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Élaboration de politiques d’accès et de prêt communes

Chapitre 3 Le sous-comité des bibliothèques (1967-1975) : Priorités, réalisations, échecs

3.6 Optimisation du capital culturel objectivé

3.6.2 Élaboration de politiques d’accès et de prêt communes

L’une des premières actions posées par le sous-comité vise à garantir aux chercheurs universitaires québécois un accès à l’ensemble des ressources documentaires du microcosme des bibliothèques universitaires. Chacune n’ayant à la fin des années 1960 qu’une collection plus ou moins adéquate, un tel accès permet de pallier partiellement cette carence. À défaut de détenir chacune un capital culturel objectivé suffisant, cette forme de coopération est une stratégie compensatoire. Par ailleurs, on note encore une fois la prépondérance de la coopération dans l’habitus du microcosme. Même une bibliothèque comme celle de McGill, qui n’a pas assez d’espace pour accueillir les chercheurs de son propre campus, reçoit tout de même les universitaires de la province et contribue activement à cette initiative. Cependant, l’accès restreint qu’obtiennent au départ les étudiants traduit une préoccupation pour la conservation des documents au détriment de la diffusion qui illustre la difficulté qu’ont les bibliothèques universitaires à intégrer certains aspects de la nouvelle doxa du champ universitaire.

Avant la création du sous-comité, les bibliothèques ouvraient leurs portes aux chercheurs sur une base informelle. Une étude de l’Association des bibliothécaires du Québec (ABQLA) datant de 1966 nous révèle que l’ensemble des onze bibliothèques d’universités et de collèges sondées fournissent des services (aide au lecteur et consultation) aux professeurs et étudiants des cycles supérieurs en visite, ainsi qu’aux chercheurs, membres du clergé et écrivains qui en font la demande408. Les étudiants du secondaire, des collèges classiques, du

premier cycle et le grand public sont toutefois exclus dans la majorité des établissements étudiés. En ce qui a trait au prêt, à l’exception des professeurs en visite et des diplômés de l’université à laquelle la bibliothèque est rattachée, il est rare qu’il soit autorisé à des visiteurs. On ne compte qu’une seule entente formalisée sur le territoire québécois. L’ensemble des établissements universitaires québécois, soit l’UdeM, McGill, Loyola et SGW, s’était à l’époque entendu pour permettre à leur corps enseignant respectif de profiter des services des

408 Elizabeth Silvester, Quelques aspects de la coopération entre bibliothèques dans la province de Québec : Rapport

du Comité de la Coopération entre Bibliothèques de la Section des Bibliothèques d’Université et de Collège, Montréal,

bibliothèques des quatre institutions. Cependant, ces pratiques ne font pas l’objet de règlements ou de politiques et semblent dépendre avant tout du jugement du bibliothécaire responsable.

Dès 1969, les membres du sous-comité s’entendent formellement pour que les professeurs et doctorants puissent utiliser les services de n’importe quelle bibliothèque au Québec409. Faute de carte officielle, le directeur de la bibliothèque d’origine de l’usager

souhaitant accéder à une bibliothèque d’une autre université doit lui rédiger une lettre de présentation. Le 31 août 1970, le sous-comité recommande unanimement à la CREPUQ l’uniformisation des politiques d’accès des bibliothèques universitaires de manière à permettre la consultation et le PEB aux étudiants des cycles supérieurs et aux professeurs, qui pourront également emprunter des documents410. Les doctorants et les candidats à la maîtrise devront

attendre jusqu’en 1975 avant d’obtenir les mêmes privilèges de prêts que les professeurs de façon permanente411. Rien n’est prévu à ce moment pour les étudiants de premier cycle,

chaque institution étant censée posséder une collection répondant à l’ensemble des besoins de ces étudiants412. À ce sujet, les bibliothèques sont particulièrement réticentes, malgré les demandes répétées de la CREPUQ en ce sens413. Selon Vinet, directeur de la bibliothèque de Laval, dans un mémo du 9 février 1971,

L’accès incontrôlé des bibliothèques aux étudiants du premier cycle peut amener des perturbations sérieuses dans les bibliothèques, principalement dans celles de la région de Montréal. Comme chaque institution n’a même pas les budgets et l’espace nécessaire pour répondre aux besoins de ses propres étudiants au niveau du 1er cycle, il serait pour le moins imprudent de ne pas contrôler la fréquentation des bibliothèques de ce niveau,

409 Procès-verbal de la réunion du sous-comité de la CREPUQ, 7 février 1969. FACREPUQ.

410 Document interne : Recommandation du comité des bibliothèques à la CREPUQ, 31 août 1970. FACREPUQ. 411 Procès-verbal de la réunion du sous-comité de la CREPUQ, 22 novembre 1973. FACREPUQ. L’accès aux étudiants

des cycles supérieurs n’a pas été une décision facile. Dans une note explicative de 1971, le sous-comité explique que la bibliothèque d’attache de ces étudiants, souvent inscrits à temps partiel et travaillant à l’extérieur du territoire, ne peut se rendre responsable de leurs prêts auprès d’autres bibliothèques. L’autorisation de prêt qui leur est finalement octroyée doit alors être vue comme un compromis entre ce risque et le besoin qu’ont ces étudiants d’accéder à des ressources documentaires spécialisées. On note ici la prépondérance de la mission de conservation sur celle de diffusion dans l’habitus du microcosme.

412 Cette entente, mise à l’essai en septembre 1970, doit en outre être comprise comme un minimum, chaque université

pouvant être plus généreuse dans ses accès. Voir Correspondance entre H. Howard et G. Gélineau, 9 décembre 1971. FACREPUQ.

qui, répétons-le, doivent posséder chacune la documentation nécessaire aux étudiants du premier cycle universitaire.414

Ceci explique pourquoi McGill, qui détient de loin le plus volumineux fonds d’une région où l’on trouve la plus grande concentration d’universités, adopte des politiques d’accès interétablissements sensiblement plus sévères que les autres institutions415. Précisions

d’emblée qu’une politique d’accès entre bibliothèques est nécessairement moins avantageuse pour les bibliothèques les mieux fournies, et bénéficie surtout aux usagers dont les bibliothèques d’attaches sont inadéquates. Au Québec, comme Howard le fait remarquer, « this arrangement is likely to place a greater proportionate burden on McGill and particularly the Redpath Library than on us [SGW] »416. McGill, malgré ses réserves, reste toutefois ouverte à ces politiques interbibliothèques, dans les limites de ses capacités. Son comité des bibliothèques approuve en effet les recommandations du sous-comité quant aux politiques d’accès, adoptant le 14 octobre 1970 la résolution suivante : « the committee agreed unanimously that this was a move in the right direction and heartily favoured it »417. La bibliothèque de cette université assouplit d’ailleurs ses politiques d’accès dans les années qui suivent.

McGill, en la personne de Crouch, se charge d’ailleurs de la création de cartes d’accès pour les professeurs du Québec et de l’Ontario. Cette initiative, inspirée par une réunion conjointe entre le sous-comité et l’OCUL le 19 mars 1970, est déjà implantée en Ontario418.

Financées par la CREPUQ, ces cartes sont mises en circulation peu de temps après. Pour l’année 1971-1972, 378 d’entre elles, valides pour un an, sont émises à des usagers de la communauté universitaire québécoise419. Étonnamment, c’est à Laval que sont émises 73 %

des cartes, ce qui laisse suggérer que plusieurs chercheurs de la région de Québec consultent

414 Mémo de B. Vinet, 9 février 1971. FACREPUQ.

415 La consultation sur place, la photocopie et, dans le cas des visiteurs de l’UdeM et de SGW, le prêt de jusqu’à huit

volumes sont permis. Pour les visiteurs d’autres universités, le prêt ne peut être fait que par PEB. Il s’agit également de la seule université à ne pas permettre la consultation aux étudiants de premier et deuxième cycle, et, avec Laval, la seule à ne pas permettre le prêt à tous les professeurs du Québec. Voir Politique de privilèges à McGill, 26 février 1970. FACREPUQ.

416 Mémo de H. Howard, 1970. FACREPUQ.

417 Correspondance entre K. Crouch et H. Howard, 14 octobre 1970. FACREPUQ.

418 Procès-verbal de la réunion du sous-comité de la CREPUQ et de l’OCUL, 19 mars 1970. FACREPUQ. 419 Procès-verbal de la réunion du sous-comité de la CREPUQ, 20 septembre 1971. FACREPUQ.

des ressources des universités montréalaises. Malgré une collection relativement riche et l’absence d’autres universités majeures dans la région, il semblerait que les usagers de cette université aient senti le besoin de profiter des collections hors de leur campus. La seconde université ayant émis le plus de cartes est l’UQAM (9 %), ce qui s’explique plus facilement par le statut embryonnaire de ses collections et l’abondante masse documentaire disponible à proximité.

Dans l’ensemble, l’uniformisation des politiques d’accès aux bibliothèques universitaires illustre la prépondérance de la coopération dans l’habitus de ce microcosme. Même McGill, qui n’a que peu à gagner d’ouvrir ses espaces déjà saturés, adopte une position plutôt ouverte sur la question. Tous ne profitent ainsi pas également de cette mesure, Laval et l’UQAM étant apparemment les grandes gagnantes de cette politique d’accès. Nous n’avons toutefois relevé aucune récrimination d’aucune bibliothèque quant aux désavantages d’une telle mesure.