris en annexe de ce rapport. On peut notamment y lire que « le logement touristique non autorisé est un fléau et doit être maitrisé dans les plus brefs délais. Il en va de la survie du quartier. Sa prolifération non contrôlée contribue directement à l’exode urbain et à la dégradation de l’offre commerciale. Il se développe au détriment des

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des commerçants en faisant partie, au même titre que certains résidents, estiment que la place Fontainas est totalement délaissée et que, de ce fait, elle tend à accueillir un public peu désirable (mendicité, trafic de drogue, incivisme, etc.) chassé par les travaux se déployant ailleurs. Ils plébiscitent de ce fait la création d’une identité forte pour le « jardin urbain » qu’on leur promet. L’idée d’une statue fut, par exemple, évoquée lors d’une réunion (fusée de Tintin) afin que quelque chose attire également les touristes qui tendent à graviter dans la partie nord du piétonnier (entre Bourse et De Brouckère). Sur fond d’une volonté de rentabilité, d’un retour sur investissement, mais également d’une méfiance à l’égard de certains usagers, la question de la présence du tourisme est clairement pétrie d’ambivalence.

Une chose est sûre, il existe clairement des projets, en relation étroite avec le piétonnier, qui soulignent l’importance que les pouvoirs publics semblent vouloir accorder au tourisme dans le fonctionnement de la zone. Ce type de détermination non-explicite mais évidente est particulièrement visible dans le projet prévu pour la Bourse ainsi que dans l’organisation, durant l’été 2019, du Tour de France. Originellement estampillé de ‘Beer Temple’ (Vermeulen et al. 2018 : 11-12), le projet pour la reconversion du bâtiment de la Bourse a fait couler beaucoup d’encre et certaines personnes le mentionnent très explicitement en rapport à la disneylandisation, comme Christiane dont nous avons vu qu’elle avait quitté le centre-ville, dégoutée par les processus qu’elles voyaient s’y déployer :

« C'est une des raisons, mais c'est quand même une des raisons principales, parce que comme j'aimais beaucoup ce quartier, j'avais pas du tout envie de le voir devenir un parc à thème avec un Beer Temple au milieu comme cerise sur le gâteau ».

C’est lors d’une visite menée par la coordinatrice du projet à la Ville de Bruxelles et l’architecte responsable que nous avons eu la chance d’être mis au courant des détails du programme actuel pour le bâtiment (qui accueillait jusqu’en 2013 une société de trading). Nous n’avons pas le loisir de le développer ici en intégralité et tentons par conséquent de le résumer en quelques lignes. La ‘Belgian Beer Experience’ se déclinera en une exposition sur l’histoire de la bière en Belgique au premier étage du bâtiment et en dégustations qui seront intégrées au ticket et prendront place sur le toit du bâtiment où sera implanté un établissement HORECA qui sera également accessible indépendamment de la visite de l’exposition permanente80. Le rez-de-chaussée de l’édifice sera lui public (fig.39). Moyennant des transformations assez prononcées d’une petite partie du bâti et de son aménagement interne (modifications liées à la fois à l’accessibilité PMR mais également au fait de devoir s’adapter à l’afflux de nombreuses personnes), la Bourse sera donc ‘traversante’. On pourra en effet désormais passer de la rue du Midi au boulevard Anspach par l’intérieur du bâtiment. Cet espace accueillera aussi des expositions temporaires et se veut public (il accueillera d’ailleurs des toilettes qui font, à l’heure actuelle, cruellement défaut sur le piétonnier). Il n’en demeure pas moins qu’aux dires de la coordinatrice du projet, amortir son coût et payer les personnes qui y seront employées nécessitera la bagatelle de 400.000 visiteurs par an. À titre indicatif, l’Atomium, haut lieu touristique de la capitale, accueillait, selon l’IBSA, 551.918 visiteurs en 201781. Il est donc évident que les pouvoirs publics envisagent clairement la Bourse et sa ‘Belgian Beer Experience’ comme une attraction touristique majeure. Nous reviendrons également, en abordant la thématique suivante sur l’impact potentiel qu’aura l’ouverture de la Bourse dans ce contexte sur celles et ceux qui en habitent aujourd’hui les marches presque quotidiennement (voir 5.5.).

commerces de proximité et de la vie de quartier. À Bruxelles, il est encore temps de réagir avant qu’il ne soit trop tard ». La sémantique utilisée est particulièrement éloquente !

80 La rénovation de la Bourse et son réaménagement sont intrinsèquement liés à ce projet de ‘Belgian Beer Experience’ dans la mesure où c’est un consortium de plusieurs brasseurs qui financent en partie le projet qui coûtera environ 24 millions d’€.

81 http://ibsa.brussels/chiffres/le-saviez-vous/combien-de-visiteurs-se-sont-rendus-a-l-atomium-en-2017#.XdPsYdVCdEY

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Fig.39 : Coupe du projet pour la Bourse (encore intitulé ‘Belgian Beer World’ ; source : page Facebook BeursBourse).

Bien que l’ampleur en ait été moins grande et la présence moins pérenne, l’organisation du Tour de France témoignait aussi d’une conception bien particulière de la zone. Avant le Tour, la zone s’est bariolée de banderoles et de tags sur le sol aux couleurs de l’évènement (fig.40). Mêmes les colonnes de la Bourse ont été habillées de tissu dont les teintes et motifs évoquaient les maillots emblématiques des vainqueurs. Un bâtiment, à l’angle de la place De Brouckère et de la rue des Augustins, était également dédié à la promotion de l’évènement.

Fig.40 : Le piétonnier aux couleurs du Tour de France.

Nous n’étions malheureusement pas présents lors du départ dudit Tour mais il est cependant clair que, dans la manière dont il fut organisé, c’est le potentiel évènementiel du piétonnier qui était mis en exergue.

Accueillir le célèbre Tour à Bruxelles et sur le boulevard piétonnisé, était, à n’en pas douter, une stratégie de marketing urbain réfléchie.

À ce titre, d’autres évènements ont pu être repérés sur le piétonnier lors de nos observations de terrain (concours de danse hip-hop organisé dans le cadre du festival Detours, voir fig.41 ; concours de bulles de savon, chanteurs acceptés officiellement sur l’espace public, etc.). Ils viennent généralement renforcer cette impression d’une volonté d’associer le piétonnier à une certaine forme d’urban entertainment. Cela étant, il convient de préciser que le piétonnier est aussi le cadre d’appropriations tout à fait informelles qui peuvent également avoir une portée ludique et évènementielle, nous y reviendrons par la suite. Cette dualité formel-informel en ce qui concerne les évènements ponctuant le quotidien du piétonnier participe également à la

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dynamique plus générale à laquelle nous nous intéressons au sein de cet imaginaire (voir notamment Genard et al. 2016 : 66-67 sur la ville ‘réappropriée par les citoyens’, la ville ‘transgressive’).

Fig.41 : Affiche dédiée au concours de danse hip-hop sur le piétonnier durant l’été 2019 et photo de l’évènement en cours.82

Au-delà de ces projets et évènements particuliers, tant nos entretiens que nos observations de terrain nous ont clairement permis de mesurer l’importance de la fréquentation touristique de la zone. En effet, hiver comme été, le périmètre du piétonnier, situé à un jet de pierre de la Grand-Place et du quartier Sainte-Catherine, accueille une proportion non négligeable de touristes (voir notamment 3.1.2.). Ces touristes, comme d’autres types d’usagers participent encore clairement, à l’heure actuelle, à la forte mixité de la zone sur laquelle nous terminerons cette évocation des imaginaires.

Dans le document Centre-ville, piétonnisation et modes de vie (Page 102-105)