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Rapport à l'écrit dans les expériences

Dans le document Le rapport expérimental au vivant (Page 135-140)

DU RAPPORT EXPÉRIMENTAL AU VIVANT

3.2. Expériencier et expérimenter le vivant

3.2.4. Rapport à l'écrit dans les expériences

Une médiation essentielle entre l'action matérielle et sa représentation symbolique (extrait du texte 20)

Au collège, de nombreuses disciplines scolaires ont pour objet d'apprentissage un texte déjà "décroché du réel" qui est, sans qu'on le perçoive toujours, le résultat d'une première abstraction où l'on plonge d'emblée les élèves. Ce qui leur manque, et que proposent a contrario les activités scientifiques et techniques, c'est la référence à un réel qui soit manipulable et qui, éventuellement, puisse résister... Ce n'est pas tant, comme on le dit souvent, que les sciences et les techniques soient plus "concrètes", elles font plutôt éclater l'opposition factice entre le concret et l'abstrait, en proposant des voies de passage vers l'abstraction. Les sciences et les techniques fournissent des occasions de représentation et d'écri-ture, à partir des données empiriques qu'elles ont construites. La "raison graphique" (Goody, 1979) transforme justement les contraintes de la production en ressources pour penser.

Plusieurs études pointent les nombreuses interactions entre le rapport à l'écrit et le rap-port au savoir (Charlot et al., 1992 ; Charlot, 1997). La production d'écrits joue, en effet, un rôle déterminant d'outil pour l'élaboration des savoirs. Comment peuvent s'établir les relations entre écrits et expériences d'une part, entre documentation et expériences d'autre part ?

Importance des inscriptions

Nous avons vu l'importance, au niveau scientifique, des "inscriptions" (Latour et Woolgar, 1988). De nombreux TP de lycée visent à ce que les élèves obtiennent de tels documents, lisibles et manipulables, et provenant de la technique. Une autre raison du succès de l'ExAO pourrait, d'ailleurs, provenir de la facilité de visualisation, de la représentation graphique immédiate d'un phénomène, et de la possibilité d'obtenir sur le champ une inscription par une sortie imprimante. En recherche scientifique, ces ins-criptions servent essentiellement à la négociation et au débat, mais dans les activités

scolaires, ils restent souvent restreints à un rôle d'illustration. Ils peuvent aussi représenter, comme l'a montré I. Lika (1999) 48 dans les entretiens menés auprès d'enseignants, une "sécurité" face à la résistance du vivant à l'investigation, et à un re-cueil de données qui apparaît difficile ou aléatoire.

Les écrits réalisés par les élèves

L'opération Main à la pâte des écoles primaires valorise la place et le rôle du cahier d'expériences dans les activités scientifiques. Écrire, rendre compte, représenter, for-muler des résultats ou schématiser, restent cependant des opérations ni faciles, ni arbi-traires. Plusieurs recherches, destinées à analyser les fonctions de l'écrit dans les acti-vités expérimentales ont déjà été réalisées, en particulier par des équipes INRP49. Toutes ces études montrent l'importance des écrits, sous ses formes multiples, à la fois pour soi et pour les autres, et témoignent de la nécessité d'organiser ses observations et de schématiser, tout au long de la démarche scientifique. Les pratiques d'investigation favorisent le développement d'une raison que l'on pourrait qualifier de "expérimento-graphique". Les écrits sont importants dans la construction d'un rapport expérimental, mais ils ne doivent pas apparaître comme imposés ou comme frein à l'action. Une vigilance s'impose sans doute, dans la formation des enseignants du primaire, pour éviter que les activités scientifiques ne deviennent que prétextes à l'apprentissage de la lecture ou de l'écriture.

Bien que pouvant fortement influencer les rapports à l'écrit, les rapports à la science et les rapports à l'expérimental, les représentations des élèves relatives à l'écriture dans les expériences ne sont pas encore bien connues, ce qui mériterait des analyses didactiques approfondies. L'analyse de comptes rendus d'expérience de lycéens (textes 14 et 55), par exemple, montre que de nombreux jeunes semblent avoir assimilé que des comptes rendus ne présentent qu'une forme reconstruite de la démarche50, mais on constate aussi que les discussions ou les incertitudes dans ce qui est présenté restent rares, tandis que les généralisations abusives apparaissent fréquentes51. Il semble que la représentation du compte rendu d'expérience, ou sa modélisation scolaire, pourrait interférer avec une représentation de la science, conçue plus comme un discours argumentatif et démonstratif, que comme une méthode.

48

LIKA, I. (1999). La place des activités pratiques dans l'enseignement de la biologie au lycée. Mémoire inédit de Cachan.

49

ASTOLFI , J.-P., PETERFALVI, B., VÉRIN, A. (coord) (1991). Compétences méthodologiques en sciences

expérimentales. Paris : INRP.

VÉRIN, A. (1992). Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège. Aster 14 : 103-126.

50

Dans leurs investigations, ils ont pourtant fait évoluer et varier les protocoles pour chercher à établir des faits et ils reconnaissent les difficultés multiples à stabiliser des phénomènes (Hacking, 1983), mais cette phase d'investigation est ensuite le plus souvent "gommée", comme c'est la règle dans le genre "compte rendu". La démarche scientifique reconstruite est généralement de type "PHERIC", avec une investigation scientifique linéaire débutant par un problème, puis continuant par l'émission d'une hypothèse, la description du protocole expérimental, les résultats de l'expérimentation, leur interprétation et une conclusion (Develay, 1989 ; Coquidé, 1998 ; Orange, 1998).

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Ainsi, dans les classes qui ont expérimenté sur les chlorelles, alors que les élèves travaillent sur un matériel biologique précis, certains n’hésitent pas à étendre leurs résultats à l’ensemble des végétaux chlorophylliens, ou à proposer une interprétation au niveau moléculaire.

Vincent Fontaine (1997)52, reprenant les idéaltypes d'élèves par rapport au savoir, décrits par Charlot, Bautier et Rochex (1992)53, a tenté de préciser ces représentations de l'écriture. En menant des entretiens avec des élèves de l'école primaire, inférés avec des analyses de productions, il a proposé un premier outil d'analyse de "profils d'élèves", élèves actifs-chercheurs et élèves passifs-récepteurs, par rapport à l'écriture et la construction de l'idée d'expériences. Dans cet outil, il propose de regrouper différents indicateurs selon les références que ces jeunes accordent à l'activité scienti-fique, à la construction d'idée d'expérience et aux fonctions des écrits dans celle-ci. Perspective empirique méthodique et perspective expérimentale

Il apparaît nécessaire que la recherche élargisse son questionnement relatif aux écrits dans les activités expérimentales, en interrogeant, en particulier le rapport à l'écrit comme moment dans la relation expérimentale, ce qui conduit à reconsidérer les visées et les contraintes didactiques des "cahiers d'expérience" ou des "cahiers de laboratoire" d'une part, des "communications à autrui pour convaincre" et des "comptes rendus" d'autre part. À l'école, perspective empirique méthodique et perspective expérimentale correspondent à des épisodes différents, qui s'articulent dans une éducation scientifique. Le tableau comparatif de ces deux perspectives, que je propose dans la partie 2, différencie plusieurs indicateurs. Distinguant, en particulier les recueils de données a priori et a posteriori, et les différents écrits selon les perspectives, il contribue à éclairer des questions didactiques.

Le rapport à la documentation

Les acquis empiriques ne peuvent s'organiser spontanément : activités expérimentales et travail sur documents apparaissent donc complémentaires. Il semble, cependant, qu'il y ait un manque de clarté totale, concernant les relations entre documentation et expérimentation, tant pour l'enseignant que pour les élèves : comment est-elle située ? Est-ce dans un exercice artificiel ? Ou est-ce que les élèves ont accès à la bibliogra-phie, soit pour contribuer à poser un problème, soit pour aider à concevoir et mettre en œuvre des protocoles, soit pour interpréter des résultats ?

Des équipes INRP, étudiant la place et le rôle des pratiques documentaires dans les activités scientifiques, ont analysé les intérêts mais aussi les dérives possibles, des do-cuments ou de leurs utilisations (Vogel & Astolfi,1987 ; Ginsburger-Vogel, 1987)54. Les analyses de manuels scolaires effectuées, par exemple, pointent des faiblesses de leur conception, dans leur structure ou dans leur lisibilité. Elles pointent également que l'approche scientifique prévaut toujours sur les observations de la vie courante : au lieu que les pratiques observées avec un jardinier ou un horticulteur puissent servir à découvrir et à s'interroger sur une propriété biologique,

52 FONTAINE, V. (1997). L'écriture dans l'enseignement des sciences. Mémoire inédit de DEA, GDSTC-LIREST, ENS Cachan.

53

CHARLOT, B., BAUTIER, E., ROCHEX, J.-Y. (1992). École et savoirs dans les banlieues... et ailleurs. Paris : Armand Colin.

54

GINSBURGER-VOGEL, Y. & ASTOLFI, J.-P. (1987). Sur la lecture des manuels de biologie. Aster 4 : 33-64. Et GINSBURGER-VOGEL, Y. (1987). Apprentissages scientifiques au collège et pratiques documentaires. INRP.

multiplication végétative ou bouturage ne sont présentés que pour illustrer cette propriété biologique.

La présentation des expériences historiques dans les manuels reste, par ailleurs, souvent contestable (textes 7 et 45). S. Kassou (1993)55 l'a particulièrement étudié pour l'enseignement de la photosynthèse. Les expériences de Priestley (1770-1780) sur les modifications de la qualité de l'air en rapport avec la respiration sont présentées dans certains manuels scolaires pour illustrer l'origine du carbone de la matière organique élaborée par la plante. Cette expérience, établie dans le cadre de la théorie du phlogistique, ne permet certainement pas de mettre en évidence l'absorption du dioxyde de carbone, et encore moins son utilisation par la plante. Si le manuel explique que l'expérience doit s'interpréter à la lumière des connaissances actuelles, on peut critiquer la présentation, avec des citations historiques dignes de figurer dans une partie documentaire mais interprétées sans aucune relation avec leur contexte.

D. Galiana (1999)56, de son côté, a montré que les autres expériences relatives à la photosynthèse apparaissent le plus souvent prototypiques. Elles sont mises en scène pour "mettre en évidence" et pour illustrer un contenu biologique. En France, il n'y a pas de tradition de "guide de travaux pratiques" pour les élèves57, et les expériences présentées dans les manuels scolaires ne favorisent guère l'investigation et se cantonnent plus à un registre d'illustration.

Un déficit de ressources bibliographiques adaptées

Des manuels scolaires qui facilitent un "dialogue avec le réel" (extrait du texte 21)

Pour contribuer à cet apprentissage de l'abstraction, nous avons prévu des activités qui mettent réelle-ment l'élève en situation de réaliser des observations, des manipulations, des expériréelle-mentations, des mesures. Sans ce contact avec le monde réel, on ne peut espérer donner un sens aux savoirs qui sont en jeu dans l'enseignement des sciences.

(…) Prenons l'exemple des manuels du cycle 3 : chaque chapitre présente deux parties, chacune ayant une fonction spécifique. La première partie comprend des documents iconographiques de deux types :

des documents "déclencheurs" qui ont pour but de faire émerger les conceptions des enfants et de conduire les élèves à s'interroger,

des documents à analyser et à comprendre.

55

KASSOU, S. (1993). Élèments pour l'analyse didactique du statut de l'expérience dans l'enseignement de la

biologie : le cas de la photosynthèse. Thèse de Doctorat Université Paris 7.

56

GALIANA, D. (1999). Problèmes didactiques posés par l'enseignement expérimental de la biologie dans les

classes scientifiques des lycées. Cas de la photosynthèse. Thèse de Doctorat Université Paris-Sud.

57

Les guides de travaux pratiques édités sont, en effet, le plus souvent destinés aux professeurs. Quelques rares livrets sont destinés aux élèves. Ils se présentent comme un "complément" au manuel scolaire, avec quelques informations méthodologiques, des documents déclencheurs, des documents à analyser ou à comparer avec ses propres résultats (par exemple, les livrets accompagnant l'option sciences expérimentales de première S, édités chez Nathan).

Une deuxième partie "encyclopédique" apporte des informations répondant aux questions posées dans la première partie et fournit des éléments qui serviront à construire les savoirs scientifiques (phase de réflexion). Elle contient également des fiches techniques qui ont pour but l'appropriation de savoir-faire scientifiques et techniques

Des activités d'investigation empirique, prenant appui sur des pratiques sociales de référence partagées, et d'un grand intérêt éducatif, ne peuvent se développer à l'école, faute de ressources bibliographiques adaptées. Prenons, par exemple, le problème pratique de la conservation des fleurs : "on a des fleurs coupées, on veut trouver un moyen de les faire durer plus longtemps". On inventorie ensemble des procédés qui sont proposés, extrêmement nombreux, et on les met à l'épreuve : mettre de l'aspirine, mettre les plantes au frigo, mettre un peu d'eau de Javel, mettre une substance comme le Pokon, etc... Cette investigation reproduit des "essais en champs". Sans connaître les résultats à l'avance, on va trouver quelque chose : il y a des procédés favorables et d'autres défavorables... Le problème est dans l'analyse et dans l'interprétation des résultats : pour des raisons économiques et de concurrence, la composition chimique des produits ne peut être connue, et rien, dans la littérature, ne permet d'accéder à une explication scientifique.

Les enseignants (texte 17) considèrent que de nombreuses ressources bibliographiques, présentes dans les Centres de Documentation et d'Information, ne sont pas adaptées à l'investigation, et certains proposent à leurs élèves des dossiers ad hoc. Par ailleurs, les manuels scolaires, dans leur mode de conception habituelle, ne sont pas des outils bien appropriés pour rester en prise avec la réalité empirique : les documents utilisés ser-vent le plus souser-vent de prétextes à l'introduction de savoirs élaborés. C'est la raison pour laquelle, pour la rédaction de l'ensemble pédagogique Gulliver (texte 49), nous avons pris le parti de concevoir le manuel comme un ouvrage documentaire destiné à l'élève, et de séparer les documents à analyser et les informations brutes, que nous avons regroupés dans une "partie encyclopédique". Des informations portant sur les activités, et en particulier pour la phase d'investigation et d'expérimentation, sont présentées dans le guide du maître. C'est donc à l'élève qu'il revient de faire le lien en-tre le monde des observables et l'abstrait des concepts que l'on essaie de leur faire construire.

Les Techniques de l'Information et de la Communication Éducatives, de leurs côtés, laissent envisager un renouvellement complet des pratiques documentaires et de com-munication en relation avec l'expérimentation, à moyen terme, mais l'impact didacti-que qui pourrait en résulter reste encore, essentiellement, dans un registre d'innovation ou de prospection. L'introduction et le développement de l'informatique a, par contre, d'ores et déjà profondément modifié les formes scolaires et non scolaires du rapport expérimental au vivant. Ces formes, qui répondent à différentes fonctions qu'il convient d'expliciter, peuvent apparaître extrêmement diverses.

3.3. Fonctions, formes scolaires et non scolaires du rapport

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