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Les enquêtés de la recherche communautaire : populations vulnérables et terrains sous-investis.

Le principal intérêt de la recherche communautaire réside dans les populations qu’elle permet d’étudier, c’est-à-dire dans les enquêtés et lieux d’enquêtes accessibles à la recherche communautaire, particulièrement des populations minoritaires, qui échappent aux dispositifs scientifiques classiques.

Les enquêtés de la recherche communautaire sont des membres des communautés (au sens de « communauté naturelle » ou de « communauté socialement construite » → introduction) avec lesquelles travaillent les organisations communautaires partenaires de la recherche. Il ne s’agit pas nécessairement de personnes fréquentant régulièrement l’organisation communautaire.

L’enquête HSH-LRE, conduite par le Groupe Sida Genève en collaboration avec d’autres associations suisses et françaises ainsi que l’Université de Lausanne, vise les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes fréquentant des lieux de rencontres extérieurs. Les volontaires des organisations communautaires rencontrent ces hommes au moins une fois lors d’une action de proximité – moment au cours duquel un questionnaire leur est remis. Mais le contact avec l’organisation communautaire n’est pas nécessairement plus fréquent que cela.

Les « enquêtés de la recherche communautaire » regroupent selon les cas des personnes qui : ■ Participent aux associations communautaires (membres, volontaires, etc).

■ Bénéficient régulièrement des services d’une association communautaire (soins, conseil psychosocial, etc).

■ Fréquentent les lieux d’actions des organisations commu- nautaires (commerces africains, lieux de drague, squats, lieux de prostitution).

■ Sont membres des communautés avec lesquelles travaillent les organisations communautaires (personnes vivant avec le VIH, gays, immigrés, usagers de drogues, etc).

L’apport des organisations communautaires ne se réduit pas à donner accès à ces lieux et ces communautés. Les volontaires sont généralement ceux qui connaissent le mieux la communauté enquêtée.

Introduire des questions de recherche innovantes qui émanent du terrain

En recherche communautaire, les questions de recherche sont déterminées en fonction des changements observés sur le terrain. Le délai entre le constat d’un problème ou d’un changement sur le terrain et sa prise en compte par les chercheurs est donc assez court.

Lors de recherches communautaires en collaboration entre l’UQAM, la Cocq Sida (organi- sation communautaire) et Action Séro Zéro (devenue « REZO », réseau d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes), les préoccupations soulevées par les acteurs de

2.

La recherche communautaire présente une réelle valeur ajoutée notamment en permettant d’accéder à des per- sonnes fréquentant les lieux d’action des organisations communautaires et des associations. Il s’agit souvent de populations vulnérables ou mino- ritaires, particulièrement exposées et pourtant difficiles à atteindre. Les organisations communautaires ap- portent leur connaissance de ces populations et ouvrent des terrains et objets de recherche sous-investis.

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Réflexions sur la recherche communautaire et son intérêt

terrain lors des réunions d’équipe sont ainsi régulièrement intégrées aux recherches conduites. Les problématiques du sexe en groupe, ou de l’absence de préservatifs et de lubrifiant dans les backrooms, ont par exemple été soulevées lors de réunions d’équipe, puis intégrées aux questions de recherche.

Une co-analyse des situations complexes

Dans certains domaines, il existe un réel besoin de recherches communautaires, c’est-à-dire des recherches où il y a vraiment une co-analyse de situations qui ne sont pas appréhendables par les outils classiques de la recherche. Des questions trop complexes, pour lesquelles on n’a pas les outils, et qui nécessitent donc une co-investigation. […] Sur les populations afri- caines par exemple, c’est extrêmement difficile. Les outils classiques ne sont pas adaptés, car il y a des populations africaines, avec des origines, des enracinements, des cultures différents. Compte tenu des discriminations cumulées, on a besoin d’identifier des questions sociales importantes liées à la santé (Chercheur, France).

Une co-analyse est fructueuse pour interpréter les données : la diversité des acteurs permet une pluralité d’interprétations, et la recherche communautaire permet aussi un meilleur ancrage des interprétations dans la culture des communautés enquêtées.

Parmi les différents critères de validité d’une recherche, on se réfère notamment aux critères de crédibilité. Parmi ces derniers, la validité de signifiance1 est particulièrement sensible

aux effets de la recherche communautaire. En effet ce format de recherche confère aux données un sens plus conforme au regard des enquêtés et du milieu de l’enquête. Au-delà, la recherche communautaire renvoie également à un mode de « triangulation » des données : la triangulation invite à croiser les méthodes de recherche afin d’améliorer la fiabilité des données recueillies et des résultats (Apostolidis, 2006 ; Flick, 1992).

Co-analyse et triangulation sont particulièrement nécessaires quand l’objet de la recherche – les enquêtés ou la question – est peu étudié et complexe (forte hétérogénéité de la population ; communauté fermée, très codifiée ; questions sensibles).

Des innovations méthodologiques ?

La recherche communautaire participe à la mise en place de méthodologies de recherche innovantes, notamment en sciences sociales.

■ Des essais randomisés en sciences sociales ?

Dans le champ du VIH/sida, la relative familiarité des organisations communautaires avec la recherche clinique a conduit à adapter la méthodologie des essais randomisés2 aux

sciences sociales. Des essais randomisés portant sur des programmes interventionnels (d’éducation à l’injection, de dépistage communautaire, etc.) sont ainsi mis en place.

2.

1 La validité de signifiance a été proposée par Desmet et Pourtois. Elle renvoie au sens que les acteurs veulent donner à leurs actions, à leurs propos afin que les données soient significatives pour les acteurs. Il faut que les gens se reconnaissent dans les données : « Nous entendons par validité de signifiance la vérification du fait que les données découlant de l’utilisation d’un instrument

est bien le résultat d’une réelle compréhension de la part du sujet et d’une concordance certaine entre le sens objectif des items et la perception que ceux-ci déclenchent chez la personne. » (Pourtois et Desmet, 2007 : 57).

2 L’essai randomisé est un essai dans lequel les personnes sont réparties de façon aléatoire (c’est la randomisation) en au moins deux groupes aux caractéristiques comparables. La randomisation ou tirage au sort permet de déterminer le traitement (ou la stratégie) le plus efficace et le mieux toléré par l’ensemble des participants. Parfois les recherches peuvent se faire en « double aveugle », cela signifie que ni les participants, ni les médecins ne savent qui reçoit le traitement. Une adaptation des essais randomisés en sciences sociales consiste à mettre en place une intervention dans un groupe et à le comparer avec un groupe de contrôle aux caractéristiques comparables ne bénéficiant pas de l’intervention ou bénéficiant d’une autre intervention.

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■ Adapter des outils existants pour une meilleure prise en compte de la réalité.

Le partenariat entre l’UQAM, des organisations communautaires et des membres de la communauté gay a ainsi permis de produire une échelle sur le sentiment d’appartenance à la communauté. Les propositions constituant l'échelle ont été développées en collaboration avec des membres de la communauté, lors de réunions de travail avec des informateurs clés, et à partir de leurs propositions.