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Du rapport entre la représentation de l’Absolu et l’éthicité dans les religions

Chapitre  2   : Un Dieu à la «Münchhausen»: la Trinité selon le syllogisme «logique-­‐

3.2.   Du rapport entre la représentation de l’Absolu et l’éthicité dans les religions

Il est à noter que, comme ces déterminations abstraites ne se rapportent qu’au concept pur du culte, elles ne révèlent pas encore toute la violence de leur manifestation. À cet égard, le degré de violence dépend en dernière analyse du rapport théorique qu’un peuple entretient envers l’Absolu. C’est ainsi que dans la religion de «Fo», le néant est déterminé comme

21 Il est à noter que cette modalité du sacrifice a déjà été évoquée deux fois jusqu’ici. D’une part, il en a été

question lors de la réfutation de la théologie du sentiment au profit d’une réhabilitation du cœur à l’intérieur d’un culte particulier et, d’autre part, lorsqu’il a été question de l’effacement de la personnalité empirique devant l’Esprit absolu.

principe suprême; le culte consiste alors à éprouver et à exprimer la paix intérieure22. En revanche, Hegel considère que la religion musulmane place plutôt à son fondement un Dieu spirituel qui révèle sa jalousie et l’exigence de la servitude. Il en dérive alors le fanatisme:

Dans la doctrine mahométane, on ne trouve que la crainte de Dieu; il faut honorer Dieu, l’Unique, et s’en tenir à cette abstraction. C’est pourquoi cette religion est du formalisme, le parfait formalisme qui n’admet à son encontre aucune formation, c’est donc du fanatisme. (LPR III, Hegel, 1954 p.147) Un dernier exemple notable concerne l’Hindouisme et c’est probablement dans cette forme religieuse que s'explicite de la façon la plus évidente le rapport entre la représentation de l'Absolu et l’éthicité (Sittlichkeit), d’autant plus que Hegel met cette religion en opposition absolue avec la vie éthique européenne.

Du point de vue du concept métaphysique, la lecture hégélienne de l'hindouisme en est une du règne de la confusion. Incapables de s'élever rationnellement à une détermination spirituelle de l’Absolu, les hindous se représentent Brahma comme un infini abstrait, impersonnel et coupé des hommes, ces derniers n’ayant aucune véritable valeur intrinsèque23. L’entendement et l’imagination abstraits sont alors mis en service et s’arrogent le droit de définir les divinités à partir de leurs catégories finies. C’est ainsi que dans le culte hindou, l'adoration se rapporte à une infinité d’objets naturels dont chacun incarne un attribut divin (le soleil, les animaux, etc.). La conséquence de ces représentations dépourvues d’esprit et entremêlées de finitude est alors une désastreuse répercussion dans la vie morale et institutionnelle de l'hindouisme:

22 Hegel dresse les traits caractéristiques de leur concept métaphysique: «Si l’on exprime cette paix comme un

principe, notamment dans la religion de «Fo», la fin dernière et suprême est le néant, le non-être. On dit que tout est sorti du néant et y retourne. Nos premiers parents en sont sortis et y sont revenus; le néant est le principe, le commencement et la fin de tout. […] Au premier abord il doit paraître surprenant que l’homme se représente Dieu comme le néant; ce doit sembler de la plus grande étrangeté; à y regarder de plus près cela ne signifie pas autre chose que Dieu n’est rien de déterminé, il est l’indéterminé.» (LPRIIa, Hegel 1954, p.101)

23 Comme c'est la naissance qui détermine l'appartenance à une caste, la notion de mérite individuel fondé sur

l'effort ne saurait s'y présenter. L'injustice est alors fondée sur des rapports naturels et progrès ne saurait émerger de l’hindouisme, du moins de la façon dont Hegel conçoit cette religion.

Il y a lieu de faire une brève réflexion au sujet de l’État de la liberté, de la raison dans la réalité. Il va de soi qu’une vie politique européenne fondée sur la personnalité, le droit absolu, le droit libre ne se réalise pas avec une pareille religion; car il y règne la brutalité de l’imagination et cette condition horrible qui fait renier les rapports vrais et moraux - de la famille, de la bienveillance, du droit, de la personnalité infinie reconnue, de la dignité humaine. (LPRIIa, Hegel 1954 p.58)

Hegel ajoutera un peu plus loin que: «[de] même qu’à cause de ce manque de liberté, la superstition est sans limites, il s’ensuit qu’on ne trouve ni moralité, ni liberté raisonnable, ni droits, ni devoirs et que le peuple hindou est tombé dans l’immoralité la plus profonde [notre italique].» (LPR IIa, Hegel 1954 p.144)

Il n'y a pas lieu ici d'entériner ou d'infirmer les portraits que dresse Hegel à l’égard des trois formes religieuses évoquées. Pour l’essentiel, il a déjà été indiqué à sa décharge que le philosophe a utilisé les ressources limitées de son époque. Néanmoins, eu égard à la notion de «négativité», il peut être intéressant de noter que certaines de ses manifestations s'avèrent parfois monstrueuses. Au sens strict, il est alors tout simplement impossible de parler de «purification». Ainsi, dans le cas du «mahométisme», l'Absolu déterminé comme «Seigneur» tyrannique illustre que la servitude et le fanatisme24 découlent de cette représentation. Toutefois, l'hindouisme est de toute évidence l'exemple le plus intéressant puisqu'il est en mis en opposition absolue avec le christianisme, la forme religieuse achevée. C'est d'ailleurs dans cette opposition que se révèle toute la différence entre une contradiction brute demandant à être dépassée et une négativité qui pourrait être qualifiée de «fonctionnelle», de réconciliatrice. Ainsi, une opposition entre ces deux modes de négativité se dresse dans le passage qui suit. D'un côté, Hegel pose la «furie destructrice» à l’orientale et de l'autre, la pénitence, une action visant à réparer un tort, à purifier quelque chose qui, moralement, ne doit pas être:

Les hommes n’ont aucun rapport avec Brahma; sous la forme précédente, ils ont avec lui un rapport, mais absolument négatif, ils trouvent en lui leur perte. L’identité avec cet infini abstrait est l’abstraction absolue, la mortification absolue, la mortification du fini […]. Cette mortification consiste en tortures

24 La servitude sera également observée dans le judaïsme, ce qui servira de justification pour son dépassement

qu’on s’inflige, en austérités à l’infini et non en pratiques de pénitence. (LPRIIa, Hegel 1954 p.58)

Il est à noter que si ces manifestations ne se justifient pas sur le plan moral, elles s'expliquent toutefois d'un point de vue métaphysique. Comme l'Esprit n'est pas tout ce qu'il doit être dès le départ, ces productions spirituelles ne sont autre chose que des ébauches défectueuses d'une réalisation à venir. Nous pouvons à cet égard souligner à nouveau la façon dont s'articule la science hégélienne afin de comprendre la nécessité de leur présence et de leur remplacement:

C’est la marche ordinaire de toute science; on a d’abord la notion, puis sa détermination, la réalité, l’objectivité et enfin ceci que la notion première s’objective pour soi, devient objet pour soi, se rapporte à elle-même; c’est la marche de la philosophie. (LPR III, Hegel, 1954 p.13)

3.3. La religion et l’immédiateté naturelle: entre anthropologie et