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Questionner l'évolution des activités expérimentales scolaires

Dans le document Le rapport expérimental au vivant (Page 35-40)

Relisons un extrait de l'avant-propos du livre de D. Pol (1994), Travaux Pratiques de biologie. Cet ouvrage, bien documenté et qui présente de multiples protocoles expéri-mentaux, est très populaire auprès des professeurs de SVT.

"L'idée de ce manuel part d'un constat qui paraîtra sans doute évident à tout le monde : la biologie est une science expérimentale. À ce titre, on voit mal com-ment elle pourrait être enseignée, mais aussi et surtout comprise sans le recours à l'expérimentation. (…) Bien que les séances de travaux pratiques au cours des-quelles les élèves se doivent d'observer, de manipuler, d'expérimenter et de rédi-ger un compte rendu constituent une sorte d'"ardente obligation" pour tout pro-fesseur de Biologie-Géologie, un certain nombre de dérives contredisant cet ob-jectif peuvent être observées : le contact direct avec l'expérimentation est parfois remplacé par divers substituts audiovisuels, par des polycopiés ou, plus simple-ment par un cours magistral. (…) Bien sûr, le professeur fait souvent des démonstrations et des expériences sur sa propre paillasse, dans ce cas, il y a bien recours à l'expérimentation de la part de l'enseignant mais, l'élève lui-même, principal intéressé n'y participe pas activement. (…) Il ne s'agit pas, ici, de nier l'apport des techniques audiovisuelles à l'enseignement de la biologie,

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DESBEAUX-SALVIAT, B. (1997). Un modèle biochimique, le cycle de Krebs : découverte, diffusion,

mais elles ne remplaceront jamais le contact direct avec le vécu et elles ne pour-ront jamais se substituer à l'apprentissage sur le tas des techniques expérimen-tales, des savoir-faire et des raisonnements qui leur sont intimement liés. (…) L'expérimentation permet en effet un "aller-retour" entre l'activité manuelle et l'activité intellectuelle et est, de ce fait, d'une valeur unique pour les élèves dont nous avons la responsabilité. (…) Enfin, récemment, l'introduction de l'ordina-teur, couplé à une interface d'acquisition de données, dans les laboratoires de Biologie-Géologie des lycées a multiplié les possibilités d'expérimentation et a rendu possibles des manipulations autrefois difficiles à réaliser tout en gagnant du temps et en épargnant des tâches monotones comme la saisie de données expérimentales."46

Ce texte suscite un questionnement multiple. Quelle "évidence" ?

Il peut, en effet, sembler "évident" que les apprentissages scolaires relatifs à la biologie, "science expérimentale", s'appuient sur des activités expérimentales. "Activité" répondrait aux besoins de "mise en action" de tout le courant d'éducation nouvelle, et serait éclairée, sous certaines conditions, par la psychologie cognitive, tandis qu'"expérimentale" se fonderait sur l'indispensable élaboration de validité des savoirs scientifiques, et sur la contribution à la construction d'une rationalité. Cette "évidence" ne serait-elle pas, en fait, elle aussi à construire ?

Quelles conceptions sur le vivant développées ?

Actuellement, l'expérimental dans l'enseignement des sciences de la vie se restreint de plus en plus à l'école primaire et au collège, et apparaît essentiellement comme l'expérimental de la chimie du vivant au lycée. Quelles conceptions sur le vivant développe-t-on alors chez les élèves par une telle approche ? Quelles situations et quels dispositifs proposer pour permettre une approche du vivant dans sa complexité, dans sa diversité et dans sa variabilité ?

Quel rapport à l'instrumentation ? Quel rapport à l'écrit ?

L'instrumentation des laboratoires scolaires des lycées s'est renouvelée cette dernière décennie, en particulier par l'introduction de l'ordinateur. Mais d'autres instruments, plus "classiques" sont toujours utilisés : instruments d'aide à l'observation (microscope et loupe), instruments de mesure (thermomètre, diverses balances…), par exemple. Les activités expérimentales dans les sciences de la vie sollicitent, par ailleurs, de multiples compétences pratiques, issues souvent de la chimie (prélèvement de gaz, dosage de divers liquides, analyse chimique…). Les activités favorisent, en outre, le recueil de données expérimentales sous des formes graphiques, et aisément manipulables. Elles nécessitent également que les élèves réalisent plusieurs écrits : brouillons et comptes rendus, individuels ou collectifs. Comment s'établissent alors les rapports aux instru-ments et les rapports à l'écrit dans une relation expérimentale au vivant ?

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Quelle "discipline scolaire" ?

Contrairement à l'ambiguïté de la première phrase du texte, la biologie, comme ensei-gnement, doit fondamentalement être distinguée de la biologie comme discipline de recherche. Dans le cadre d'une discipline scolaire, il est indispensable de se poser les questions des finalités de l'enseignement et des apprentissages, du choix des contenus, et des références des savoirs et des activités. Les disciplines scolaires ne sont jamais une simple réduction de disciplines académiques. Pour permettre la description de cette construction disciplinaire. M. Develay (1992)47 a emprunté à Kuhn le terme de "matrice disciplinaire". Se définissant par des objets et par des tâches, et par des connaissances déclaratives et procédurales, la matrice disciplinaire donne cohérence à une discipline scolaire et représente son principe d'intelligibilité. D'autres questions spécifiques sont alors à poser. Par exemple, en ce qui concerne le rapport expérimental au vivant, quelles peuvent être ses fonctions et ses formes, scolaires ou non scolaires ? Quelle légitimité et quelles références ?

Les savoirs à instituer et les activités scolaires posent, en fait, deux questions essen-tielles : celle de leur légitimité et celle de leurs références (Martinand, 1986 ; Johsua, 1998)48. En quoi, dans notre société actuelle, est-il important d'initier un apprentissage biologique à l'école fondamentale, ou de faire construire des savoirs et une com-préhension du vivant au lycée ? Quels sens les apprenants accordent-ils à ce qu'ils font dans un enseignement de biologie ? Quels sont les éléments de référence affichés par l'école pour légitimer et pour donner du sens à ces savoirs ? Il n'est pas question, bien sûr, d'embrasser l'ensemble de cette vaste problématique, mais une interrogation rela-tive au rapport expérimental au vivant en classe peut contribuer à nourrir la réflexion. Interrogation épistémologique, psychologique et axiologique

Si, d'un point de vue épistémologique, les références se situent dans les pratiques scientifiques actuelles, rappelons que l'approche analytique et expérimentale ne représente qu'une investigation des sciences biologiques parmi d'autres : les démarches d'observation et d'enquête ne pouvant être oubliées, tandis que la modélisation, et les approches systémiques prennent de plus en plus d'importance (Legay, 1997)49. En ou-tre, les pratiques sociales, comme la cuisine et le jardinage, l'agriculture et l'élevage, les industries alimentaires, le sport et l'hygiène, peuvent représenter d'autres éléments de référence.

D'un point de vue psychologique, et en accord avec les théories d'apprentissage socio-constructiviste actuelles, des manipulations, individuelles ou en groupe, qui s'articulent sur du "réel", peuvent contribuer à l'élaboration d'un registre empirique et favoriser les apprentissages pratiques (texte 21). Mais il apparaît également indispensable de tenter de clarifier les finalités éducatives (texte 16, texte 14, texte 50) d'un recours à

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DEVELAY M. (1992). De l'apprentissage à l'enseignement. Paris : ESF.

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MARTINAND, J.-L. (1986). Connaître et transformer la matière. Berne : Peter Lang.

JOHSUA, S. (1998). Des "savoirs" et de leur étude : vers un cadre de réflexion pour l'approche didactique.

Année de la Recherche en Sciences de l'Education, (pp. 79-87). Paris : PUF.

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l'expérimental, et les valeurs, implicites ou explicites, véhiculées. En quoi, par exem-ple, la construction d'un rapport expérimental permet-il le développement du respect du vivant, ou, au contraire, sa déconsidération ?

Quand on envisage l'apprentissage d'un concept ou d'un modèle biologique, par exem-ple le concept de croissance ou la modélisation du cycle de Krebs (texte 18, texte 19), sur quelle référence expérimentale, réelle ou évoquée, sur quels savoirs empiriques et de leurs pratiques associées, désignés par Martinand (1986)50 comme constituant le "référent empirique" va-t-on le fonder ? Si les activités expérimentales sont abordées comme constituant, pour l'élève, un élément de référence pour la construction de ses savoirs, un important problème d'épistémologie scolaire sera de déterminer l’importance relative et l'articulation des deux pôles, empiriques et théoriques.

Nécessité d'un détour

Les multiples questions, suscitées par la lecture d'un simple avant-propos de manuel, destiné aux enseignants pour la pratique expérimentale dans les classes, justifient la nécessité d'un détour pour éclairer le rapport expérimental au vivant dans les appren-tissages. Ce détour sera tout d'abord historique et épistémologique : pour analyser le contexte et les enjeux de la construction d'un tel rapport, pour comprendre ce qui est nécessaire pour aborder une phénoménologie, pour justifier les apports de l'empirisme, et pour illustrer les limites morales, matérielles et logiques de l'expérimentation du vivant.

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PARTIE

PRATIQUES SCIENTIFIQUES EXPÉRIMENTALES

Dans le document Le rapport expérimental au vivant (Page 35-40)