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Chapitre 2 État du champ universitaire et du champ des bibliothèques à l’aube de la

2.3 La situation des bibliothèques universitaires

2.3.3 Le rapport Downs

C’est probablement en réaction au rapport Williams que l’Association canadienne des bibliothèques de collège et d’université (ACBCU) et l’AUCC ont proposé de tenir une enquête sur l’état des bibliothèques universitaires canadiennes. C’est Robert B. Downs, bibliothécaire américain, qui est chargé du projet. Si le rapport Downs n’est que le dernier d’une longue suite d’études, nationales ou provinciales, portant de près ou de loin sur les bibliothèques universitaires canadiennes154, aucune n’a son ampleur. Après avoir distribué un questionnaire

des plus complets, l’équipe de Downs a visité durant trois mois toutes les bibliothèques universitaires et collégiales au Canada.

Dans ses recommandations, Downs indique que le consensus de l’époque penche pour une coopération entre bibliothèques portant essentiellement sur les « sujets spécialisés et les

bibliothèques américaines participantes, que l’ensemble de ces acquisitions soit compilé dans le National Union Catalog et que ces dernières soient disponibles à travers un PEB ou par envoi de photocopies. Au Canada, la question de l’adoption d’un plan semblable se pose, mais est rejetée par Williams en raison de « la faiblesse et de l’immaturité des bibliothèques canadiennes ». Ibid., 62.

ouvrages peu utilisés »155. Il n’est pas question de partager des documents de référence

fréquemment utilisés et nécessaires pour les étudiants de premier cycle. Ces ressources doivent être achetées par chaque bibliothèque. Downs considère qu’une université doit posséder minimalement 75 volumes par étudiant en équivalence temps plein (EETP) ; seul McGill répond à cette norme au Québec. Cela étant dit, les prêts entre bibliothèques sont relativement populaires au Canada. Résultat de cette pratique américaine initiée par U. L. Rowell en 1894, plus de 60 000 ouvrages sont empruntés entre les 41 bibliothèques universitaires participantes156. Fait à noter : deux grands joueurs s’imposent dans ce service. Près du quart de ces documents sont prêtés par McGill (13 653). L’UdeT est toutefois la principale source de prêts (14 824), mais également la plus grande emprunteuse (5 240). Ceci en dit long sur la réputation de ces établissements ; en l’absence d’un catalogue collectif national complet, un chercheur aura généralement tendance à remplir une demande de PEB aux bibliothèques qu’il sait bien garnies. Ceci peut être problématique dans la mesure où les grandes bibliothèques assument une part démesurément grande du coût de ce service alors que le document demandé pourrait se trouver dans une bibliothèque plus petite, mais plus proche du demandeur. Par ailleurs, il semblerait que certaines bibliothèques aient à l’époque tendance à emprunter systématiquement leurs revues par PEB plutôt que de s’y abonner, ce qui devait certainement retarder les recherches des universités qu’elles desservent.

L’idée que les universités voisines ne devraient pas offrir des programmes spécialisés qui sont semblables revient également souvent; Downs préconisant un système où, malgré leur nature compétitive et leur attachement à l’autonomie, les universités coordonnent minimalement leur offre de programmes. L’objectif : ne pas dépenser inutilement des ressources pour se pourvoir d’une collection complète portant sur, par exemple, la culture ouïgoure : « La rationalisation des ressources de bibliothèque exige avant tout qu’on rationalise les études supérieures sur les plans régional et provincial »157.

155 Downs, Ressources des bibliothèques d’Université et de recherche au Canada, 176. 156 Ibid.

En 1967, l’ACBCU est la principale responsable de la planification au niveau national158. Elle est en charge entre autres d’études, de guides et de rapports sur les pratiques,

les dépenses, la gestion des ressources humaines et l’enseignement de la bibliothéconomie. La coopération est toutefois jugée plus efficace à l’échelle régionale étant donné la superficie du pays. À l’époque, on croit à une coopération régionalisée en quatre zones géolinguistiques : les provinces maritimes anglophones, le Canada français de l’Est, le Canada anglais central et l’Ouest159. Les négociations dans les trois régions anglophones vont d’ailleurs bon train, mais

la situation est différente dans le monde francophone. L’ACBLF est en quelque sorte responsable de cette coopération pour l’ensemble des bibliothèques, mais aucun organisme n’est spécifiquement créé pour articuler la coopération des bibliothèques universitaires160. Pendant que le reste du pays débat de la pertinence de préconiser un partage des ressources régionales (avantageux pour les régions déjà riches en collections) ou nationales (souhaité par les provinces maritimes dont les collections sont très partielles), le Québec se cantonne au

statu quo.

À la fin des années 1960, la coopération visant l’acquisition de documents est plutôt sporadique. Basé à Montréal, le programme de coopération des universités McGill, SGW et Loyola coordonne l’utilisation d’un budget de 10 000 $ pour l’acquisition de documents portant sur les études africaines161. Dans le cadre de ce programme, chaque université

participante développe sa collection en fonction d’une division géographique du continent africain. Enfin, de façon plus informelle, les bibliothèques universitaires canadiennes permettent généralement aux professeurs des universités voisines de profiter de leurs installations. C’est notamment le cas de McGill, qui met sa collection à la disposition de l’ensemble des professeurs de Montréal.

Le champ décrit par ce rapport est caractérisé par l’existence d’un réseau de coopération national important, comme en fait foi la popularité du service de PEB. La position dominante de McGill et l’UdeT est d’autant plus grande que la reconnaissance de leur capital

158 Ibid. 159 Ibid. 160 Ibid. 161 Ibid.

va de soi. Comme l’indique le rapport, les autres bibliothèques du champ tiennent pour acquis que ces deux institutions posséderont le document recherché, sans même consulter les universités voisines. Au niveau québécois, sans surprise, McGill est au cœur des rares accords de coopération. L’organisation du microcosme des bibliothèques universitaires de la province est toutefois en retard sur celle des autres régions du pays.