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Rapport au vivant et éducation

Dans le document Le rapport expérimental au vivant (Page 124-127)

DU RAPPORT EXPÉRIMENTAL AU VIVANT

3.2. Expériencier et expérimenter le vivant

3.2.1. Rapport au vivant et éducation

À l'école maternelle (extrait du texte 1)

Les enfants se font des êtres et des phénomènes une idée personnelle, comme les adultes d'ailleurs, ou bien ignorent totalement certains domaines. Ces conceptions initiales ne cessent de se modifier par intégration successive des connaissances et des expériences. L'école a un rôle fondamental dans cette évolution des conceptions initiales. Ainsi élever un petit animal (en prenant les indispensables précau-tions relatives à la santé et à l'hygiène) ou faire germer des graines ne doit pas seulement relever du domaine de l'affectif. Un lapin nain n'est pas seulement un petit compagnon affectueusement soigné et dont on se sent responsable, c'est aussi un être vivant qui concrétise les grandes fonctions vitales, leurs exigences, leur cycle. Plusieurs élevages, par les comparaisons qu'ils favorisent, constituent un champ d'observations. (…) La logique disciplinaire se double constamment d'une logique de l'apprentissage pour l'enfant. Ce ne sont pas les mêmes, et la première doit servir l'autre.

À l'école maternelle, les activités scolaires sont construites pour prendre en compte le développement de l'enfant dans sa totalité. Elles envisagent aussi bien les aspects in-tellectuels qu'affectifs, moteurs ou esthétiques. Dès l'école primaire, lorsque le didacti-cien s'interroge sur les interactions entre activités expérimentales et apprentissages,

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c'est, le plus souvent, à l'élève en tant que sujet cognitif ou sujet épistémique qu'il s'intéresse. Cependant, de nombreux mouvements de rénovation pédagogique soutien-nent que le développement de l'enfant ne doit pas être envisagé seulement dans un sens intellectualiste. Ils défendent l'idée d'une école active, ouverte sur tous les aspects de l'environnement, et qui puisse représenter un milieu de vie de l'élève37. Cette école ac-tive représente une condition d'un engagement volontaire du sujet, dans une activité de développement qui fasse intervenir la personnalité dans sa totalité physique, intellec-tuelle, sociale et affective. Pourquoi donc introduire le vivant, et en particulier une "présence animale ", à l'école ?

Se sentir "être vivant"

Tout d'abord, une présence animale peut-elle contribuer à faire sentir l'"être vivant", souvent enfoui sous l'"être pensant"? "Pris à la lettre et en toute rigueur", remarquait déjà Canguilhem38, "le rationalisme, philosophie de l'homme savant, finirait par faire perdre de vue à l'homme qu'il est un être vivant". Actuellement, constate de son côté la philosophe Elizabeth de Fontenay39, le rapport à l'animal "se dissout dans le biolo-gisme, le scientisme et l'ethologisme". Cependant, lors d'une investigation concrète, il ne peut être question que d'intellectualité : tout sujet est aussi touché par son rapport affectif et émotionnel au vivant. Par ailleurs, l'attention au ressenti de son propre corps, la découverte de sa forme et de ses fonctionnalités, la sensation de sa propre vitalité dans un organisme malade ou en pleine santé, contribuent à l'expérience de soi-même en tant qu'être vivant. Favoriser le développement de rapports au vivant conduit, tôt ou tard, à expériencier la vie "comme ensemble des fonctions qui résistent à la mort", se-lon les termes de Bichat40, et permet, sans se restreindre à des aspects uniquement bio-logiques, d'envisager un accompagnement quand un enfant se trouve confronté à l'irréversibilité de la mort.

"Présence animale" et intégration scolaire

Par ailleurs, Hubert Montagner41, citant plusieurs études menées sur des enfants souf-frant de troubles du comportement, en particulier des études médicales sur des enfants autistes42, argumente du rôle structurant et médiateur que la relation avec l'animal peut jouer. En favorisant le développement de conduites d'interaction et des comportements imitatifs, une présence animale à l'école peut aider à l'intégration de certains élèves. Si le rapprochement au vivant facilite la découverte de la communication non verbale, il peut également favoriser la levée de certaines inhibitions, et le dépassement de certaines angoisses. Il est possible aussi que cette "présence" puisse représenter un médiateur pour découvrir la personnalité de l'élève ou pour favoriser la socialisation.

37

COLLECTIF (1972). Les mouvements de rénovation pédagogiques par eux-mêmes. Paris : ESF

38

CANGUILHEM G. (1947). Note sur la philosophie biologique. Revue de métaphysique et de morale, juillet-octobre 1947.

39

FONTENAY de, E. (1999). Entretien à propos de son livre Le silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve de

l'animalité. Res Publica n°20, pp.4-15.

40

Cité par CANGUILHEM G. Etudes d'Histoire et de Philosophie des sciences, p.225.

41

MONTAGNER H. (dir.) (1995). L'enfant, l'animal et l'école. Bayard éditions/AFIRAC.

42

Des thérapies, fondées sur le développement de relations avec certains animaux, tels les dauphins ou les chevaux, semblent d'ailleurs aider à la restructuration, au développement affectif et à la projection.

Une "propédeutique" d'expériences

En outre, "l’enfant, aujourd’hui, passe plus de temps devant l’écran de télévision qu’il n’en passe à l’école", constatait Louis Legrand43 … déjà en 1980 ! "L'univers urbain abstrait où il vit l'éloigne des expériences fondamentales qui étaient celles du petit paysan d'autrefois", et il "consomme du concept", sans s’en apercevoir. En effet, alors que l'environnement rural favorisait une familiarisation pratique de l'enfant au monde vivant dans sa diversité, et le développement de multiples rapports, en particulier des rapports utilitaires et ludiques, l'actuel environnement urbain, dans lequel vit la majo-rité des élèves, ne conduit essentiellement qu'à des relations de familiamajo-rité avec des animaux domestiques d'agrément. "Le rôle de l’école", interroge Louis Legrand, "n’est-il pas désormais, et de plus en plus, d’offrir à l’enfant ces expériences concrètes fondamentales que le milieu naturel disposait autour du petit paysan : cultiver, élever, construire des machines simples, toutes activités indispensables à l’élaboration des schèmes opératoires concrets sur lesquels se construit la pensée conceptuelle abstraite ?" Comme nous le verrons plus loin, il convient sans doute d'envisager, qu'une des missions de l'école dans le développement d'un rapport expérimental au vivant pour les plus jeunes, se trouve dans la compensation de ce déficit de familiarisation pratique. Offrir des expériences de base, que l’enfant ne peut plus faire hors de l’école, lui permettre de pratiquer petits élevages et jardinage, mais également développer des pratiques corporelles, permet de constituer une véritable "propédeutique", en reprenant encore l'expression de Legrand.

Contribution à la structuration du temps

Ainsi que je le présentais dans un livre destiné à la formation des enseignants (texte 1), le vivant présente toujours une dimension temporelle. Sa découverte et son investiga-tion contribuent à la construcinvestiga-tion des noinvestiga-tions de cycle, d'âge, de rythme, de durée, et aussi de celles de croissance, de développement, et de mort.

Le respect du vivant

Des activités qui développent un rapport au vivant peuvent initier des comportements démocrates et responsables. À la fin du cycle 2, par exemple, les conceptions initiales des élèves concernant le vivant ont pu évoluer. La compréhension de l'irréversibilité de la mort et de la fragilité du maintien en vie peut alors fonder le respect du vivant. Les élèves, ayant intégré les besoins indispensables pour de bonnes conditions de vie d'un organisme, sont devenus capables d'être responsables d'un élevage ou d'une plantation. Quels que soient les cadres d’utilisation du vivant et les attentes de l’enseignant, la notion de respect, en effet, reste fondamentale. En ce qui concerne l'animal, le cadre juridique français est clairement défini dans la législation relative à la protection de la nature44, qui précise : “Tout animal, étant un être sensible, doit être placé par son

43

LEGRAND L. (1980). Freinet aujourd’hui. Perspectives, X, 3. pp. 389-390.

44 Loi n°76-629 du 10 juillet 1979, article 9. Le ministère de l’Agriculture est chargé du contrôle et du respect des textes en vigueur sur la protection des animaux domestiques. Les animaux non domestiques relèvent plus particulièrement du ministère de l’Environnement. Voir aussi Recherche biomédicale et santé, complément au bulletin Biologie Géologie 3, 99. GIRCOR/APBG.

propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce”.

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